La réorganisation des maisons de ventes

Par Armelle Malvoisin · L'ŒIL

Le 20 avril 2009 - 1399 mots

Longtemps protégés par leur monopole, les commissaires-priseurs n’ont pas su se moderniser à temps. Dès leur arrivée, Christie’s et Sotheby’s ont pris très vite la tête du classement.

Huit ans après la mise en œuvre de la réforme, le paysage des maisons de ventes est en pleine recomposition. À l’époque, les commissaires-priseurs français jouissaient d’un monopole sur les ventes aux enchères publiques en France vieux de plus de quatre siècles. Ils ne voyaient pas l’urgence de la modernisation parce que les maisons étrangères étaient interdites de ventes dans l’Hexagone.
Première alerte en 1975, lorsque l’auctioneer américain Sotheby’s contourne la forteresse en organisant des ventes aux enchères de prestige à Monaco. Il est suivi en 1978 par l’étude Ader-Picard-Tajan, puis par Christie’s en 1985. L’enclave monégasque, non soumise à la législation protectionniste nationale française, grignote des parts de marché à une place parisienne qui a perdu depuis longtemps son lustre. Parallèlement, Sotheby’s, qui a ouvert un bureau à Paris dès 1967, exporte un certain nombre d’œuvres d’art de la France vers Londres et New York. Avec l’essor des marchés anglo-saxons, l’hémorragie s’amplifie dans les années 1980.

La longue marche vers la fin du monopole
Les commissaires-priseurs français crient à la distorsion de concurrence fiscale entre États pour expliquer leur perte de compétitivité. En France, T.V.A. à l’importation et droit de suite alourdissent le coût des ventes. En réalité, ils agacent les professionnels plus qu’ils ne plombent véritablement le marché de l’art français. Le problème de fond est le monopole. Il est grand temps de faire sauter le carcan de l’ancien régime, inadapté, et d’ouvrir le marché. Les commissaires-priseurs français sont sclérosés dans leur système et ne peuvent entamer une nécessaire modernisation. Ils sont convaincus que leur statut d’officier ministériel leur confère une aura et un avantage. En même temps, ils craignent de se faire manger tout crus par les deux majors, Christie’s et Sotheby’s.
L’offensive contre le monopole est menée par Sotheby’s. Laure de Beauvau-Craon, présidente de l’antenne française de Sotheby’s depuis 1991, monte au créneau. En 1993, elle porte plainte auprès de la Commission européenne. Elle réclame l’ouverture du marché en se fondant sur l’article 59 du traité de Rome et le principe de la liberté des services. Deux ans plus tard, le gouvernement français est mis en demeure de se mettre en conformité avec le droit européen. Une loi réformant le marché des ventes volontaires publiques voit enfin le jour le 10 juillet 2000. Les décrets d’application sortent en 2001. Et le 29 novembre 2001, Sotheby’s donne son premier coup de marteau à Paris, le tout premier d’une société étrangère en France.
La loi de 2000 constitue une grande avancée dans le marché de l’art en France, car elle a enfin libéralisé le marché. Elle a aussi permis aux anciens offices de commissaires-priseurs de se muer en sociétés commerciales avec les avantages qui vont avec ce statut. Mais cette réorganisation du marché de l’art en France ne s’est pas faite sans contrôle. La loi a prévu qu’elle soit encadrée par un Conseil des ventes volontaires (CVV), mis en place le 1er août 2001. Le CVV agrémente les sociétés de ventes en France (trois cent quarante entre 2001 et 2002), contrôle et sanctionne tout manquement aux lois, règlements ou obligations professionnelles applicables aux sociétés de ventes et aux personnes habilitées à diriger les ventes.

Une recomposition rapide des acteurs du marché
Sitôt le marché ouvert, les maisons internationales se sont empressées de vendre sur le sol français. Sotheby’s et Christie’s, qui font aujourd’hui partie du paysage des enchères en France (voir tableau p. 32), sont devenues très rapidement leaders du marché hexagonal en se positionnant sur le segment des marchandises haut de gamme.
Dans le même temps, plusieurs regroupements s’opèrent pour former des structures plus compétitives parfois, à l’aide de capitaux extérieurs. Ainsi en est-il de la maison Piasa, fondée par quatre commissaires-priseurs de Drouot en 1996. La petite française est rachetée en 2001 par Artémis, holding de François Pinault, également propriétaire de Christie’s depuis 1998. Un nouveau groupement d’actionnaires rachète 60 % des parts de Piasa en 2008.
Imitant son rival en affaires, Bernard Arnault s’offre la maison de ventes anglaise Phillips en 1999, puis, en 2000, la maison parisienne Tajan, alors numéro un en France. Mais en 2004, le patron de LVMH cède Tajan à Rodica Seward, femme d’affaires américaine d’origine roumaine. Les commissaires-priseurs Francis Briest, Rémy Le Fur et Hervé Poulain s’associent pour former en 2002 la maison de ventes Artcurial, avec le puissant soutien financier du groupe Dassault et de l’homme d’affaires monégasque Michel Pastor. En 2005, un quatrième marteau, François Tajan, rejoint Artcurial.
Businessman né, le Neuilléen Claude Aguttes a su aussi profiter de la libéralisation. Au lendemain de la réforme, il s’associe avec Dan Coissard, un expert-courtier en tableaux modernes travaillant entre Paris et New York, et organise des ventes de prestige à Drouot. En 2008, il acquiert l’hôtel des ventes des Brotteaux à Lyon, l’une des plus grosses maisons de ventes aux enchères françaises en région.
Le dernier regroupement date du début de l’année 2009 : les sociétés Millon et Cornette de Saint-Cyr, figurant chacune dans le palmarès des dix plus grandes maisons françaises, fusionnent pour se hisser à la quatrième place de ce classement, juste derrière Sotheby’s, Christie’s et Artcurial. Autre acteur majeur parisien, Pierre Bergé & Associés (PBA) possède aussi un hôtel des ventes à Bruxelles depuis 2006.
Ces grosses et moyennes structures organisent leurs activités autour de ventes spécialisées, gérées par des départements dédiés. Mais à côté de ces grandes maisons, subsiste la masse atomisée des autres sociétés de ventes, simples conversions d’anciens offices, fonctionnant avec les mêmes moyens financiers et le plus souvent avec moins de cinq salariés.

Chacun pour soi, Drouot pour tous
Quid de l’hôtel Drouot ? Temple parisien des enchères, Drouot est un lieu mythique, unique au monde. Il est cogéré par les cent dix commissaires-priseurs parisiens qui y dirigent régulièrement des vacations de toutes sortes, pour leur propre compte. Chaque jour l’endroit se transforme en caverne d’Ali Baba où viennent chiner quotidiennement plus de cinq mille personnes, ce qui fait sa force.
Jusqu’à la réforme, Drouot était le centre de gravité du marché de l’art français. Mais l’établissement à Paris de nouvelles sociétés va provoquer une multiplication des lieux de ventes, principalement dans le VIIIe arrondissement : rue du Faubourg-Saint-Honoré (Sotheby’s), Matignon (Christie’s), et Champs-Élysées (Artcurial). La maison Tajan préfère aussi tenir ses ventes de prestige dans son propre espace, rue des Mathurins.
Lorsque le commissaire-priseur Rémy Le Fur quitte Artcurial pour créer en 2008 sa maison de ventes, Auction Art, avec Pierre Cardin, il installe ses bureaux à côté de chez Sotheby’s et investit l’Espace Cardin pour ses ventes importantes. Mais il continue à opérer à Drouot pour ses vacations courantes, tout comme Artcurial et Tajan.

L’indépendance des commissaires-priseurs nuit à Drouot
Drouot, dont le chiffre d’affaires s’effrite un peu plus tous les ans au profit de ces nouveaux lieux de ventes, semble aujourd’hui un endroit quelque peu désuet avec une marchandise ayant baissé en gamme. Les durées d’exposition (un jour et demi) y sont trop courtes, les horaires d’ouverture peu adaptés et la qualité de service plus que médiocre. Conscient de la situation, la Compagnie parisienne des commissaires-priseurs ouvre une salle de prestige, 8, rue Montaigne, mais celle-ci apparaît trop excentrée et mal agencée. Les collectionneurs sont plus attirés par l’éclat des paillettes et le chant des sirènes des grandes maisons.
Pourquoi Drouot, fort de sa notoriété et de son poids, n’a-t-il pas profité de la réforme du marché pour améliorer ses services et se transformer en maison de ventes intégrée, en faisant, au passage, de son nom une vraie marque ? Parce que les professionnels qui y officient n’arrivent pas à travailler ensemble. Ils refusent de perdre leur indépendance. Fin 2001, Pierre Bergé avait proposé aux commissaires-priseurs actionnaires de l’hôtel des ventes de fédérer la scène parisienne en rachetant Drouot. Devant un refus général, l’homme d’affaires a monté sa propre maison de ventes, Pierre Bergé & associés (PBA), avec une poignée d’entre eux. En 2008, s’il a confié à Christie’s l’organisation de la dispersion à Paris de l’immense collection qu’il a bâtie avec Yves Saint Laurent, c’est qu’il a évalué les limites d’une maison de ventes parisienne comme la sienne.
Il n’en reste pas moins que Drouot reste un lieu magique où des chercheurs d’or espèrent toujours trouver quelques pépites au milieu d’une belle pagaille.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°613 du 1 mai 2009, avec le titre suivant : La réorganisation des maisons de ventes

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