La Slovaquie au pinacle

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 25 octobre 2010 - 950 mots

Une nouvelle page peu connue de l’histoire de l’art s’écrit aujourd’hui, qui témoigne de la formidable diffusion du gothique international jusque dans l’actuelle Slovaquie, avec en point d’orgue de sublimes retables sculptés.

La Slovaquie est une jeune nation. Après avoir été pendant mille ans une province de la Hongrie, elle ne s’est détachée de la Tchécoslovaquie qu’en 1993. Situé au beau milieu de l’Europe, son territoire a longtemps été disputé. Les Romains l’ont occupé, puis les Avars et les Slaves. En 906, il est envahi par les Magyars, des nomades païens venus du nord de l’Oural, qui se sont approprié l’actuelle Hongrie où ils se sédentarisent progressivement. La Slovaquie actuelle devient alors la province septentrionale d’un royaume de Hongrie qui se constitue en État sous le roi saint Étienne (996-1038).
Malgré l’attraction de l’Empire byzantin tout proche, saint Étienne choisit et impose le catholicisme romain. Il se déclare même vassal du Saint-Siège afin de ne pas être absorbé par l’Empire romain germanique. C’est ce qui explique que la province slovaque appartienne à l’espace culturel occidental et produise un art qui nous est familier.

Le réveil économique et politique
Délaissée pendant près de 400 ans, la Slovaquie émerge lentement sous l’effet de deux événements majeurs. Au xive siècle, on commence à exploiter des mines de cuivre, d’or et d’argent dans le centre de la région, dans les comtés de Spiš et de Banská Bystrica. Ces richesses favorisent le développement d’une bourgeoisie et d’une noblesse locales, dont vont profiter les églises.
Elles vont aussi accélérer le développement des routes commerciales. Banská Bystrica n’est qu’à 200 kilomètres de Cracovie. À l’ouest, Presbourg, l’actuelle Bratislava, n’est qu’à 60 kilomètres de Vienne et 180 kilomètres de Buda, la capitale du royaume. Deuxième événement : l’invasion turque. L’Empire ottoman ne cesse en effet de progresser dans les Balkans. Constantinople tombe en 1453 et en 1526, les Hongrois sont vaincus par Soliman à la bataille de Mohács. La cour se replie alors sur Presbourg en 1536, où la Diète restera pendant deux siècles, peu de temps avant que Buda ne soit prise par les Ottomans (1541). L’installation de la cour et du parlement va évidemment favoriser les commandes artistiques.

L’irruption du gothique
C’est ce contexte bien particulier qui explique l’avènement d’une production artistique d’une incroyable qualité, comme en témoignent les retables sculptés. Les conditions économiques et politiques antérieures au xve siècle n’ont pas permis l’épanouissement progressif du roman puis du premier gothique comme cela s’est passé en France, par exemple.
C’est ce qui explique aussi qu’il est difficile de parler d’un art slovaque médiéval. Les foyers de création ne sont pas suffisamment anciens pour avoir eu le temps d’assimiler progressivement les influences venues de l’extérieur et d’y ajouter leurs propres traditions. La composition sociologique de la Slovaquie elle-même rend difficile la constitution d’une culture spécifiquement slovaque. Les paysans sont slaves, ou plutôt slavophones, tandis que la bourgeoisie est germanophone et la noblesse hongroise. C’est cependant ce mélange des communautés qui va favoriser les échanges artistiques.

Le bassin danubien
Dans les années 1400, se développe partout en Europe un style élégant, très décoratif et qui emprunte à l’Italie la construction de l’espace : le bien nommé gothique international. En Europe centrale, le bassin danubien est un vecteur privilégié d’échanges, il met en contact la Slovaquie avec l’Allemagne du Sud via Vienne. Le style et l’iconographie des volets peints des retables doivent beaucoup à Martin Schongauer (1450-1491) et Albrecht Dürer (1471-1528). Leur influence est d’autant plus forte qu’ils ont pu largement diffuser leurs estampes. Plus au nord, on a pu établir une proximité entre le plus connu des artistes slovaques du moment, le fameux Maître Paul, avec Veit Stoss actif à Cracovie.

L’âge d’or de l’art en Slovaquie
Malgré la proximité géographique de l’Italie – Venise n’est qu’à 700 kilomètres de Presbourg –, et l’ancrage de la Hongrie dans le catholicisme romain, l’art gothique en Slovaquie appartient surtout au monde germanique ou d’Europe du Nord. On relève ici et là des emprunts évidents à l’Italie. Comme ces putti dans le retable des saints Jean-Baptiste et Jean à Levoˇca. Ou cette cité idéalisée dans le panneau peint de L’Adoration des mages à Banská Bystrica, que l’on retrouve dans de nombreux tableaux de la Renaissance florentine.
C’est aussi cet ancrage nordique qui peut expliquer que le gothique prospère aussi tardivement, au point que l’art en Slovaquie soit entré presque directement dans les surcharges décoratives et émotionnelles du baroque sans passer par le classicisme de la Renaissance italienne, ou le raffinement de la Renaissance flamande. La production artistique entre 1450 et 1530 est en quelque sorte l’âge d’or de l’art en Slovaquie, son acmé. Avec l’arrivée massive de l’or du Pérou au xvie siècle, ses mines vont perdre leur attrait et la région va redevenir une province rurale avec un Empire ottoman menaçant.
Cette page de l’histoire de l’art en Slovaquie est toujours en cours d’écriture. Après des siècles d’occupation hongroise, puis autrichienne, suivis du glacis communiste, la jeune école slovaque d’histoire de l’art, à laquelle appartient Dušan Buran, le co-commissaire de l’exposition, est naturellement très désireuse de construire un passé culturel pour son pays. Mais quel que soit le résultat de ce travail d’attribution, le creuset slovaque est d’ores et déjà une formidable découverte pour le public français.

Repères

996-1038
Roi saint Étienne, fondateur de l’État hongrois, dont la Slovaquie actuelle est une des provinces.

1458-1490
Apogée du royaume de Hongrie sous le règne de Mathias Corvin.

1526
Les Ottomans sont vainqueurs à la bataille de Mohács.

1536
La cour se replie à Presbourg (Bratislava), nouvelle capitale provisoire du royaume de Hongrie.

1699
Libération de l’occupation ottomane.

1867
Compromis austro-hongrois.

1918
Union politique en Tchécoslovaquie.

1939-1945
État indépendant slovaque inféodé au Troisième Reich.

1993
Séparation avec la Tchéquie.

2004
Entre dans l’Union européenne.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°629 du 1 novembre 2010, avec le titre suivant : La Slovaquie au pinacle

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