Les meilleurs amis des petits musées

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 26 avril 2010 - 1740 mots

Sans leur société d’amis, beaucoup de petits musées n’auraient pas vu le jour ou ne pourraient pas fonctionner. Bien organisées, elles servent souvent de relais au rayonnement des institutions.

La société des Amis du musée de Ville-d’Avray s’est créée en 1985 pour constituer une collection sur l’histoire de cette commune de la banlieue ouest de Paris, dans l’espoir un jour de fonder un musée. De nombreux livres, photos, peintures du xviiie au xxe siècle ont ainsi été récupérés grâce à des dons ou des achats en ventes publiques, mais l’écrin pour les présenter n’existe toujours pas.

La Société de peinture de Pont-Aven a eu plus de chance, certains membres n’ayant pas hésité à se faire élire au conseil municipal pour avoir davantage d’influence : un musée a vu le jour en 1985, bien que n’étant pourvu d’aucune œuvre d’art ! Aujourd’hui, l’établissement en compte un millier et peut se targuer de fédérer 400 bénévoles.

Même scénario à Oyonnax où un groupe d’amis, industriels, artisans, enseignants, s’est ému dans les années 1970 de voir que des créations finement travaillées un siècle auparavant dans les ateliers locaux – ornements de coiffure, accessoires de mode, lunettes – rejoignaient les brocantes parisiennes. Réunis au sein d’une association, ces bénévoles ont collecté pièces rares, machines, outils, témoignages, et, avec l’appui de la Jeune Chambre économique, ont su convaincre la municipalité de l’intérêt de créer un musée. À présent, l’Association des amis du musée du Peigne et de la Plasturgie, forte de 350 sympathisants, assure des journées de démonstration, intervient dans les écoles, enrichit la collection, apporte son expertise et milite pour la refondation du musée dans une ancienne usine classée, La Grande Vapeur, pour lui permettre de se déployer vers les matériaux du troisième millénaire.

Associations de bienfaiteurs attachés à l’histoire locale
Bon nombre de petits (ou moins petits) musées en France ont ainsi une origine associative. « Les grands créateurs de musées en France, ce sont les associations. La plupart des petits établissements sont aujourd’hui devenus municipaux. De ce fait, les maires comprennent l’intérêt de ces sociétés d’amis qui se mobilisent pour faire de ces sites des lieux de culture et d’intégration », observe Jean-Michel Raingeard [p. 25]. Et de citer, par exemple, le travail d’insertion mené par les amis du musée La Piscine de Roubaix ou par ceux du Carré d’Art de Nîmes afin de faire des populations défavorisées ou issues de l’immigration des hôtes privilégiés de ces établissements.

Fortement ancrés dans la vie locale, les petits musées cherchent à garder trace d’un métier, d’une coutume, d’un savoir-faire, d’un personnage emblématique, et suscitent un vif intérêt de la part des habitants. Comment comprendre l’économie actuelle de Saint-Étienne sans une visite au musée d’Art et d’Industrie ou l’histoire sociale de Calais sans une virée au musée de la Dentelle ? Ces histoires locales ne sont plus forcément enseignées à l’école, et les amis des musées sont généralement très actifs pour les faire découvrir.

À Dreux, un groupe d’adhérents du musée des Archives se retrouve régulièrement pour déchiffrer et recopier les délibérations du conseil de ville prises au xviie siècle et consignées dans quatre registres, soit 2 200 pages manuscrites ! L’écomusée du Pays de Rennes organise des animations avec l’aide de ses amis pour permettre aux 40000 visiteurs annuels de mieux comprendre les activités rurales traditionnelles, de la tonte des moutons à la transformation des pommes…

Touche-à-tout, les sociétés d’amis des petits musées ne manquent ni de pragmatisme ni d’imagination pour s’adapter à tous les types de musées, de publics, et proposer les approches les plus festives comme les plus sérieuses. Les sympathisants du musée de l’Hydravion à Biscarosse organisent 85 baptêmes par an, ceux du musée Renoir à Cagnes vont jusqu’à se costumer pour un déjeuner célébrant le centenaire de l’installation du peintre au domaine des Collettes, ceux du musée Fabre convient les adhérents sur les lieux peints par Courbet, en complément d’une exposition de l’artiste au musée.

Du temps et des ressouces dont manquent les petits musées
Lors des événements majeurs de l’histoire locale, les amis répondent aussi présent, comme c’est le cas cette année pour Chambéry qui célèbre le 150e anniversaire du rattachement de la Savoie à la France. N’ayant pas qualité à traiter du sujet sur le plan historique, ils s’attachent à illustrer cette annexion en présentant les travaux de nombreux peintres, graveurs, caricaturistes.

Les amis du musée des Beaux-Arts de Quimper, pendant l’exposition consacrée à Yves Tanguy, ont assuré une permanence quotidienne dans la maison familiale de l’artiste, à Locronan, pour échanger avec les visiteurs en complétant leur information par un film, des archives et des photographies. Jamais les professionnels ne pourraient organiser tout cela sans ces bénévoles.

Parmi les priorités des sociétés d’amis, les jeunes, pour qui de nouveaux services sont parfois imaginés, comme celui qui a été conçu pour les scolaires au musée des Beaux-Arts de Rennes, repris ensuite par la municipalité. « Au musée Fabre, nous avons proposé “Artmusons-nous” en direction des familles, car en touchant les enfants, on attire aussi les parents jeunes », constate Gaby Pallares qui fut pendant dix-neuf ans présidente de l’association d’amis. Assurer la relève est aussi une préoccupation de ces bénévoles ! Les Amis des Granges de Port-Royal accueillent régulièrement des collégiens de classes d’horticulture poursuivant leur projet de recherche sur les jardins de l’abbaye, de même que des enfants de centres de loisirs pour des ateliers environnement.

Des initiatives et des réseaux tournés vers l’extérieur
Le fonctionnement associatif permet aux bénévoles d’être très réactifs, notamment quand le musée est en travaux. Ainsi, la présidente de la société des amis du musée Fabre a tenu pendant deux ans des ateliers sur l’art dans un bistrot voisin et des expositions dans un pavillon proche. L’association Amuséum, à l’origine d’animations familiales et de produits pédagogiques, s’investit pour maintenir des activités pendant la fermeture pour rénovation du muséum d’Histoire naturelle de Bordeaux.

À Morlaix, depuis la décision de la commission municipale de sécurité d’interdire en 2004 l’accès à l’église des Jacobins où était présentée la collection du musée de la ville, la société des 240 amis se mobilise pour trouver un nouveau site, aide à l’entretien des meubles et objets, organise des conférences, soutient les acquisitions, encourage les donations.

Les sociétés d’amis participent au rayonnement des musées en tissant des réseaux, en créant des passerelles avec d’autres sites ou acteurs. Celle de Lorient avait en charge, jusqu’en 2006, la boutique du musée de la Compagnie des Indes et gérait les achats des ouvrages, des étoffes, de la vaisselle commercialisés. Elle a fait réaliser des répliques de porcelaines appartenant à la collection du musée. La ville, qui a repris la boutique, a poursuivi cette politique.

Les amis du musée des Beaux-Arts de Quimper sont partenaires pour l’accueil de conférences de l’École du Louvre et ont pris l’initiative d’organiser des présentations en relation avec les grandes expositions parisiennes telles que « Picasso et les maîtres ». À Carnac, les amis montent des cycles sur le mégalithisme ou la préhistoire dans lesquels interviennent archéologues, responsables de musées, étudiants, chercheurs… Ils proposent aussi des sorties culturelles tant dans les musées voisins qu’en France ou à l’étranger.

Si dans les musées prestigieux, on peut craindre parfois l’élitisme des associations de sympathisants, rien de tel dans les établissements plus modestes où ces clubs sont d’efficaces vecteurs de promotion sociale. Beaucoup de musées à faible budget sont aujourd’hui dans une situation délicate, l’accès à la culture reste fragile, et avec lui la démocratisation des publics. La dimension pédagogique des actions des amis des musées et leur mobilisation pour trouver des fonds s’avèrent plus que jamais indispensables.

Paris/Languedoc-Roussillon : deux exemples très différents

Est-ce le cadre bucolique de l’hôtel Scheffer-Renan, au cœur de la Nouvelle Athènes à Paris, qui favorise des relations courtoises et raffinées ? Toujours est-il qu’entre le musée de la Vie romantique et sa très distinguée société d’amis, on ne peut rêver entente plus cordiale. Il faut dire qu’au conseil d’administration des amis, il y a du beau monde : Solange Thierry-de Saint Rapt, la présidente, est l’ancienne propriétaire du magazine L’œil et commissaire d’exposition à ses heures.

À ses côtés, Élisabeth Ponsolle des Portes, qui dirige le Comité Colbert, Olimpia de Rothschild, Louis-Antoine Prat, spécialiste du romantisme, Didier Wirth, président du Comité des parcs et jardins de France… Les cotisations s’échelonnent de 20 euros pour les étudiants à 2 500 euros pour les entreprises.

Les 400 amis du musée de la Vie romantique forment « un cercle de privilégiés » décidant d’activités « entre soi » : accès privé à des activités culturelles réservées, lundis romantiques une fois par mois avec concert et cocktail soutenus par le mécénat de BNP Paribas qui y convie aussi ses invités, gratuité aux expositions temporaires de la Ville de Paris…

Ce « club » bénéficie aussi d’une grande connivence avec le conservateur Daniel Marchesseau, y compris sur les acquisitions auxquelles les amis apportent un budget de 30 000 à 40 000 euros par an. « Nous menons ensemble une réflexion sur les achats. L’autre jour, on nous a proposé une aquarelle que nous avons trouvée un peu “froide�? ; donc nous n’avons pas participé à son financement », reconnaît Solange Thierry-de Saint Rapt, qui évalue à 1 000 heures par an le travail des bénévoles.

Des amis militants
Changement de décor en Languedoc-Roussillon. Le groupement des associations d’amis de vingt-trois musées de cette région, présidé par Gaby Pallares, professeur de lettres de formation, est avant tout militant. « Les musées sont des lieux de découverte et d’expérimentation pour tous, et nous sommes là pour les ouvrir à tous ceux qui n’osent pas y entrer. » Ici, les adhérents ont un profil plus « populaire » et font face à des situations souvent problématiques.

À Sérignan, le maire est soucieux d’alléger les finances locales et cherche à se désengager : du coup, il n’y a pas de conservateur depuis plusieurs mois. À Lodève, les élus sous-estiment le phénomène culturel. « Ils ne se rendent pas compte à quel point le musée a contribué au rayonnement de ce territoire touché par le chômage. Le nouveau conservateur est là pour serrer la vis, c’est dommage. » À Montpellier, la maire Hélène Mandroux, médecin de formation, a moins la fibre culturelle que son prédécesseur, Georges Frêche, et n’a jamais pris la peine de recevoir l’association des amis du musée Fabre. « Avec 1 700 adhérents, nous représentons pourtant un poids dans la ville ! », déplore Gaby Pallares.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°624 du 1 mai 2010, avec le titre suivant : Les meilleurs amis des petits musées

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