Byzantium

Byzance… à Londres !

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 29 janvier 2009 - 1465 mots

En dépit d’une muséographie vieillotte, l’exposition « Byzantium » de Londres ressuscite les fastes de ce vaste empire en rassemblant près de trois cent cinquante pièces dispersées aux quatre coins du monde.

Pauvre art byzantin  ! Longtemps méconnu, voire méprisé. Tout au plus le considérait-on comme le dernier avatar d’une Antiquité finissante. Son langage lui-même était abâtardi : pas tout à fait grec, pas tout à fait romain, ballotté entre le monde oriental et le monde méditerranéen.
Fruit d’une étroite collaboration entre la Royal Academy de Londres et le musée Benaki d’Athènes, l’exposition « Byzantium » tente de corriger cette vision simpliste en embrassant plus de mille ans de civilisation byzantine (de la fondation de Constantinople, sa capitale, en 330, jusqu’à sa prise par les Ottomans, en 1453) et en parcourant un immense territoire (de Venise jusqu’aux confins de l’Iran, en passant par la Slovénie et l’Égypte).

La beauté au service du sacré
Le résultat est d’un foisonnement vertigineux. Des bas-reliefs délicatement ciselés dans l’ivoire aux calices, patères et autres produits orfévrés, sans oublier les immanquables icônes, vecteurs de la nouvelle foi, l’œil du visiteur s’étourdit devant tant de flamboyance, tant de somptuosité. Mais ceux que notre jugement moderne aurait tendance à admirer comme de simples joyaux – de surcroît un tantinet clinquants ! – revêtaient, au temps de leur exécution, un tout autre sens. Et c’est bien le mérite des deux commissaires de l’exposition londonienne, Robin Cormack et Maria Vassilaki, que d’insister sur la dimension spirituelle de cette esthétique, faite de lumière immatérielle et de chatoiement.
Dès le hall d’entrée, un immense chandelier (emprunté à Munich) donne le ton : le visiteur est censé pénétrer dans l’espace solennel et sacré d’une basilique. Car si elle est romaine par ses institutions (la figure de l’empereur l’atteste), grecque par sa culture (bien des ouvrages classiques ne cessent d’être recopiés), la civilisation byzantine est au service d’une nouvelle doctrine, d’un nouveau dieu. Aussi somptueux soit-il, son art est d’essence chrétienne. Ses « images » doivent être regardées avec « les yeux de l’âme », selon la belle expression de l’historienne Clémence Neyret. « Faire voir l’invisible », telle est la haute mission que s’assignent les cohortes d’artistes byzantins, dont bien peu nous ont laissé leur nom.
Délaissant la ronde-bosse – jugée trop réaliste, trop matérielle –, ces « faiseurs de sacré » vont, comme leurs homologues musulmans, privilégier la ligne et la couleur. Méprisant le factuel et l’anecdotique, rejetant avec force les stigmates de la douleur et les effets psychologiques (à Byzance, la douleur est sobre, quasi muette), l’art byzantin vise à atteindre l’atemporel. Chrétien et impérial tout à la fois, c’est un langage minimaliste au service d’une propagande…

L’héritage de l’antique
Certes, la première partie de l’exposition londonienne souligne la dette immense que Byzance a contractée envers l’Antiquité gréco-romaine. Il suffit, pour s’en convaincre, d’admirer, côte à côte, ces deux magnifiques compositions en marbre du musée de Cleveland datant du iiie siècle. La barbe tourmentée, les yeux extatiques, le héros biblique Jonas a, ici, les traits d’un Silène ou d’un Endymion endormi d’époque hellénistique ! C’était d’ailleurs vraisemblablement les mêmes sculpteurs qui louaient leurs services et leur talent aux nouveaux commanditaires : l’Église et l’Empereur.
Bien des ivoires portent, eux aussi, la marque de l’antique, tel ce diptyque représentant le couple du dieu soigneur Asklepios et de sa parèdre Hygieia, la Santé. Mais les formes se diluent bientôt, se désagrègent, comme le montre cette fluide Néréide dont la sensualité n’est plus qu’une vague illusion. Les Vénus et autres créatures voluptueuses vont désormais céder la place à ces hiératiques figures de Vierges et d’impératrices aux yeux écarquillés. Évanouie la grâce alexandrine ! Lorsque l’on règne sur un si vaste empire, il convient d’affirmer aux yeux de tous sa fonction et son rang. Isolés du reste des humains, les souverains de Byzance crouleront pendant des siècles sous le poids de leur couronne et de leurs bijoux. Leurs visages ont la sévérité des icônes, comme l’illustrent les magnifiques mosaïques représentant l’impératrice Théodora dans le chœur de Saint-Vital, à Ravenne (vie siècle de notre ère).
Heureusement, l’humour et la légèreté se faufilent parfois dans cet art corseté par les conventions religieuses. Matériau de luxe aisément transportable, l’ivoire se prête à toutes sortes d’usages, y compris profanes ! Ainsi, les précieux coffrets « de mariage » s’agrémentent-ils de saynètes savoureuses qui rompent avec l’orthodoxie ambiante. On y surprend des scènes de chasse, voire des épisodes mythologiques et galants, comme sur ce célèbre exemplaire dit « de Veroli » conservé au Victoria and Albert Museum de Londres. Sans doute ce très bel objet était-il destiné à une dame de la cour impériale ou de la haute aristocratie…

La propagation de l’art byzantin
Le même raffinement s’affirme avec éclat dans les arts somptuaires. Reflétant le goût des classes supérieures de la société, bijoux (colliers, croix, amulettes, médaillons, bracelets…) et objets précieux (plats de reliure, revêtements d’icônes, vaisselle d’argenterie) rivalisent de virtuosité. Réalisés à la gloire de Dieu et du donateur, ils constituent aussi des instruments efficaces de propagande et des cadeaux de choix pour les puissants de ce monde : hauts dignitaires, papes et princes « barbares » confondus ! Reçues en présent, rapportées en « souvenir » ou comme butin, ces pièces d’une valeur inestimable ont joué un rôle essentiel dans la diffusion des modèles byzantins au-delà de leurs frontières. Elles sont aussi les fragiles « rescapées » des nombreux pillages qui affectèrent Constantinople et les autres cités de l’Empire !
Parmi ces chefs-d’œuvre, l’exposition londonienne présente ainsi le fameux calice d’Antioche du vie siècle conservé au Metropolitan Museum of Art de New York (cette magnifique coupe en argent a longtemps été présentée comme le Saint Graal utilisé par le Christ lors de la Cène !), ainsi que quelques-unes des pièces les plus précieuses appartenant au trésor de la basilique Saint-Marc de Venise. Véritable symbole de l’art byzantin, figure ainsi l’admirable petit « coffret » en forme d’église (brûle-parfum ou lampe ornée d’un décor on ne peut plus profane !) que les caprices de la fortune allaient ériger, quelques siècles plus tard, en reliquaire du Saint Sang !
Tout aussi attachants et rarement montrés dans les expositions consacrées à Byzance, vêtements et ustensiles domestiques dévoilent un pan discret de la vie quotidienne des humbles et des moins humbles. On y découvre ainsi de somptueuses broderies provenant d’Égypte, ainsi que ces curieuses petites poupées aux membres articulés qui rappellent singulièrement les « concubines des morts » des temps pharaoniques…

Les icônes, spendeurs byzantines
Enfin, véritable exposition dans l’exposition, la section des icônes résume, plus que tout discours, le long cheminement des motifs comme des techniques au sein du vaste Empire byzantin. Car que l’on soit à Constantinople ou à Thessalonique, dans la Crète d’Angelos Akotantos (l’un des rares artistes connus par sa signature !) ou bien en Arménie, en Slovénie ou en Cilicie, on peint avec la même ardeur et les mêmes recettes d’atelier la figure sévère du Christ « pantokrator » (maître de l’Univers).
Si les plus anciennes icônes évoquent irrésistiblement les saisissants portraits funéraires romano-égyptiens découverts, pour la plupart, dans la région du Fayoum, d’autres parlent un langage affranchi de toute référence antique. Le monastère de Sainte-Catherine, au mont Sinaï, fait ainsi figure de musée, tant la diversité des icônes qu’il abrite reflète l’éclectisme des styles ! Les artistes anonymes qui exécutèrent ces chefs-d’œuvre travaillaient certainement dans les ateliers de Constantinople, de Palestine, de Syrie ou d’Égypte…
Parfois cependant, au sein d’une production qu’un œil non averti pourrait juger stéréotypée, voire monotone, émerge une composition d’une audace inouïe. Tel est le cas de cette magnifique icône signée Jean Climaque, datant du xiie siècle (voir p. 57). L’échelle céleste, qui voit l’ascension des Élus et la chute des Damnés, s’y mue en une implacable diagonale d’une rare efficacité. C’est cette économie de moyens et cette stylisation prodigieuse que retrouveront, à des siècles et des kilomètres de distance, des artistes comme Roublev, Larionov, ou même Malevitch !

Autour de l’exposition

Informations pratiques. « Byzantium 330-1453 » jusqu’au 22 mars 2009. Royal Academy of Arts, Londres. Tous les jours de 10 h à 18 h, le vendredi jusqu’à 22 h. Tarifs : 13 et 9 e. www.royalacademy.org.uk
Des trésors venus du monde entier. L’exposition a bénéficié des prêts de plus de 25 pays. Parmi les prêts les plus importants, la riche collection d’icônes venues du musée Benaki d’Athènes participe largement du prestige de la manifestation. Le visiteur peut aussi découvrir le calice en argent d’Antioche, considéré au xixe siècle comme le Saint Graal et prêté par le Metropolitan Museum de New York. Une partie de l’orfèvrerie conservée à la basilique Saint-Marc de Venise a également quitté l’Italie pour la première fois. Enfin, le monastère de Sainte-Catherine, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, fait partie des autres prêteurs exceptionnels.

Repères

330
Fondation de Constantinople.

395
Séparation de l’Empire.

476
Fin de l’Empire romain d’Occident.

661-963
Guerres de religions et de conquêtes entre les musulmans et les catholiques.

730-843
Controverse iconoclaste.

1204
Les croisés prennent Constantinople.

1261
Les luttes se poursuivent entre l’Empire byzantin et l’Empire ottoman.

1453
La prise de Constantinople par les Turcs marque la fin de l’Empire romain d’Orient.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°610 du 1 février 2009, avec le titre suivant : Byzantium

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