Lambert Wilson - La synthèse des arts

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 29 septembre 2010 - 1950 mots

L’acteur français confesse une passion pour le détail qui le fait aller puiser dans les beaux-arts lors de la préparation de ses rôles et pour ses mises en scène.

On connaissait bien votre père, Georges Wilson, mais on en sait peu sur vos origines. Avec ce patronyme qui sonne anglo-saxon, quelles sont vos racines ?
Lambert Wilson : L’un des grands-pères de mon père, Charles Wilson, venait de Dublin. C’était un ingénieur chimiste qui avait probablement fui à la fin du xixe l’une des nombreuses famines irlandaises, et s’était épris d’une jeune femme dans les milieux betteraviers du nord de la France. Mon père a conservé ce nom et nous a élevés dans le mythe de l’Irlande, dans le romantisme de « l’irlandisme ». Enfant, j’ai été très attiré par les Îles Britanniques. Cette passion pour tout ce qui venait d’Angleterre était entretenue par une revue de décoration que ma mère, toquée de Londres, du design, de la créatrice de mode Mary Quant, du mouvement Pop… achetait dans les années 1960. À l’époque, je vivais entre le VIe arrondissement parisien et notre maison de l’Essonne, et je rêvais d’avoir ma propre chambre de bonne, laquée de couleurs vives comme les portes de ces cottages anglais ou de ces cabines téléphoniques rouges.

Visitiez-vous alors souvent le Royaume-Uni ?
J’ai commencé à aller à Londres à l’âge de 13 ans. Claudine Auger, la première James Bond girl française dans Opération Tonnerre y entraînait souvent ma mère. L’Irlande, je l’ai découverte seulement à la fin des années 1990, pour le tournage de The Last September, film qui évoquait les déchirements liés à l’instauration de l’indépendance en Irlande du Sud au sein d’une famille anglo-irlandaise. J’ai aimé la nature, le lyrisme, le caractère irlandais. J’ai retrouvé de ces paysages verdoyants aux collines douces, tels des tableaux de Friedrich, dans l’Auxois, et j’ai acquis un moulin proche du canal de Bourgogne, dans un cadre habité par les hérons et les martins-pêcheurs. 

Un penchant anglo-saxon donc plutôt transmis par votre mère ?
Mon père avait beau être un acteur beckettien par excellence, mettant souvent en scène les auteurs irlandais, mon intérêt pour les paysages, la culture, l’art anglo-saxons, vient de ma mère. Mon frère et moi étions vêtus de pulls shetland et de blouses grises comme dans les orphelinats anglais ; notre mère se nourrissait de romans de Rosamond Lehmann, et de tous ceux du groupe de Bloomsbury. Dans le même temps, elle était pionnière, « à la page », nous faisait porter les premiers jeans. À son décès, nous avons trouvé dans son grenier une collection de magazines de décoration. Dans les années 1970, elle s’était créée dans sa maison de Rambouillet un univers très british composé de meubles chinés, de bois passés à l’eau de Javel. Enfant, on est très poreux. Elle était très attirée, et je le suis aussi, par les Arts décoratifs des années vingt et trente, le mobilier de Ruhlmann, le design d’Eileen Gray. Dès qu’il y avait une brocante sur sa route, on essayait de distraire son attention, sinon elle y passait des heures !

Vous êtes un artiste éclectique : chant, théâtre, cinéma… Vous intéressez-vous aussi aux arts plastiques ?
Ma passion des arts, je l’exprime par la mise en scène, qui réunit la dramaturgie, les décors, les costumes, les lumières… C’est la synthèse de tous les arts qui m’enthousiasme. À 15-16 ans, j’étais très doué pour le dessin. Ma mère me suppliait de ne pas m’embarquer comme acteur, de devenir plutôt un artiste plasticien. Mais mon moteur inconscient – me mesurer à mon père sur son terrain – était trop fort ! Encore aujourd’hui, je passe mon temps à jouer les graphistes, les coloristes. Je suis toujours fasciné par les boîtes de crayons de couleur. Quel plaisir de ne pas séparer les couleurs, d’avoir le spectre complet. Mes brochures de scénario sont toujours calligraphiées, illustrées. J’aime beaucoup les lettres. Ado à la fin des années 1960 et au début des années 1970, j’ai été marqué par l’explosion de l’art dans la publicité avec Warhol, Roy Lichtenstein. Faire les Beaux-Arts m’aurait plu. Je suis un obsessionnel du détail, qu’il s’agisse des décors, des costumes, de la mise en scène. 

Ce sens du détail, vous le partagiez avec Georges Wilson ?
Mon père n’avait aucun sens visuel ; pour lui, la passion du détail appartenait au monde féminin. En tant que directeur du TNP [Théâtre national populaire], il a eu la chance d’être très bien entouré, avec le décorateur Jacques Le Marquet, qui a révolutionné la scénographie théâtrale, et avec l’inventive costumière plasticienne Geneviève Sevin-Doering, précurseur dans les années 1960 de la déstructuration des vêtements adoptée ensuite par les Japonais. Moi, j’essaie d’échanger. Pour La Fausse Suivante de Marivaux que j’ai mis en scène, j’ai apporté mes idées et la scénographe Sylvie Olivé leur a donné corps. Chez Marivaux, l’intrigue se déroule à la campagne, au xviiie siècle et réunit des aristocrates en villégiature et des serviteurs cupides, mais j’ai choisi pour cette production les années 1920, une atmosphère d’oisiveté comme dans les romans de Virginia Woolf, que Sylvie Olivé a transposée avec des panneaux en transparence, des tulles brodés suspendus, évoquant la végétation. Le costumier, Olivier Bériot, travaille lui pour le cinéma, le théâtre, l’opéra, récemment pour le ballet d’Angelin Preljocaj Siddharta dont la scénographie est signée de Claude Lévêque. 

Vos réussites au théâtre du Châtelet dans les comédies musicales Candide ou A Little Night Music vous ont-elles donné envie d’aller vers d’autres registres ?
J’ai adoré ces collaborations. On a parfois la chance de rencontrer sur son chemin des personnalités qui vous marquent. Ce fut le cas avec Robert Carsen, metteur en scène de ce Candide. Robert est un homme complet, dans la tradition de ces humanistes de la Renaissance qui connaissaient tous les arts. Carlos Saura, le metteur en scène espagnol, dessinait lui-même son story-board à l’aquarelle, lors du tournage d’El Dorado auquel j’ai participé. Quant à Alain Resnais, il réalise pour chacun de ses films une maquette de décor qu’il filme en vidéo avec des petites figurines qui représentent les personnages… 

Robert Carsen s’est aussi attaqué à la scénographie d’expositions, avec « Marie Antoinette » au Grand Palais en 2008… Quelles autres rencontres vous ont marqué ?
Quand les imaginaires se rencontrent, cela fait très plaisir. Pour son long métrage Pas sur la bouche inspiré d’une opérette des années 1920, Alain Resnais m’a proposé le rôle d’un riche Américain et m’a laissé chercher le look à donner au personnage. Il y avait alors à Beaubourg l’exposition « Max Beckmann ». Sur le billet d’entrée figurait un autoportrait du peintre en smoking. J’ai dit à Resnais : voilà ma proposition. Il m’a alors présenté le même portrait, qu’il avait de son côté choisi lui aussi ! L’Anglais Jonathan Kent, qui a extraordinairement mis en scène The Fairy Queen d’après le Songe d’une nuit d’été, est également de ceux qui m’ont appris à ouvrir les yeux, sur les objets les plus usuels comme les plus artistiques ; une sorte de Pygmalion. Enfin, j’ai apprécié des créateurs de lumière, comme Dominique Bruguière avec qui j’ai travaillé sur Bérénice, ou Françoise Michel, spécialiste de danse. Lorsque je ferme les yeux et que je pense à mes premières émotions d’enfant au théâtre, j’éprouve d’abord une sensation de lumière et de couleur.

Pensez-vous à un spectacle en particulier ?
Mon spectacle fondateur est L’Illusion comique de Corneille, mis en scène par mon père au Festival d’Avignon, avec Loleh Bellon et Victor Lanoux. J’avais huit ans. Les costumes de velours framboise incrustés de pierreries étaient magnifiques dans la lumière. Quand mon père m’a présenté la comédienne le lendemain après-midi, je ne l’ai pas reconnue dans son costume, toute ridée au soleil. J’ai compris le pouvoir de l’artifice. 

Vous avez participé au dîner du Bal jaune organisé par la fondation Ricard pour l’art contemporain. Quel rapport avez-vous à l’art ?
Je suis très curieux, j’ai des amis galeristes, par exemple le Belge Xavier Hufkens dépositaire de Louise Bourgeois, de Malcolm Morley, Robert Ryman… J’ai aussi rencontré le commissaire-priseur Rémy Le Fur qui a créé la galerie de design Ymer & Malta et sélectionne les pièces de jeunes artistes prometteurs. Une amie américaine possède une œuvre de Rothko devant laquelle je peux rester des heures. Mais je ne suis pas favorable à l’acquisition. Les objets nous survivent et je leur en veux. Je ne cherche pas à amasser, je n’ai pas besoin de posséder, j’emporte avec moi la sensation, l’extase. Passer devant un Bacon, ça me suffit. Je me suis entouré à la campagne, d’objets intéressants mais pas chers. Mélanger les objets, jouer avec la couleur, comme un peintre avec sa palette, c’est ce qui me passionne. 

Quels sont vos peintres favoris ?
J’aime beaucoup le surréalisme. Le Caravage provoque aussi une émotion sensuelle. Mais pas question d’emporter un tableau à la maison. Plutôt s’habituer à sa fréquentation, renoncer à l’avidité. La cupidité, la volonté de garder par-devers soi, sont de grands défauts. Il faut partager. L’art en tant que placement, ça n’existe pas dans mon monde. On m’avait donné une théière de ma grand-mère très kitch, mais inestimable pour moi. Le jour où la théière a été cassée, j’ai compris que l’attachement porté aux choses était disproportionné, je me suis forcé à me détacher. Un objet on le renifle, on ne le possède pas. Il y a beaucoup d’occasions dans la vie d’avoir le cœur brisé par la perte, il faut s’éviter les souffrances inutiles.

Croyez-vous à la réincarnation ?
Je ne suis pas contre. Certaines époques m’attirent d’une manière suspecte. Ces brasseries des années 1930 où la peinture n’a jamais été refaite, j’y retrouve quelque chose que je connaissais. On recherche des périodes idylliques. Ma première mise en scène, Les Caprices de Marianne, je l’ai située en 1958-1959, l’année de ma naissance, la dolce vita, les trente glorieuses, le bonheur de mes parents. Je suis attiré aussi par le XVIIIe, la période prérévolutionnaire marquée par un apaisement dans tous les arts, le temps suspendu… 

Après l’abbé Pierre, vous jouez un moine dans « Des hommes et des dieux ». Vous appréciez particulièrement ces rôles ?
La vie monacale correspond à une partie de moi. J’aime l’épure, le monochrome des abbayes. Le silence me fait du bien. Je déteste le dogme, mais j’aime la concentration, la méditation.

On dit que votre rencontre avec l’abbé Pierre vous a marqué. Vous êtes un homme engagé ?
Oui, j’ai quelques engagements, au comité de soutien d’Emmaüs, dans Greenpeace… Je suis très pessimiste, l’homme utilisera le pétrole jusqu’à la dernière goutte. Je veux pouvoir me regarder dans un miroir, me dire : est-ce que j’ai fait quelque chose ? Un peu tenté ?

On vous voit cette année dans une comédie, Imogène, mais également dans La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier, ainsi que dans le drame Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois. N’est-il pas usant de faire sans arrêt le grand écart ?
Je vis dans des jet-lags culturels réguliers. Parfois, sur mon scooter, je ne sais plus où j’en suis. Pour passer sans transition de la valse viennoise à la vie monacale, de la comédie musicale au chant liturgique, j’ai dû apprendre à me fabriquer des sas de décompression !

Biographie

1958 Naissance à Neuilly-sur-Seine.

1974-1978 Étudie au Drama Center de Londres.

1981 Premier grand rôle dans Five Days One Summer de Fred Zinnemann.

1989 Prix Jean Gabin pour Hiver 54 où il interprète le rôle de l’abbé Pierre.

1990 Spectacle musical Lambert Wilson chante.

1997 Met en scène et interprète Bérénice de Racine au théâtre.

2010 A l’affiche de La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier et Des hommes et des Dieux de Xavier Beauvois.

L’autoportrait de Beckmann
Max Beckmann peint cet autoportrait en 1927 alors qu’il devient connu. Son costume – qui a inspiré Lambert Wilson pour le rôle d’un riche Américain – sa nonchalance et la mise en évidence de ses mains montrent son assurance. Mais l’ombre qui lui mange le visage et l’application en surface de la couleur ironise le portrait d’un homme qui estimait que l’artiste avait une « responsabilité » sociale et qui redoutera très tôt la montée du nazisme. Max Beckmann, Autoportrait au smocking, 1927, huile sur toile, Busch-Reisinger Museum, Harvard University, Cambridge.

Au cœur du XVIe siècle avec Tavernier
Pour son nouveau film, La Princesse de Montpensier, ­Bertrand Tavernier s’inspire du roman éponyme de Mme de La Fayette et nous plonge au cœur du xvie siècle. Alors que les guerres de religion font rage, le cadre principal est Champigny où se nouent les amours contrariées d’une princesse avec quatre hommes dont son mari. Comme son précepteur le comte de Chabannes (incarné par Lambert Wilson), Marie de Montpensier est une insoumise. Elle est tiraillée entre devoirs et désirs charnels comme intellectuels. Sortie nationale le 10 novembre 2010.

L’année Caravage
2010 est l’année commémorative du Caravage, mort il y quatre cents ans alors qu’il était recherché pour meurtre. Expositions à Rome, à Gênes puis à Florence (jusqu’au 10 octobre) et découverte de ses supposés restes ont ponctué l’année. Dès 1592, ce peintre lombard obtient d’importantes commandes à Rome. Ses violents clairs-obscurs révolutionnent la peinture et ses personnages bibliques peints comme des gens ordinaires sont parfois jugés trop terrestres à une période où un débat sur le libre-arbitre agite l’Église. Lambert Wilson qualifie même sa peinture de « sensuelle ».

À lire
À l’occasion de l’exposition « Le groupe de Bloomsbury » à La Piscine de Roubaix, en 2009, L’œil a édité un hors série racontant l’histoire de ce groupe anglais réuni autour de Virginia Woolf.
En vente 4 euros sur www.artclair.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°628 du 1 octobre 2010, avec le titre suivant : Lambert Wilson - La synthèse des arts

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