Art ancien

Chantilly, un cygne sur un lac

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 18 mai 2010 - 1251 mots

Du Moyen Âge au xixe siècle, le domaine de Chantilly offre une plongée dans l’histoire de France en même temps que dans celle de l’art et de l’architecture.

« Pourquoi m’a-t-on emmené sept fois à Versailles et jamais encore ici ? », interrogea le président américain Richard Nixon lors de sa visite officielle au château de Chantilly en 1968. Situé à l’écart des grands axes touristiques et protocolaires, à une quarantaine de kilomètres au nord de Paris, le château de Chantilly est un véritable joyau du patrimoine français, abrité dans un parc de 240 hectares.

Du château fort à la demeure princière
Forteresse au Moyen Âge sous la famille d’Orgemont, le lieu fut habité jusqu’à la fin du xixe par des familles princières qui, chacune leur tour, firent intervenir de grands architectes pour agrandir et restaurer le lieu. Vers 1560, le connétable Anne de Montmorency érige le Petit Château, qui demeure aujourd’hui la partie la plus ancienne du lieu, ainsi que sept chapelles, dont trois subsistent.
Sous l’impulsion de Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand Condé, André Le Nôtre, le jardinier de Versailles, remanie la totalité du parc et réalise des parterres qui resteront pour lui sa plus belle réalisation. Le château vit alors ses heures de gloire. Des réceptions sublimes au goût de crème « chantilly » sont organisées par le maître d’hôtel François Vatel. Les princes de tous pays ainsi que le roi Louis XIV y sont reçus en grande pompe. La Bruyère, La Fontaine, Bossuet croisent Racine et Mme de Lafayette. Molière élève un théâtre où il fait jouer la première de Tartuffe.

Au début du xviiie siècle, le duc de Bourbon, grand amateur de chasse à courre, fait construire pour ses chevaux les Grandes Écuries, un bâtiment magnifique où s’élève un dôme de vingt-huit mètres de haut. Abritant le musée du Cheval [réouverture en 2012], ce lieu unique accueille aujourd’hui des spectacles équestres de renommée mondiale où chevaux et écuyers font revivre les traditions d’autrefois.

Pillé à la Révolution, transformé en prison puis rasé quasiment intégralement, le château ne retrouvera sa splendeur qu’un siècle plus tard, grâce aux travaux entrepris par le duc d’Aumale (1822-1897) qui, faute de descendants, fit don du domaine à l’Institut de France en 1884. Grand collectionneur et bibliophile, il fit intégrer dans les plans un musée, le musée Condé, pour abriter sa collection de peintures, considérée aujourd’hui comme l’une des plus belles au monde.
Grâce au soutien de l’Aga Khan, qui créa en 2005 une fondation pour gérer le domaine pendant vingt ans (et fit un don de 30 millions d’euros), des travaux de restauration sont entrepris pour rajeunir le château, ce « cygne posé sur un lac » disait le duc d’Aumale.
 

1 Musée Condé - Un petit Louvre
Constituée en grande partie par le duc d’Aumale, le dernier propriétaire des lieux, la collection de peintures anciennes (avant 1850) représente le premier ensemble en France après le musée du Louvre. Comme toute grande collection de l’époque, celle-ci inclut des tableaux italiens anciens et antiques (une centaine sur huit cents œuvres au total), parmi lesquels trois Fra Angelico, des œuvres de Filippino Lippi, de Raphaël, du Guerchin ainsi que le célèbre portrait de Simonetta Vespucci par Piero di Cosimo. Celle-ci fut la maîtresse du grand-duc de Florence et l’une des plus belles femmes de son époque.
Dans la section des peintures françaises, on retrouve les portraits de tous les rois de France du xvie siècle, ainsi que de véritables perles de Nicolas Poussin (Le Massacre des Innocents), Watteau, Greuze, Delacroix, Géricault et Ingres. Inchangée depuis sa création selon les exigences du duc d’Aumale, la disposition des œuvres, particulièrement surchargée, est l’un des rares exemples du goût et de la muséographie traditionnels du xixe siècle.

2 Les jardins - Chefs-d’œuvre de Le Nôtre
De toutes ses réalisations, André Le Nôtre préférait les parterres de Chantilly. Dessiné à la fin du xviie siècle, le jardin a la particularité de disposer d’un axe qui ne passe pas par le château, mais par la statue du connétable Anne de Montmorency. La perspective file ainsi de la grille d’honneur vers le canal, les jardins et la forêt. On retrouve cependant la structuration architecturale fétiche du jardinier autour de deux axes perpendiculaires ainsi que la présence de nombreux bassins, appelés des « miroirs ».
En imaginant une dérivation de la Nonette, affluent de l’Oise, Le Nôtre fit de l’eau l’élément phare du jardin. Il profita de l’inclinaison naturelle du terrain pour réaliser des jets d’eau capables de fonctionner en permanence, contrairement à ceux de Versailles qui n’étaient activés qu’à l’arrivée du roi. Grâce au curage récent de plus de dix kilomètres de canaux, les circuits d’eau originels ont été retrouvés et des jets d’eau de 5 mètres de haut animent à nouveau les parterres. Les jardins à la française sont encadrés par deux jardins plus récents : un hameau rustique du xviiie siècle et un jardin anglais créé au xixe siècle.

3 La Singerie - Les commanditaires en singes
Extrêmement rare en France et en Europe, la Grande Singerie [restaurée en 2008] est un boudoir situé dans les grands appartements du château. Décoré en 1737 par le peintre animalier Christophe Huet pour le prince de Condé, ce salon abritait la collection de porcelaines et d’objets extrême-orientaux de Louis-Henri, prince de Condé. Il doit son nom aux peintures qui recouvrent ses murs, son plafond et ses portes. Reproduites directement sur les lambris en bois, celles-ci représentent des singes et des magots chinois, une iconographie très en vogue à l’époque où la Compagnie des Indes importait des objets venus d’Asie.
Entre les six grands panneaux de bois, Huet a peint des allégories des arts et des sciences auxquelles s’ajoutent des allégories relatives aux différentes activités des princes de Condé. Si l’on regarde de plus près, on remarque que le peintre a glissé à plusieurs reprises des clins d’œil à ses commanditaires, les princes de Condé, qu’il représente en singes.

4 Grandes Écuries - La marque de fabrique de Chantilly
Situées sur le domaine, les Grandes Écuries ont été construites entre 1719 et 1735 par l’architecte Jean Aubert pour le duc de Bourbon, septième prince de Condé. Temple sublime et imposant (186 mètres de long) dressé en hommage aux chevaux, les Grandes Écuries firent la renommée de tout le domaine et conduisirent la notoriété de la vénerie (chasse à courre) à son apothéose. Le bâtiment comprend deux nefs, où étaient abrités autrefois plus de 240 chevaux, et un dôme de 28 mètres de hauteur.
Orné d’un décor figurant des trophées de chasse, le dôme fut le théâtre de festivités somptueuses données en l’honneur de Louis XV, des rois de Suède et de Prusse. Restauré, le lieu, qui devrait accueillir des concerts de musique classique, est le cadre de spectacles équestres ainsi que de démonstrations de dressage. Créé en 1982, le musée vivant du Cheval, qui rouvrira en 2012, a acquis une réputation internationale à travers sa formation de cavalières sélectionnées parmi les meilleures écuyères de France.

Repères

1528 Le connétable Anne de Montmorency entreprend la rénovation du château médiéval.

1560 Construction du Petit Château, aujourd’hui bâtiment le plus ancien du domaine.

1674 Le Grand Condé fait dessiner les jardins par Le Nôtre.

1774 Hameau, qui inspirera celui de Marie-Antoinette à Versailles.

1799 Vendu suite à la Révolution, le Grand Château est rasé.

1885 Le duc d’Aumale confie la reconstruction du Grand Château à Daumet.

1898 Ouverture du musée Condé.

2006 Fondation Aga Khan.

2009 Restauration du parterre Le Nôtre.

Autour du château

Jusqu’au 16 août 2010, le musée Condé organise deux expositions commémorant les quatre cents ans de l’assassinat d’Henri IV.
1. « Henri IV », présente des sculptures, miniatures et tapisseries mettant en scène le roi et son entourage, de Marie de Médicis à Sully, sans oublier sa maîtresse Gabrielle d’Estrées. En contrepoint, manuscrits et peintures du xixe siècle expliquent comment s’est forgé, à l’époque du duc d’Aumale, le mythe du bon roi Henri IV.

2. « Il faut tuer le roi. Complots et attentats contre le monarque en France » livre, elle, les secrets du meurtre du roi par Ravaillac. www.chateaudechantilly.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°625 du 1 juin 2010, avec le titre suivant : Chantilly, un cygne sur un lac

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