Spécial photo

Trois questions à Michel Poivert

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 25 octobre 2010 - 671 mots

Michel Poivert est historien de la photographie, professeur à l’université Paris I, Panthéon-Sorbonne et président de la SFP (Société française de photographie).

Quel est à vos yeux le plus grand chantier à venir concernant les fonds photographiques ?
Les fonds de journaux. L’histoire de la presse illustrée est l’un des plus grands chantiers à venir de l’histoire contemporaine. Le modèle technique et économique de la presse a explosé, il change sous nos yeux. Il y aura eu une formidable histoire de la presse qui n’aura pas duré longtemps, un siècle. Il sera très précieux d’avoir ces fonds d’archives. On oubliera beaucoup de leurs auteurs, mais on se souviendra comment les gens ont regardé le monde. Des historiens ont commencé à se pencher dessus, mais il y a encore des décennies de travail. Ces fonds de journaux ne doivent pas partir à vau-l’eau, il y a urgence. Il faut arriver à engranger les archives des structures (journaux, éditeurs…) et des personnes dont l’activité a été de constituer les grandes documentations iconographiques à un moment donné.

Justement, vous n’êtes pas inquiet quand Magnum New York revend son fonds de tirages et lorsque le sort des fonds des agences comme Gamma, Rapho demeure une incertitude ?
On fera l’histoire avec le reste, et avec la chance. Les archives les mieux constituées seront celles qui auront continué à penser dans leur fonctionnement que cette idée de l’auteur est finalement assez secondaire et qu’il s’agit surtout de montrer les images. Je ne suis pas contre la politique des auteurs qui est née avec Magnum et d’autres, mais c’est une époque qui a fabriqué une certaine histoire de la photographie, une histoire effectivement élitaire. Cependant, au moment où l’on dit que les grandes sociétés de photojournalisme et d’agences sont en ruine, un modèle économique de diffusion d’images, d’archives se reconstitue. Le marché se déplace, il passe de l’information aux archives de l’information. On numérise, on diffuse et on vend des droits. L’offre d’images aujourd’hui est sur plusieurs centaines de millions, demain elle sera sur des milliards. On passe du patrimonial au commercial, ce qui n’est pas obligatoirement paradoxal. Mais ce qui est amusant, c’est que ce modèle économique, qui n’a pas réussi à l’information, réussit à l’archive.

L’État, cependant, ne doit-il pas prendre en charge et susciter les donations de photographes de renom ?
Un photographe, s’il a envie de donner, il donne ; s’il veut vendre, il vend. Chacun a la propriété de son œuvre. S’il estime que l’État est le meilleur moyen de valoriser sa mémoire, il donne à l’État, et l’État fait ce qu’il veut. S’il veut créer une fondation, il la crée. On ne peut créer artificiellement la reconnaissance historique des gens. Je ne vois pas en quoi le fait de donner ses collections à la puissance publique qui les gère avec l’argent public serait une espèce de voie royale pour une reconnaissance dans la mémoire universelle. L’histoire de la photographie, c’est aussi l’histoire de l’oubli, c’est l’oubli de millions d’images. Comme pour la mémoire, ce qui remonte est ce qui fait symptôme.

L’État doit-il tout sauvegarder ?

La question taraude, divise. « Non, il faut choisir pour mieux transmettre, estime Anne de Mondenard. Aujourd’hui, on n’ose plus prendre le risque de faire des choix par peur de se tromper. » « Arrêtons de considérer que l’on doit tout garder. On n’a plus la place, on n’a plus les moyens d’entretenir », constate Daniel Barroy. Et puis « l’État ne peut pas tout faire », souligne Agnès Sire, directrice de la fondation Henri Cartier-Bresson. « Quand on me dit qu’il ne faut pas tout garder, je dis : «Faisons passer avant des spécialistes, des historiens», remarque Anne Cartier-Bresson. Ce que vous jetez aujourd’hui, vous le pleurerez demain. L’histoire de la photographie, c’est l’histoire des poubelles. Lorsque l’on connaît le nombre d’ateliers daguerréotypistes qu’il y a eu jusqu’en 1946 et ce qu’il en reste de nos jours par rapport à la production qu’ils ont fournie, cela me donne envie de pleurer. On a pratiquement tout jeté. »

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°629 du 1 novembre 2010, avec le titre suivant : Trois questions à Michel Poivert

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