Isadora Duncan - La déesse aux pieds nus

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 22 décembre 2009 - 859 mots

Sa vie fut une pure tragédie, sa danse, une incroyable révolution. Isadora Duncan (1827-1927) bouscula toutes les conventions et inspira les artistes de son époque. Hommage tout en mouvements au musée Bourdelle, à Paris.

Une vie outrageusement libre, une fin théâtrale, deux enfants et un mari tragiquement disparus, des amours scandaleuses et un corps puissant dont elle fit l’instrument de chorégraphies magnétiques. Isadora Duncan fut muse, pédagogue, féministe, mystique et révolutionnaire. En déesse antique aux pieds nus, sur scène ou ailleurs, elle est celle qui, s’affranchissant radicalement des codes en vigueur, dansait pour être « vague, vent, arbre, nuée, lumière ». Elle est aussi, dans la mémoire collective, celle qui, à Nice, se tua un soir de septembre 1927, étranglée par son écharpe prise dans la roue arrière d’une Bugatti.

Ses chorégraphies antiques enflamment la bourgeoisie
Benjamine d’une fratrie de quatre enfants, Angela Isadora Duncan naît à San Francisco en 1877 dans un milieu bourgeois libéral. Elle n’a pas trois ans quand son père, banquier, connaît faillite et disgrâce et quitte le foyer pour un meilleur mariage. Baignée dans un anticonformisme bon teint, la petite famille s’installe à Oakland et vivote dans l’amour de l’art et de la philosophie. La mère, Dora, pianiste et professeur de musique, est bientôt soutenue par la petite fille, mal à son aise dans le conformisme scolaire. Isadora n’a que onze ans. Elle danse déjà et donne des cours aux gamines du quartier.
 
À 21 ans, son destin s’emballe. Londres d’abord, où elle secoue la bonne société en donnant des représentations privées, puis Paris, où ses chorégraphies archaïques improvisées sur un modèle antique laissent deviner de longues jambes musclées sous de vaporeuses tuniques grecques. Elle devient l’amie des artistes, des compositeurs, des musiciens, et la coqueluche des bourgeois qui s’enthousiasment pour cette nudité, plus sportive que voluptueuse. Elle se produit partout en Europe, danse Tannhäuser à Bayreuth, Orphée au Châtelet, Œdipe au Carnegie Hall, et même au théâtre du Bolchoï à Moscou. Sa notoriété est telle qu’elle est sculptée par Bourdelle, peinte par Eugène Carrière et Maurice Denis, photographiée par Edward Steichen.

L’aventure, l’alcool et la mort, la trilogie de la tragédie Duncan
Mais Isadora Duncan ne goûte guère les contraintes de la notoriété. Si elle s’y plie, c’est pour mieux transmettre son art comme on transmet une philosophie de vie. Au programme : une éducation pour tous, libérant Beauté et Harmonie. La jeune femme ouvre alors des écoles de danse, en Allemagne d’abord, en France, aux États-Unis, en Russie et forme avec un sens ardent de la pédagogie ses « Isadorables », dont elle fait des danseuses aussi scandaleuses que disciplinées.
 
Ce qui n’empêche pas sa vie privée de connaître des turbulences. De ses amants et amantes, Isadora ne fait pas mystère. À son palmarès, Jules Grand-jouan, dont les croquis donneront de précieuses indications chorégraphiques, le dramaturge Henry Bataille, la poétesse Mercedes de Acosta, l’écrivaine Natalie Barney ou, si l’on en croit ses mémoires, l’aviateur Roland Garros en 1918, à propos duquel elle rapporte une scène nocturne et fantasque en diable : sur la place de la Concorde, lui assis sur la margelle de la fontaine, elle dansant pour lui, tandis que crépite un raid aérien.
 
De ces liaisons tumultueuses elle a deux enfants. L’un en 1906 avec Edward Gordon Craig, acteur et décorateur de théâtre fantasque, l’autre en 1910 avec Paris Singer, héritier des machines à coudre du même nom. Mais les deux petits se noient avec leur nourrice en avril 1913, alors que la voiture qui les ramenait à Paris dévale dans la Seine en évitant une collision. Isadora est terrassée.
 
C’est le début d’une série de déboires professionnels et sentimentaux. Elle boit, trop, se fait oiseau de nuit et rencontre Sergueï Essenine, de dix-huit ans son cadet, qu’elle épouse en 1921. Il est poète, beau comme la lune, violent, dépressif et, comme elle, a embrassé les promesses d’émancipation de la révolution russe. Leurs bagarres incessantes sur fond d’alcool les exposent pendant deux ans à une publicité agitée. Essenine la quitte en 1924 avant de se suicider en 1925, à l’âge de trente ans.
 
C’est encore un soir de fête, en suivant le jeune Benoît Falchetto, séduisant vendeur de Bugatti, qu’Isadora Duncan prend place dans la voiture qui la tuera. Elle a cinquante ans. Et le 15 septembre 1927, Le Petit Parisien rapporte : « Sans qu’elle pût ni appeler, ni faire un geste, Isadora fut serrée si violemment qu’elle succomba presque aussitôt, étranglée. Mais, l’écharpe la tirant toujours, son corps bascula et finit par tomber sur la chaussée de la promenade des Anglais. On la releva abîmée, couverte de poussière de sang. »

Biographie

1877
Isadora Duncan naît à San Francisco.

1899
Départ pour Londres puis Paris.

1902
Tournée avec Loïe Fuller.

1903
Publie La Danse de l’avenir.
Un an plus tard, elle ouvre sa première école.

1909
Consécration à Paris.

1913
Bourdelle s’en inspire pour les reliefs de la façade du Théâtre des Champs-Élysées.
Mort de ses 2 enfants.

1920
Succès parisiens.

1923
Fin d’une tournée américaine désastreuse.

1926
Écrit son autobiographie suite à des difficultés financières.

1927
Décède à Nice.
Publication posthume de My Life.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°620 du 1 janvier 2010, avec le titre suivant : Isadora Duncan - La déesse aux pieds nus

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