L’ombre sous la lumière révélée

Par Colin Cyvoct · L'ŒIL

Le 23 février 2009 - 392 mots

Constituant la première exposition importante consacrée à la présence de « l’ombre portée » dans l’art occidental, les cent quarante œuvres réunies au musée Thyssen-Bornemisza et à la fondation Caja Madrid permettent d’appréhender l’importance de l’ombre dans la peinture, la photographie et le cinéma, du xve siècle à nos jours.

Le mythe de l’apparition de l’art relaté par Pline dans son Histoire naturelle donne à l’ombre une place originelle : la fille du potier Butadès, amoureuse d’un jeune homme qui doit partir à l’étranger, trace le contour de l’ombre de son visage projetée sur un mur. Le premier portrait est né.
L’artiste de l’Antiquité sait tirer parti de l’ombre pour donner l’illusion du relief. Mais il faut attendre la Renaissance et l’invention de la perspective pour que son usage devienne rationnel. Conséquence objective de l’interposition d’un corps opaque entre une source de lumière et une surface de projection, elle devient un sujet de recherche novateur pour des artistes tels que Lorenzo Lotto ou Gentile da Fabriano. Concernant par exemple le thème de l’Annonciation, l’ombre acquiert à cette époque une connotation symbolique importante. Les ombres de l’ange ou de la Vierge des tableaux de Jan Van Eyck ou de Lorenzo di Credi renvoient à «  l’ombre du Tout-Puissant  », métaphore du miracle de l’Incarnation.
L’époque baroque voit des peintres comme Georges de La Tour ou Matthias Stom explorer les spectaculaires possibilités de la lumière et de l’ombre comme nul ne l’avait tenté auparavant. Mais ce n’est qu’aux xviiie et xixe siècles que l’ombre sera valorisée pour ses qualités expressives essentiellement négatives. Les «  peintures noires  » de Goya en sont une remarquable illustration. Pour les impressionnistes, l’ombre devient un objet d’investigation purement plastique, délivré de tout poids narratif. L’ombre colorée remplace le traditionnel emploi du noir et du brun, écartant ainsi toute connotation négative.
Les artistes du xxe siècle ont également su jouer des ombres  : elles confèrent une ambiance lourde et inquiétante aux paysages peints par De Chirico, recomposent les images insolites des rêves de Dalí. L’exposition s’achève sur de nombreuses photographies –  art de la lumière et de l’ombre  – et des extraits de films, entre autres de Hitchcock et de Murnau.

A voir

« La Sombra » : musée Thyssen-Bornemisza, Paseo del Prado 8, 28014 Madrid, www.museothyssen.org et fondation Caja Madrid, Plaza de San Martin (Espagne) www.fundacioncajamadrid.org, jusqu'au 17 mai 2009.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°611 du 1 mars 2009, avec le titre suivant : L’ombre sous la lumière révélée

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