Monet et l’eau

Éloge du fluide

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 23 août 2010 - 1057 mots

Le thème de l’eau traverse tout l’œuvre de l’impressionniste qui, dans son bateau-atelier ou dans son jardin de Giverny, a voué sa vie à cet élément en métamorphose constante.

Peint par Manet en 1874, l’année même de l’avènement de l’impressionnisme, Monet et sa femme sur le bateau-atelier est un tableau emblématique à plusieurs titres. Il représente le peintre en pleine séance de travail, installé à bord d’une petite embarcation amarrée sur la Seine, assis sur le plat de la proue devant son chevalet, pinceau et palette en mains. Une situation peu banale, qui plus est peu confortable, mais l’artiste est tout entier concentré sur ce qu’il fait et rien ne le distrait. 

Si Édouard Manet ne participe pas à l’aventure collective de l’impressionnisme – il n’y participera jamais –, son confrère en est le fer de lance, et le choix qu’il fait de le représenter ainsi est lourd de signification. Il est non seulement emblématique de la posture adoptée par les impressionnistes de travailler in situ, en direct du motif retenu, mais il en dit surtout long du rapport que Monet entretient au thème de l’eau. Avant d’être le portrait d’un individu, l’œuvre de Manet est donc symbolique d’une démarche.

Historiquement lié au tableau de Claude Monet Impression, soleil levant, daté de 1872 et figurant l’entrée du port du Havre, l’impressionnisme trouve donc sa source à l’appui d’une peinture au sujet marin. Que l’influence du japonisme et de l’école ukiyo-e – « peinture du monde flottant » – ait joué un rôle déterminant à son instruction fonde le mouvement dont Monet est le premier animateur à l’ordre d’une esthétique reposant sur l’idée d’une permanente métamorphose.  

Le liquide et le solide
Parce qu’il manifeste la prise de conscience par l’homme de son inscription dans le temps, l’impressionnisme fait la part belle à l’écoulement, prenant le parti de tout ce qui dissout le contour des choses. Il ne s’agit plus de définir, ni d’immobiliser, mais de saisir le monde dans sa fluidité, de rendre compte du changement perpétuel de la nature. C’est dire si l’impressionnisme procède d’une philosophie vitaliste et que, des quatre éléments, l’eau et l’air en sont les vecteurs fondamentaux.

En fait, on pourrait distinguer entre deux types d’impressionnisme, celui du liquide et celui du solide, tant il est vrai que, pour s’en tenir aux ténors, les œuvres de Monet, de Renoir et de Sisley illustrent le premier tandis que celles de Pissarro et de Cézanne le second. Toute la vie de Monet se développe au bord de l’eau. Strictement partagée en deux, elle se décline tout d’abord le long de la Seine, de Paris jusqu’à son embouchure, puis à Giverny au bord de l’Epte, enfin de son propre bassin. 

De son bateau-atelier, Claude Monet a lui-même brossé cinq versions distinctes. La première, également peinte en 1874, s’offre à voir comme le portrait même de son lieu de travail. Sur fond de berge, l’esquif déserté de son capitaine occupe le centre de la toile et son reflet sur l’eau lui confère une présence duelle. Les quatre autres versions datent de 1876. Si sur trois d’entre elles le bateau et la silhouette du peintre sont perdus dans le paysage fluvial qui les encadre, Monet redonne toute son importance à son atelier dans la quatrième, s’y représentant en silhouette quasi fantomatique à l’intérieur.

À parcourir l’œuvre peint de l’artiste, on prend vite la mesure de la prégnance du thème de l’eau et ce, dès le début de sa carrière. Pour sa première participation au Salon, en 1865, Claude Monet présente deux vues de l’estuaire de la Seine prises l’une à Honfleur, l’autre à Sainte-Adresse. Le succès est total. Quoiqu’il leur trouve un certain manque de « finesse », Paul Mantz, le critique d’art de la Gazette des Beaux-Arts, y voit un talent prometteur. Il y vante « le goût des colorations harmonieuses dans le jeu des tons analogues, le sentiment des valeurs » et « une manière hardie de voir les choses et de s’imposer à l’attention du spectateur ». Monet, qui n’a que 25 ans, ne pouvait espérer mieux.  

La dissolution des formes
Non seulement Monet s’en prend très tôt à des motifs liés à l’eau, mais il marque un faible pour les paysages de neige, dont La Pie (1869) est l’un des fleurons. Installé à Argenteuil dans les années 1870, il multiplie les bords de Seine, jouant aussi, selon l’exemple de Boudin, du mouvement des nuages et s’appliquant à mêler dans une même unité plastique l’échange subtil de l’air et de l’eau. Monet lie tout ce qui vit dans une seule et même énergie, que ce soient les scènes de foule des grands boulevards, les champs de coquelicots, les fumées de la gare Saint-Lazare, l’herbe qui ondule sous l’eau, voire l’écharpe de l’un de ses modèles dans le vent. Il est le peintre de l’élémentaire et le principe de la série n’a pour effet que d’excéder cette mesure. 

« Acceptation par le peintre de la fuite du temps, de l’éphémère. Nouvelle manière de voir, de sentir, d’aimer la nature… Basée sur le pouvoir de la lumière, l’exaltation colorée a pour conséquence la négation des contours – ou limites. L’œuvre achevée trouve son point d’équilibre dans la fusion des éléments… », note Masson en décembre 1952 dans la revue Verve

Que dire alors du frémissement lumineux des Meules, du balancement serpentin des Peupliers, des évanescences brumeuses des Matinées sur la Seine, enfin des Nymphéas et de ce flux essentiel qui les anime en dedans et jusqu’au-delà du cadre ? « On ne rêve pas près de l’eau sans formuler une dialectique du reflet et de la profondeur », écrit Gaston Bachelard dans son court essai sur « Les Nymphéas ou les surprises d’une aube d’été », dans le même numéro de Verve. Éloge du flux et de l’abîme à l’aune d’une poétique de la rêverie.

À Giverny
Dans les jardins de la fondation Claude Monet, ce sont les fleurs qui rendent hommage au chef de file de l’impressionnisme. Les différentes variétés visibles dans les tableaux du peintre, telles que les agapanthes, hémérocalles, glaïeuls, tournesols, chrysanthèmes, jusqu’aux fameux nymphéas, y sont replantées. Ces fleurs, dont l’artiste n’eut de cesse de chercher à traduire les effets lumineux, sont à l’honneur chaque année, de juin à octobre.
En septembre, les fleurs estivales cèdent leur place aux chrysanthèmes et aux tournesols. www.fondation-monet.com

À visiter
Du 7 octobre au 20 février, le musée Marmottan Monet à Paris présentera, parallèlement à la rétrospective du Grand Palais, l’exposition « Claude Monet, son musée ». Pour la première fois, l’intégralité de la collection Monet, la plus riche au monde, sera présentée au public, soit 136 œuvres du maître. www.marmottan.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°627 du 1 septembre 2010, avec le titre suivant : Monet et l’eau

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