Olivier Poivre d’Arvor

« Pour le rayonnement de la France, il faut agir vite »

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 26 août 2009 - 1925 mots

Directeur de Culturesfrance, ancienne AFAA, le frère cadet de PPDA raconte son parcours atypique et donne sa vision de la culture française dans le monde.

Avec Culturesfrance vous avez investi peu à peu toutes les disciplines artistiques. Qui vous a transmis le goût des arts ?
Olivier Poivre d’Arvor : J’ai eu une enfance assez solitaire à Reims. J’ai été formé par mes deux grands-pères : l’un, autodidacte, passionné de poésie et de peinture, et l’autre, héros d’aviation, qui me faisait des récits de l’Aéropostale. Je me suis construit ainsi par procuration, en m’inventant des vies. Ensuite, je suis parti à Rouen étudier la philosophie. La rencontre avec une enseignante a été déterminante et m’a conduit jusqu’au DEA de philosophie à la Sorbonne.  J’aime cette idée d’avoir des maîtres :  Descartes, Hegel, Nietzsche, Kierkegaard… Je pensais enseigner cette discipline. Et puis je penchais plus du côté de l’étude des textes que du côté de la méthode des nouveaux philo­sophes…

Et là vous embrassez plutôt une carrière littéraire ?
Mon premier employeur a été l’écrivain polémiste Jean-Edern Hallier. Il m’a hébergé deux ans chez lui et m’a nommé directeur des Éditions Libres Hallier. Là, j’ai pu observer les dessous du monde littéraire. C’était très formateur et Jean-Edern Hallier avait une folie réelle !
Je suis ensuite devenu conseiller littéraire chez Albin Michel puis Balland et j’ai écrit mon premier livre : Apologie du mariage. J’ai aussi publié un essai sur saint Sébastien, icône des homosexuels : ce milieu, assez intellectuel et militant, me fascinait alors. Et puis un premier roman épistolaire, Le Roman de Virginie coécrit avec mon frère Patrick. Je me cherchais encore…

Vous avez été tenté, comme  votre frère, de vous tourner vers le journalisme ?
J’avais de manière générale une fascination pour le papier. Mon premier article a été pour Art Press et portait sur Balthus. J’ai rédigé aussi pour Le Matin, La Croix. Et, avec mon ami Philippe Thureau-Dangin, nous avons créé l’hebdomadaire TEL – Temps, Économie, Littérature – qui traduisait déjà la presse étrangère et fut le précurseur de Courrier international. L’expérience a duré environ huit mois. Une rupture de plus !
À travers ces différentes approches du monde, je n’avais pas encore trouvé ma voie… J’ai alors obtenu les droits d’adaptation des Enfants terribles de Cocteau au théâtre et je suis devenu acteur, prenant des cours pendant trois ans. Le succès aidant, je m’y suis cru ! J’ai fondé la Compagnie du Lion, installée en Normandie, on pouvait vivre alors du régime des intermittents. À vingt-sept ans, mon parcours n’était pas encore très cohérent.

La notoriété de PPDA vous a-t-elle complexé et empêché de vous trouver plus rapidement ?
En fait cette notoriété, je n’en ai pris conscience que plus tard. J’ai épousé une Américaine, Héloise Dupond-Nivet, et j’ai obtenu la bourse Lavoisier pour aller écrire un livre sur la famille de ma femme, Dupond-­Nemours, aux États-Unis. C’est là-bas que j’ai découvert la célébrité de Patrick et que cela m’a gêné. Je ne pouvais pas faire un pas sans que l’on me demande : au fait, ton frère va bien ? Mais cela a été une libération pour moi de sortir des frontières, de parler une autre langue. Rentré en France, je suis allé au ministère des Affaires étrangères, c’était une époque où l’on envoyait facilement en poste, je suis parti comme directeur du centre culturel d’Alexandrie en 1988.

Qu’avez-vous appris là-bas ?
Beaucoup de choses : la chaleur, le langage des mains, l’arabe, la pauvreté, la politique même si j’avais déjà une conscience politique, plutôt marquée à gauche. D’ailleurs, j’admirais beaucoup Jack Lang, le fait qu’avec la gauche, la culture devenait une affaire d’État…
Pour la première fois en Égypte, je sortais de la société occidentale, je découvrais l’islam, le sous-développement, l’analphabétisme, les migrations de population. Cela m’a beaucoup marqué et explique aujourd’hui encore mon intérêt pour la question Nord-Sud. D’ailleurs, je sors en octobre un gros livre intitulé Alexandrie Bazar, aux éditions Mengès. Enfin, j’ai rencontré un métier passionnant : représenter un pays, sa culture.

Là commence le tour du monde ?
Je suis resté deux ans en Égypte, puis les Affaires étrangères ont ouvert de nouveaux postes en Europe Centrale, après la chute du mur de Berlin. En 1990, je suis parti rouvrir l’Institut français de Prague. C’était la fin des illusions politiques là-bas, la demande culturelle était énorme et nous avions les moyens de faire des choses intéressantes. Après quatre ans, on m’a proposé un must : diriger l’Institut français du Royaume-Uni, être conseiller culturel auprès de l’ambassade de France à Londres.

Toutes ces expériences vous ont-elles bien préparé à diriger ­l’Association française d’action artistique [l’AFAA] ?
Elles m’ont permis d’acquérir une transversalité géopolitique, puisque je suis passé par un pays en voie de développement, l’Égypte, un pays en reconstruction à l’Est, la République tchèque, et un pays représentant en quelque sorte l’Europe forte et le monde anglo-saxon, le Royaume-Uni. Sur le plan culturel, j’avais couvert toutes les disciplines artistiques et découvert à Londres le marché de l’art. De toute façon, j’ai toujours eu le souci de l’équilibre, je n’aime ni les exclusions ni les radicalités. Aussi me suis-je senti prêt effectivement quand, en 1999, Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, m’a proposé de diriger l’AFAA.

Vous étiez jusque-là un électron voyageur assez libre. La relation plus étroite avec vos ministères de tutelle vous a-t-elle pesé ?
Effectivement, je me suis rendu compte de ce qu’est l’État, le rôle des tutelles, les directives qui mettent du temps à arriver… Et je me suis aperçu aussi qu’au Quai d’Orsay, il y avait un tabou infranchissable : l’universalité. Aucune priorité n’était définie.

Votre liberté de ton vous a parfois valu quelques soucis ?
J’ai la réputation de dire « je », d’affirmer mes choix, c’est vrai. Si on n’a pas dit « je » avant de mourir, c’est triste ! Mais j’ai souvent dit « je » pour défendre les crédits de cette maison, parce qu’il fallait batailler auprès des nombreux ministres que j’ai vu défiler à la Culture comme aux Affaires étrangères. Car l’AFAA, par son statut d’association loi 1901, était très fragile. Perçue comme un entonnoir par où devait passer la culture française pour s’exporter, elle était aussi très critiquée. En six mois, je me suis fait beaucoup d’amis et beaucoup d’ennemis, d’autant que les gens vous prêtent des pouvoirs que vous n’avez pas ! Mais je me suis battu pour que l’AFAA survive, j’ai passé dix ans à demander des missions supplémentaires à l’administration, pas par ambition personnelle, juste par cohérence. Plus on est gros, moins on peut vous supprimer.

Pourquoi l’AFAA est-elle devenue Culturesfrance ?
Le sigle ne voulait plus dire grand-chose à personne. En 2006, quelqu’un m’a dit : alors, vous dirigez l’Action française ? Là, je me suis dit, il est temps de changer de nom ! J’ai choisi le nom « Cultures » avec un « s » pour exprimer la diversité, accolé à France pour mettre en avant l’identité de notre pays.

Vous souhaitiez aller plus loin, instituer une agence interministérielle unique pour le rayonnement de la culture et de la langue française…
Je suis loin d’avoir gagné, le réseau est encore réticent. Mais cela se fera, je pense. Bernard Kouchner a bien compris l’intérêt d’une agence. On a déjà accompli du chemin, l’AFAA avait 30 millions de francs de budget, Culturesfrance dispose de 30 millions d’euros.

Comment expliquez-vous une telle prolifération de rapports sur l’action culturelle de la France à l’étranger ?
On ne peut entretenir le même réseau qu’il y a dix ou vingt ans, certes. Et on ne mesure pas l’efficacité de ce dernier au nombre de mètres carrés ou de fonctionnaires installés à l’étranger. Tout le monde a un avis sur la question, car c’est un vrai sujet ! Celui de notre rayonnement, de notre image dans le monde. Le paradoxe c’est qu’en même temps le dossier est très technique et que la nation, elle, ne s’en empare pas.
Il faut agir vite maintenant, car l’édifice se lézarde de toutes parts. Et on n’est pas les seuls. Tous ceux qui ont eu de grands empires sont en reconquête, comme l’Espagne qui édifie de petits centres Pompidou en Amérique latine. D’ailleurs, il serait intéressant de réfléchir également à la présence parfois de centres culturels européens.

Le Sénat plaide pour un secrétaire d’État aux relations culturelles extérieures, qu’en pensez-vous ?
Avant, les Français étaient les seuls à penser que la diplomatie culturelle était importante, aujourd’hui partout on a compris que les idées, la création, l’innovation, influencent le monde, que ce n’est pas juste une cerise sur le gâteau. Hillary Clinton a parlé de « pouvoir intelligent ».
Ce « soft power », très tendance depuis deux trois ans, manque de portage politique en France ; moi je suis un opérateur, je n’ai pas la parole politique. Mais je pense, en effet, que nous aurions tout à gagner à avoir dans le gouvernement un secrétariat d’État chargé de la francophonie, de l’audiovisuel extérieur et des relations culturelles internationales.

Quel est l’enjeu pour la France, comment est-on perçu hors de nos frontières ?
En matière culturelle, c’est une tradition, la France est plus « attendue » que d’autres pays. La force d’une culture, on ne la mesure pas à sa faculté de s’imposer, mais à son acceptation, parce qu’on est les meilleurs et parce qu’on a la volonté d’accueillir la culture des autres. Et là nous sommes les champions d’une culture monde, nous disposons par exemple de la plus grande bibliothèque avec le plus grand nombre d’ouvrages traduits. Paul Auster a plus de lecteurs chez nous qu’ailleurs. Nos cinémas ne cessent de diffuser une large palette d’auteurs étrangers et le cinéma britannique était, il y a 10 ans, plus regardé en France qu’au Royaume-Uni.

Vous qui êtes un globe-trotter, quels modèles culturels vous ont fasciné dans vos pérégrinations ?
Les modèles qui me passionnent font le lien entre le culturel et le social, comme au Brésil. À São Paulo, il y a des espaces culturels dans les quartiers qui accueillent des populations défavorisées et où l’on peut aussi prendre soin de soi, faire du sport. Leur politique vise à la fois l’accès à la culture et l’intégration. En France nous avons probablement de nouveaux partenariats à inventer, mêlant public-privé.

Que pensez-vous du nouveau ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, qui après vous avoir soufflé la villa Médicis accède à un poste que vous convoitiez ?
Frédéric Mitterrand a la sensibilité, la fragilité, la popularité. Il a l’oreille du président de la République, donc il devrait avoir des moyens. Nicolas Sarkozy tente beaucoup de choses dans le domaine culturel, ce qui est une très bonne nouvelle. Cela dit, je n’ai jamais convoité la rue de Valois. Un poste de ministre, on ne se l’attribue pas soi-même !

Quels sont vos projets ?
Je prépare un livre sur le thème : comment sera la culture dans vingt ans ? Je suis persuadé que tout le monde sera artiste, avec la multiplication des moyens d’expression. J’ai de nombreux romans à écrire, un festival que j’ai créé à Toulouse, le Marathon des mots, à faire vivre et imaginer une formule similaire à l’échelle européenne…

Biographie

1958
Naissance à Reims.

1980
Conseiller littéraire chez Albin Michel.

1984
Crée l’hebdomadaire TEL.

1988
Directeur du Centre culturel français d’Alexandrie.

1990
Institut français de Prague.

1994
Dirige l’Institut français du Royaume-Uni. Conseiller culturel auprès de l’ambassade de France à Londres.

1999
Dirige l’Association française d’action artistique (AFAA).

2006
L’AFAA devient Culturesfrance avec des compétences élargies.

2007
Ministre plénipotentiaire.

L’AFAA, l’ancêtre de Culturesfrance
L’Association française d’action culturelle (AFAA) a été créée en 1922, à une époque où la France voulait donner d’elle dans le monde l’image d’un pays moderne qui se reconstruit après les horreurs de la Première Guerre. Association loi 1901, d’abord réservée au réseau des ambassades, l’AFAA va progressivement passer du statut de facilitateur d’échanges artistiques à celui d’une agence du ministère des Affaires étrangères, opérateur de la diplomatie culturelle française. Ainsi, l’AFAA finit-elle par prendre en charge, dans les domaines des arts vivants et visuels, l’organisation de saisons étrangères (dont celle de la Turquie en 2009), de festivals de théâtre, de danse, ou de biennales d’art et de photographie aux quatre coins du monde. En 2006, sous l’ère de son directeur Olivier Poivre d’Arvor, l’AFAA a été rebaptisée Culturesfrance et a vu ses compétences une nouvelle fois élargies.

Les Rencontres de Bamako 2009
Créée en 1994 à Bamako (Mali) à l’initiative de l’association Afrique en Créations, intégrée en 2000 à l’AFAA, la Biennale africaine de la photographie est une production de Culturesfrance. Destinée à faire connaître la scène photographique africaine à l’international, mais aussi sur son propre continent, les Rencontres de Bamako invitent tous les deux ans les photographes à présenter leur travail dans divers lieux de la capitale malienne, sur le modèle des Rencontres d’Arles, en France. En 2009, du 7 novembre au 9 décembre, une centaine de photographes et cinéastes seront réunis autour du thème des « Frontières ». www.culturesfrance.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°616 du 1 septembre 2009, avec le titre suivant : Olivier Poivre d’Arvor

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