Événements off, par Manou Farine

L’artillerie lourde

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 26 juin 2009 - 665 mots

Pinault est la vedette de cette Biennale. Ses collections sont présentées en deux lieux : le Palazzo Grassi bien sûr, et la Pointe de la douane, un bâtiment idéalement situé et rénové par Tadeo Ando.

Yoko Ono, John Wesley, Rebecca Horn, James Lee Byars, Mona Hatoum, une chose est sûre, en off comme en in, Venise 2009 sort l’artillerie lourde. Résultat : une suite d’interventions sans risques et parfois irrésistibles. à commencer par une explosive et inédite série de Rauschenberg dans les salles de la fondation Peggy Guggenheim. Les Gluts, combinaisons de matériaux industriels déclassés collectés par l’artiste américain entre 1986 et 1995, s’y alignent sans bavure. Enseignes, carrosseries, grillages, ruines métalliques de tout poil, Rauschenberg assemble par bandes, plie, martèle, froisse et joue avec la qualité plastique de ces excédents industriels en forme de « souvenirs sans nostalgie ».
Il suffit ensuite de traverser le luxuriant palais Venier dei Leoni côté Grand Canal pour mesurer le contraste goguenard assuré par Wim Delvoye : aussi verticale, sacrée et ornementale que les Gluts jouent l’horizontalité, la brutalité et le profane, la haute tour gothique de l’artiste belge allie parfaitement son architecture d’acier dentelé à haute résolution technologique avec la profusion vénitienne.

Passage obligé par la « douane »
Mais c’est d’abord au revers de la double exposition Pinault que s’accroche sans trembler la palme événementielle. En complément du Palazzo Grassi, l’ouverture surpromue de la Punta della Dogana a largement dominé les festivités inaugurales de la Biennale. Et pour cause : Tadeo Ando, l’architecte fétiche de l’homme d’affaires français, s’est brillamment glissé dans les anciennes douanes, un bâtiment triangulaire calé à l’extrémité de Dorsoduro. Poutres épaisses, alignement de fenêtres en demi-lune, longues et hautes nefs bien aérées, splendides dallages vénitiens enserrés dans un cube de béton central, l’écrin reçoit l’exposition « Mapping the Studio » avec une élégante aisance et ferait presque oublier l’impossible Palazzo Grassi décidément mal fichu – salles trop petites, circulation, finitions et esthétiques de bureaux administratifs.
C’est pourtant là qu’il faudra se régaler de bijoux qui donnent un ancrage historique à la collection Pinault et rappellent ses premières amours toutes d’audace et de retenue : délicat monochrome taché de lumière de Francesco Lo Savio (1960), formidables premiers collages de Barbara Kruger ou Doll Clothes, film en super-huit que Cindy Sherman signe déjà en 1975. Et au rayon frais, ne rater sous aucun prétexte les méchantes interventions embusquées par l’Américain Rob Pruitt : ici une paire d’yeux exorbités collée en sale gosse sur un buste de marbre, çà et là ses 101 Art Ideas You Can Do Yourself (1999), disséminant de chouettes recettes d’œuvres potentiellement absorbables par le marché. Ou comment asticoter un bel alignement de pièces musclées.
De celles que l’on trouvera dans l’anthologie déroulée à la Pointe de la Douane, best of d’une époque – Fischli & Weiss, Murakami, McCarthy, Kelley et les autres avec mention spéciale à l’année 2009 – avec en guest star la très picturale reconstitution de Fucking Hell, la maquette infernale des frères Chapman, ou l’irréprochable association Sugimoto/Cattelan. Photos noir huileux et blanc hiératique avec Stylized Sculpture pour l’un, alignement de corps sous linceuls en marbre blanc pour l’autre. Sérénissime.

Autour de la Biennale

53e Biennale de Venise, jusqu’au 22 novembre 2009. Exposition « Making Worlds » Arsenale et Giardini. Pavillons officiels à visiter aux Giardini et dans la ville. Bruce Nauman, Lion d’or du meilleur pavillon national, est exposé dans trois lieux : pavillon américain des Giardani, à l’IUAV de Venise (près de la gare) et à l’université Ca’Foscari (située le long du Grand Canal face au Palazzo Grassi). Tous les jours de 11 h à 18 h. Giardini (fermés le lundi), Arsenale (fermé le mardi). Tarifs : 18 et 15 e. www.labiennale.org

« Mapping the Studio : artistes de la collection François Pinault », Palazzo Grassi et Punta della Dogana. Tous les jours de 10 h à 19 h. Tarifs : 20 et 14 e pour les deux sites. www.palazzograssi.it

« Rauschenberg, Gluts », fondation Guggenheim, www.guggenheim-venice.it

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°615 du 1 juillet 2009, avec le titre suivant : Événements off, par Manou Farine

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