Réseau nébuleux et vides juridiques

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 27 octobre 2008 - 1541 mots

Ecoles nationales, territoriales, nationales en région et nationales parisiennes… pour les étudiants peu avertis, il est décidément bien difficile de s’orienter dans le maelström des cinquante-huit écoles d’art françaises.

Cela sans oublier les formations en arts plastiques dispensées au sein de l’université – dont sortent majoritairement les futurs enseignants – et les écoles d’arts appliqués qui, en théorie, forment plutôt aux métiers techniques et artisanaux.
A contrario, l’architecture fait figure de discipline favorisée avec son réseau bien structuré de vingt écoles, toutes nationales (pour environ vingt mille étudiants). Faut-il voir là encore une trace de l’héritage de la tradition académique faisant de l’architecture la discipline majeure, au détriment des arts visuels  ? « Nous vivons dans un drôle de pays où les arts visuels n’ont jamais été privilégiés », reconnaît Olivier Kaeppelin, délégué aux arts plastiques. Et dans lequel la corporation des architectes – elle aussi bien structurée avec son conseil de l’ordre – est beaucoup plus puissante que celle des plasticiens et a su peser en faveur du réseau d’écoles, émancipé de la tutelle des beaux-arts depuis Mai 1968 (lire enquête, L’œil n° 602).

Le fossé qui sépare les écoles territoriales et nationales
En ce qui concerne les arts plastiques, la mosaïque d’écoles a donc perduré. Celle-ci est avant tout le fruit de l’histoire de ces établissements, nés pour la plupart à la fin du xviiie siècle ou au début du xixe siècle de politiques locales ou de la volonté d’un mécène d’ouvrir une école municipale de dessin. En s’inspirant toujours de la matrice originelle de l’École des beaux-arts de Paris, elle-même héritière de l’Académie royale créée en 1648 pour affranchir les artistes du système des corporations artisanales.
Depuis, seules six de ces écoles territoriales ont obtenu le statut d’école nationale, ce qui signifie une prise en charge financière totale par l’État. Mais ce changement de tutelle a été décidé de manière totalement empirique : présence d’une ancienne manufacture royale (Limoges, Aubusson), dette de l’État envers la ville (Nancy), donation (Nice)… Les autres sont restées dans le giron des villes ou des communautés d’agglomérations, le plus souvent dans le cadre d’un mode de gestion en régie directe, comme n’importe quel service municipal.
Dans un tel contexte de dispersion, comment garantir aux étudiants que toutes les écoles dispensent un niveau d’enseignement équivalent  ? « Le lien de sang entre les écoles territoriales et nationales est la délivrance d’un même diplôme d’enseignement supérieur », souligne Corinne Le Néün, inspectrice générale au sein de la Mission permanente d’inspection, de conseil et d’évaluation de l’enseignement artistique. D’après les textes officiels, le ministère de la Culture doit en effet exercer une tutelle pédagogique sur toutes les écoles d’art.
En d’autres termes, c’est l’État qui leur fournit le cadre général, volume horaire, intitulé des cours, répartition… alors que le recrutement et la constitution des équipes pédagogiques sont assurés par les édiles dans les écoles territoriales. L’État n’est d’ailleurs guère en mesure d’exiger plus quand les subventions du ministère de la Culture plafonnent à 12 % du budget des écoles territoriales, le reste étant parfois à la charge des seules municipalités.
Ces tensions budgétaires créent parfois des difficultés contre lesquelles la Rue de Valois ne peut pas lutter. Ainsi à Perpignan, où le maire décidait en 2006, avant de se rétracter face au tollé général, de fermer l’école « trop coûteuse et trop peu visible ». Et quand une école dérape, la marge de manœuvre est réduite : « L’État peut retirer son agrément », explique Olivier Kaeppelin. Le cas s’est déjà produit à Beaune, où l’école a perdu son agrément en 1989.
Un scénario identique est par ailleurs en train de se reproduire à Rueil-Malmaison, où des « ateliers publics » dédiés aux enfants et aux adultes ont été ouverts au sein de l’école dans un curieux mélange des genres qui s’éloigne de l’enseignement supérieur. Dans cette situation, la seule sanction que peut imposer le ministère est donc la suspension du diplôme, qui pénalise inévitablement les étudiants en cours de cursus et les anciens diplômés.

Le diplôme des écoles territoriales est-il valable ?
L’harmonisation européenne – la fameuse réforme LMD, pour licence-master-doctorat – a également levé le voile sur d’autres pans du maquis juridique des écoles d’art françaises, sur lequel les réformes lancées à partir de 1972 ont peu pesé. À cette époque, il s’agissait avant tout d’échapper à la menace d’une intégration dans le système universitaire, ce qui a finalement privilégié le statu quo. Or les aberrations sont nombreuses, à commencer par une absence de reconnaissance juridique en tant qu’établissement d’enseignement supérieur  !
Le premier combat de la Délégation aux arts plastiques a donc été de faire inscrire les écoles d’art dans le chapitre du Code de l’éducation traitant des enseignements supérieurs, celles-ci étant auparavant inscrites dans le livre... des pratiques amateurs  !
Alors que le ministère bataillait pour la reconnaissance du grade de master (bac 5) pour le diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP), une autre difficulté est également apparue. Si le diplôme est l’élément fédérateur du réseau, les juristes ont soulevé le fait que les écoles territoriales le délivraient, en théorie, en toute illégalité, une loi de 1984 faisant de l’enseignement supérieur une prérogative de l’État. La parade a certes depuis été trouvée, les diplômes étant signés par le préfet, mais le vide juridique demeure.

L’EPCC, la solution au problème des statuts
Autant de facteurs d’inquiétude ont donc poussé les responsables d’écoles, directeurs et enseignants à tenir pour la première fois des Assises nationales des écoles d’art, organisées à Rennes, en 2006. Depuis, le ministère a, semble-t-il, pris la mesure du malaise. La solution réside désormais dans la transformation des écoles territoriales en établissements publics de coopération culturelle (EPCC), dont le statut a été modifié en 2006 et taillé sur mesure pour résoudre le problème à l’échelle nationale.
L’EPCC présenterait en effet divers avantages : les écoles seraient reconnues comme établissements d’enseignement supérieur et auraient le droit de délivrer des diplômes  ; elles seraient financées par plusieurs partenaires : ville, État et région, et donc mises davantage à l’abri des aléas politiques. Enfin, en devenant EPCC, les écoles territoriales combleraient aussi une partie du fossé qui les sépare des écoles nationales, transformées en établissements publics administratifs en 2002, ce qui atténuerait les « discriminations entre les écoles » dénoncées par certains élus lors des assises.
Les inspecteurs de la DAP ont donc entamé une tournée nationale pour convaincre les élus des vertus de l’EPCC, mais le chantier sera long. « Il s’agit d’une mutation lourde », reconnaît Corinne Le Néün. Pour le ministère, ce changement de statut permettrait aussi de revoir la cartographie nationale et peut-être de mutualiser certaines écoles dans des régions où la concentration est forte (Nord-Pas-de-Calais, Bretagne, Provence-Alpes-Côte d’Azur).

Prochaine étape : la création d’un Conseil des arts plastiques
Pour faire taire les inquiétudes, le ministère s’est par ailleurs engagé à créer un lieu de concertation entre les différents partenaires – État, collectivités, personnalités qualifiées –, qui jusque-là n’existait pas. Cette plateforme, baptisée Conseil des arts plastiques pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’emploi, devrait bientôt voir le jour. Elle sera un lieu de discussion sur la politique générale de l’enseignement des arts plastiques et sera constituée de comités techniques (commission pédagogique et scientifique  ; commission permanente des enseignements  ; commission de la recherche) inspirés – là encore – de ce qui existe déjà dans les écoles d’architecture.
Par ailleurs, les écoles d’art sont engagées dans un processus d’évaluation, piloté par l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Portant sur un échantillon de sept écoles, cette évaluation prescriptive, dont les résultats seront bientôt publiés, vise un objectif : obtenir des préconisations qui serviront à atténuer les points de discordance et parvenir à une plus grande homogénéisation du réseau, à défaut d’harmonisation. La structuration du réseau est donc en marche. Il était temps

Ecoles nationales, territoriales, nationales en région et nationales parisiennes… pour les étudiants peu avertis, il est décidément bien difficile de s’orienter dans le maelström des cinquante-huit écoles d’art françaises.

La France compte cinquante-huit écoles d’art placées sous la tutelle pédagogique du ministère de la Culture et de la Communication. Quarante-neuf d’entre elles ont un statut territorial, six sont des écoles nationales en région, les autres étant des écoles nationales parisiennes.

S’y retrouver parmi les trois diplômes délivrés
Les effectifs comptent un peu moins de 11 000 étudiants (10 478 en 2006, dont 3 925 hommes et 6 553 femmes) engagés dans un cursus de trois à cinq années, soit moins de 0,6 % de la population étudiante française. Les élèves des écoles d’art représentent en revanche 30 % de la population estudiantine de l’ensemble des établissements d’enseignement artistique et culturel. 12 % des élèves sont étrangers. L’entrée dans ces écoles s’effectue sur concours après le bac ou par le biais d’une commission d’admission pour les anciens élèves d’une autre école d’art, ou encore par équivalence. Trois options sont proposées aux étudiants : art, communication et design. Les diplômes délivrés sont le diplôme national d’arts plastiques – DNAP (3 ans) –, le diplôme national supérieur d’expression plastique – DNSEP (5 ans) – et le diplôme national d’arts et techniques – DNAT, cycle court dans les options communication et design (3 ans). Quelques écoles proposent une année de 3e cycle – postdiplôme ou programme de recherche.

Le business des classes prépas

Comme pour toutes les grandes écoles, la sélectivité du recrutement pousse de nombreux impétrants à passer par des classes préparatoires. Les statistiques de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (Ensba), la plus prestigieuse, sont significatives”‰: le taux de réussite au concours d’entrée y tourne autour de 4 %. Et d’après les statistiques récentes du ministère de la Culture, près de 20 % des étudiants, toutes écoles confondues, auraient transité par une classe préparatoire.

D’innombrables classes privées pour un enseignement inégal
Le phénomène n’est d’ailleurs pas nouveau, les ateliers, antichambres des beaux-arts, ayant toujours existé. Mais avec une vingtaine seulement de classes préparatoires publiques et quelques cours du soir municipaux, le phénomène d’ouverture de classes privées, à but lucratif, s’est intensifié. Elles sont aujourd’hui innombrables et dispensent un enseignement de qualité très inégale. Les frais de scolarité y sont souvent exorbitants – de 3 500 à 5 000 euros l’année – sans garantie de résultats. Car pour bon nombre de ces écoles, l’objectif est de garder les étudiants entre leurs murs le plus longtemps possible, en les orientant au final vers leurs propres cursus. D’autres sont aussi très sélectives... afin d’afficher un taux de réussite important. Alors prudence avant de s’engager, d’autant plus que 45 % des élèves intègrent une école des beaux-arts directement après le bac.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°607 du 1 novembre 2008, avec le titre suivant : Réseau nébuleux et vides juridiques

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