Robert Malaval

Il vient de là, il vient du rock

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 26 juin 2009 - 1360 mots

Pionnier des relations entre arts plastiques et culture rock, Robert Malaval (1937-1980) a laissé une œuvre singulière faite de matériaux bruts et de paillettes colorées. Après le Palais de Tokyo en 2006, Angers fait sa rétrospective.

Lunettes noires, blouson de cuir et jean, accroupi devant sa toile, un genou à terre, il tient à bout de bras le tuyau d’un aspirateur qu’il dirige au-dessus de celle-ci. Assise sur un bidon de peinture, la chevelure ondulante, grand pull lâche sur les épaules, pantalon collant clair, hautes bottes en cuir, Dani, l’actrice et la chanteuse, le regarde faire. Datée de 1975, prise dans son atelier parisien, cette photo de Robert Malaval en plein travail nous introduit d’emblée dans l’univers qui était le sien. Celui des mondes mêlés de la création plastique, de la musique rock et des paillettes. Un monde de pure création, un peu en marge, comme l’affectionnait Gainsbourg, car c’est à lui que l’on pense immédiatement dès qu’on voit cette image. Dani est tout attentive, Malaval est tout sourire, le geste est étudié, et le carton grossier dont l’artiste a recouvert l’embout du tuyau pour mieux diriger le souffle qui en sort contredit une situation qui pourrait passer pour fantaisiste.

Un autodidacte en peinture
« J’ai commencé à peindre à peu près à l’âge de 16 ans… C’est l’année où j’ai quitté le lycée. Je travaillais, j’étais apprenti, je faisais du dépannage de postes de radio… J’avais envie de m’exprimer d’une façon ou d’une autre, c’était une envie qui me tenait à cœur très fort, mais je ne savais pas quel art aborder. »
Né à Nice dans une famille modeste, Robert Malaval (1937-1980) aurait pu tout aussi bien faire une carrière d’écrivain, de chanteur ou d’acteur. Il avait tout à la fois une plume, une voix et une gueule. Il a choisi la peinture. Ce que lui en a montré un copain martiniquais l’a persuadé qu’il ne fallait pas nécessairement avoir étudié « le dessin et toutes ces choses » pour s’y mettre. Alors, il s’y intéresse, flashe sur Van Gogh et les surréalistes et, entre 17 et 20 ans, tâte un peu de tout, en amateur.
À la fin des années 1950, installé à la campagne, il exécute toute une série de travaux – peintures, lavis, gouaches – autour du thème du paysage, reproduisant certains détails, rochers et cailloux notamment, ou les inventant de toutes pièces. Malaval expérimente ensuite différents matériaux – brou de noix, sciure de bois… – pour constituer des paysages fossilisés, comme usés par le temps.
Adepte du papier encollé et du carton-pâte, techniques qui sont chères aux carnavaliers niçois, il entreprend au début des années 1960 un genre d’œuvre qui va le signer, l’Aliment blanc. Si la suite qu’il réalise, composée de quelque cent vingts reliefs et sculptures aux formes proliférantes et invasives et de plus d’une centaine de dessins, connaît un très vif succès, il l’interrompt rapidement par horreur de tous les systèmes.

Un sens inné de la scène
En 1965, à Paris, Malaval qui aspire à « changer la vie », suivant le slogan d’André Breton, s’adonne à la couleur et à la lumière. Avec un pistolet aérographe, il décline toute une série de tableaux – Rose-Blanc-Mauve (1965-1969) – faits à partir de pochoirs déterminés par la position de modèles sur la toile.
Passionné de musique rock’n’roll comme de musette, il passe le plus clair de son temps en compagnie d’amis musiciens, il tente par ailleurs de fixer sur ses toiles la représentation de rayons et d’impacts lumineux. Touche-à-tout plein d’invention, il participe à la réalisation d’un livre sur les Rolling Stones, crée de nombreux multiples, travaille le son comme support d’information et élément de l’environnement dans le cadre d’animation de lieux publics.
Picturalement, l’œuvre de Malaval gagne en couleurs vives et joyeuses. Après un ensemble de tableaux réalisés dans le Morvan où il aime séjourner – Eté pourri-peinture fraîche (1972) –, ses Poussières d’étoiles (1974) marquent le début de son utilisation des paillettes. Fort d’un esprit libre, voire libertaire, il se veut un artiste nomade et met au point un dispositif matériel, transportable, nécessaire à son travail. Les différentes séries qu’il engage au milieu des années 1970 s’appuient sur toutes les expériences traversées  : impressions sérigraphiques sur tee-shirt – Rolling Stones Rock Prints (1974), Kamikaze - fin du monde (1975) –, dessins – Pastel-Vortex (1978-1979) –, et autres créations sonores. Malaval passe d’un médium et d’un support à l’autre dans une espèce de fringale jamais rassasiée à la création.
« Je me demande pourquoi je fais les choses », s’interrogeait l’artiste qui n’aimait pas théoriser sur son travail. S’il a été l’un des premiers à y intégrer la culture rock, il compte parmi ceux qui, refusant de se laisser enfermer dans une catégorie, n’ont de cesse de faire éclater tout cloisonnement. Parfaitement lucide sur les travers de « La Société du spectacle », tels qu’en parle Guy Debord dans l’ouvrage qu’il publie en 1967, il avait un sens inné de la scène et la sienne était celle de l’art.

Une balle dans la tête
D’ailleurs, en 1980, quand Malaval installe son atelier à la Maison des arts et de la culture de Créteil dans la perspective de son exposition Attention à la peinture, il crée l’événement en travaillant en direct sous les yeux du public. Comme un artiste de variétés, mais aussi fasciné par le phénomène des kamikazes, il avait le souci de ne rien cacher de la vérité de sa création et de se livrer corps et âme au regard de l’autre. À la manière de ces derniers, il a choisi de disparaître cette année-là, en plein été, en se tirant une balle dans la tête, alors même que le musée d’Art moderne de la Ville de Paris préparait sa première grande rétrospective institutionnelle.
De mars à mai 1981, l’exposition Malaval allait inaugurer sans le vouloir une nouvelle ère pour l’art contemporain. Richement colorée, hautement sonore – on pouvait même y jouer au flipper en toute liberté –, follement pailletée, elle faisait vaciller d’un coup l’arbre si fier des avant-gardes minimales et conceptuelles des années 1970. Elle (ré-)ouvrait toutes grandes les portes au pur plaisir esthétique de l’art, renvoyant toutes les gloses intellectuelles et savantes à leurs études pour laisser place à quelque chose de plus essentiel parce que plus vivant, plus vital.
Quelque chose d’une urgence, voire d’une panique, dont les œuvres de Malaval voulaient nous avertir et dont il n’est pas sûr que nous ayons su vraiment en tenir compte. Quelque chose d’essentiel qui tient au corps, à la matière, à l’idée de présence, que l’art n’a de cesse de chercher à sublimer et qui réfère à l’existence. Et, pour tout dire, à l’être contre le paraître. nPhilippe Piguet

La tête dans les poussières d’étoiles

Sa découverte des paillettes, Malaval la doit à une promenade qu’il fit dans le quartier du Sentier, à Paris, en 1973, en compagnie d’une amie styliste de mode. Fasciné par les qualités d’éclat de ce matériau, ordinairement destiné à être mis sur les habits de soirée, il ne résista pas à l’envie d’en acheter, puis de les utiliser pour l’un de ses tableaux – le Bleu – de l’exposition « Multicolor » qu’il était en train de préparer. Dès lors, il en fit la marque d’un style personnel multipliant les séries de tableaux peints uniquement avec des paillettes sur fond uni.

Une vision imaginaire du cosmos
Plastiquement, ces « poussières d’étoiles », comme il les a nommées, relèvent de compositions libres et gestuelles qui ouvrent l’espace du champ iconique à la découverte de mondes inconnus dont la charge poétique est éminente. S’ils se présentent comme de véritables fragments du cosmos, ce n’est jamais que dans une vision imaginaire dont chaque image est déterminée par le criblage des paillettes éparpillées sur les larges traces peintes. Selon l’incidence de la lumière qui tombe dessus, les effets de brillance font jouer la matière picturale en de subtils reliefs et en de nombreux pleins et déliés qui rendent celle-ci vivante. Ordre et désordre définitivement liés, les Poussières d’étoiles de Malaval gagnent alors une dynamique qui va parfois jusqu’au tourbillon. Comme la poésie, la peinture est ici invasion et non évasion.

Autour de l’exposition

Infos pratiques. « Robert Malaval » jusqu’au 25 octobre 2009. Musée des Beaux-Arts, Angers. Jusqu’au 27 septembre de 10 h à 18 h 30 ; du 29 septembre au 25 octobre du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 4 et 3 euros. www.musees.angers.fr

Playlist. À quoi pourrait bien ressembler la playlist de Robert Malaval ? Du rock bien entendu. Passionné par les Stones, il leur consacre un ouvrage en 1970. Son ami Castelbajac confie que les albums Let it Bleed et Goats Head Soup passaient en boucle dans son atelier. Malaval mentionne dans le titre de nombreux tableaux les noms de Bill Haley et de Bo Diddley. Parmi les groupes et chanteurs qu’il affectionne : Gene Vincent, les Sex pistols, Kraftwerk, Starshooter, Diesel, David Bowie, The Doors, Richard Hell, dont il sélectionne une chanson juste avant de se donner la mort.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°615 du 1 juillet 2009, avec le titre suivant : Robert Malaval

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