Rotterdam - Foyer des architectes et des designers

Par Pierre Morio · L'ŒIL

Le 24 mars 2010 - 1020 mots

Partir à la découverte de Rotterdam, c’est aller au-delà de son aspect industriel pour rencontrer les jeunes créateurs qui font vivre le milieu culturel. Une fois le vélo enfourché, il suffit de se laisser guider…

Rotterdam, premier port industriel européen, troisième au niveau mondial, est surtout connue comme place forte du marché des hydrocarbures. C’est oublier bien vite une de ses figures tutélaires : Érasme, humaniste de la Renaissance, est originaire de la ville. Ville industrieuse certes, mais aussi curieuse et ouverte sur le monde.

Sa position stratégique, entre Manche et mer du Nord, lui a valu un développement et un épanouissement dès le xie siècle, pour devenir au fil des siècles un passage obligé pour le commerce entre l’Angleterre et l’Allemagne. Plaque tournante de la Vereenigde Oostindische Compagnie, la Compagnie des Indes orientales hollandaise, les richesses y affluent de tous les continents. Poursuivant son essor à la Renaissance et au xviiie siècle, Rotterdam sait tirer profit de sa géographie dans le courant du xixe siècle, quand l’Europe opère sa révolution industrielle. Toutes les matières premières transitent par son port, desservant ensuite le continent via le chemin de fer.

Van Lieshout et les autres
Mais cela lui a aussi fait connaître bien des déboires, et de lourds dégâts lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. La Luftwaffe pilonna le centre-ville en 1940, le réduisant à néant. Là où Amsterdam n’a que peu souffert des destructions, conservant une partie de son patrimoine, il a fallu donner à Rotterdam un nouveau visage. Hormis quelques zones préservées, vers le Nieuwe Binnenweg et le long du canal de l’Eendrachtsweg, où l’on peut encore voir ces maisons de brique rouge typiques de la région, cet élan de reconstruction souffle toujours sur la ville. En renouvellement permanent, peu chère aussi, la ville a vu se développer de nombreux projets architecturaux, et arriver les créateurs hollandais en quête d’espace.

Mais, paradoxalement, peu de galeries viennent y ouvrir un espace. Le marché reste concentré à Amsterdam, la capitale n’est, il est vrai, qu’à une demi-heure de train. Cette dichotomie n’émeut pourtant pas Rotterdam qui a compris qu’elle pouvait redorer son image grâce à cette scène culturelle vivante.

De grandes agences d’architecture y ont établi leur siège, à l’instar de Rem Koolhaas et de son agence OMA (Office for Metropolitan Architecture). Il ne faut pas manquer d’aller voir ses réalisations tels que la Kunsthal, le Museumpark, les locaux de l’Alliance française et l’énorme chantier, près du pont Érasme, d’une triple tour imbriquée prévue pour 2013.

La ville a aussi été choisie par l’Atelier Van Lieshout, qui s’est installé dans un ancien entrepôt au bord de la rivière Maas. Le bâtiment, appelé Katoenveem (on y stockait les balles de coton), est le premier entrepôt réalisé en béton et date de 1920. C’est ici que sont pensés, développés, fabriqués les objets de Joop van Lieshout et de son équipe de designers-artistes. Peu sont visibles dans la ville (à noter l’installation sur le Coolsingel), mais largement diffusés partout sur la planète.

L’architecture d’intérieur n’est pas en reste. Cafés et restaurants misent autant sur leur décoration que sur leur carte. Sa qualité de port fait de Rotterdam une ville ouverte à toutes les influences culinaires. Sur la Witte de Withstraat, l’on passe ainsi de l’ambiance marocaine colorée et pleine de saveurs du Bazar à la décoration extrêmement sobre et zen du restaurant japonais Ono. Sans oublier, à deux pas de là, le café De Unie, exemple d’architecture De Stijl, groupe conduit par Theo van Duisburg et Piet Mondrian. L’original a été détruit pendant les bombardements allemands mais, en 1986, un architecte a reproduit sa façade à l’identique sur un bâtiment en bord de canal.

Complexes d’artistes
Les architectes ne sont pas les seuls à s’être approprié la ville. Les friches industrielles n’ayant pas toutes été détruites pour faire place à de nouvelles structures, les artistes s’en emparent, avec le soutien de la municipalité qui en a réhabilité quelques-unes. Le fer de lance de ces initiatives est le Kunst & Complex. En 1981, un groupe d’artistes rotterdamois s’unit pour créer des ateliers, travailler et exposer ensemble. Ils s’installent dans une usine désaffectée située dans la zone industrielle sud du port. Sept mois seront nécessaires pour rendre les lieux habitables. Et, depuis, plus d’une vingtaine d’artistes vivent et travaillent là, offrant la possibilité à des artistes étrangers de venir en résidence. 

Cette impression de liberté se traduit par une envie de croiser les disciplines. La plateforme de création De Player mêle ainsi musique, vidéos, performances et graphisme dans un souci de tisser des liens entre ces disciplines. Le lieu produit ainsi des albums, objets tirés à cinquante exemplaires, où l’artiste réalise tout, de la pochette au contenu du vinyle. Des concerts et des soirées expérimentales viennent animer cette enclave artistique dans un quartier ouvrier du sud de la ville.

Pour aller à la rencontre de cette vitalité, il suffit d’enfourcher son vélo. Car aucune excuse n’est possible, son absence de relief, l’incroyable étendue du réseau de pistes cyclables et sa taille relativement humaine offrent les conditions idéales pour une flânerie en deux-roues!

Museum Boijmans van Beuningen
Le musée est un des fleurons européens, par sa collection, certes restreinte – seulement 1 200 œuvres d’art ancien – mais riche de quelques chefs-d’œuvre. C’est ici qu’il faut venir pour admirer la Tour de Babel de Brueghel l’Ancien, mais aussi des œuvres de Jérôme Bosch (Le Pèlerin), de Jan van Eyck, Chardin, Degas, Kandinsky, Van Dongen, Magritte et les surréalistes. L’art contemporain y est également représenté, avec une programmation d’expositions qui fait la part belle aux créateurs les plus récents.
www.boijmans.nl

Witte de With Center for Contemporary Art
Le Witte de With célèbre cette année ses 20 ans d’existence. Créé en 1990, son objectif était d’introduire l’art contemporain au cœur de Rotterdam de façon différente des propositions de l’époque. Financée à 100 % par des fonds publics, l’institution, qui ne possède pas de collection, a fait évoluer ses missions et se charge désormais de la production et de la diffusion, via un réseau d’institutions européennes partenaires, tout en poursuivant ses cycles d’expositions confiées à des commissaires internationaux.
www.wdw.nl

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°623 du 1 avril 2010, avec le titre suivant : Rotterdam - Foyer des architectes et des designers

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