La Violence décorative. Matisse dans l’art américain

L'ŒIL

Le 1 juin 1998 - 376 mots

C’est au risque de se faire traiter de « formaliste rétrograde » qu’Eric de Chassey a choisi de poursuivre – en étudiant l’influence de Matisse sur l’art américain d’après-guerre – l’assertion du critique américain Clement Greenberg selon laquelle un « art majeur est inconcevable [...] sans une assimilation complète de l’art majeur qui l’a précédé ». Avec une rigueur exemplaire, l’auteur pose d’abord les bases historiques d’une possible reprise de l’esthétique matissienne au sein de la génération de l’expressionnisme abstrait. Ainsi, l’ouvrage rassemble et confronte une somme impressionnante d’informations, précises et souvent inédites, sur la réception de l’œuvre de Matisse aux Etats-Unis dans les années 30 et 40. Ces éléments permettent, dans un deuxième temps, d’aborder de manière originale les bouleversements esthétiques qui s’opèrent dans l’œuvre des artistes de la génération de Pollock, De Kooning, Motherwell, Newman, etc. De ce point de vue, l’influence de Matisse n’est pas envisagée unilatéralement mais selon un effet de feed back. Il s’agit,
en ce sens, de considérer que cette génération d’artistes a profondément infléchi notre vision de la peinture de Matisse, libérant sa « violence décorative », et qu’en retour cette inflexion modifie notre compréhension de l’expressionnisme abstrait.
Au-delà de cette approche dynamique, l’analyse est inévitablement confrontée à la notion particulièrement délicate d’influence. Dès l’introduction, l’auteur rejette tout usage positiviste du terme qui ne viserait qu’à affirmer l’emprise tutélaire de Matisse sur les artistes américains et, par là même,
à augmenter notre connaissance généalogique d’un mouvement – l’expressionnisme abstrait – en en établissant une source attestée mais négligée. Il semble, en dernier lieu, que l’optique essentiellement formaliste adoptée par Eric de Chassey l’amène parfois à sous-estimer, comme Greenberg par ailleurs, la part la plus métaphysique de l’art des expressionnistes abstraits. Ainsi,
les termes d’une création « à partir de zéro, [...] comme si la peinture n’avait jamais existé auparavant », posés par Barnett Newman, restent définitivement envisagés comme « une déclaration d’intention qui ne préjuge pas forcément de son effectivité ». Il est clair qu’en concevoir l’effectivité aurait conduit l’auteur à saper les fondements mêmes de son étude et à opérer, pour ainsi dire, comme si l’histoire de l’art n’avait jamais existé.

Eric de Chassey, La Violence décorative. Matisse dans l’art américain, éd. Jacqueline Chambon, 390 p., 150 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°497 du 1 juin 1998, avec le titre suivant : La Violence décorative. Matisse dans l’art américain

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