Robert Gober

L'ŒIL

Le 1 juin 1998 - 487 mots

Sur les photographies, la salle d’un musée où trône une statue de la vierge transpercée de part en part d’une canalisation en fonte. Derrière elle, dans le mur, débouche un escalier qu’un torrent dévale continuellement avant de se jeter dans un égout. De chaque côté de la statue, deux valises ouvertes, posées sur le sol. En se penchant, le spectateur s’aperçoit que le fond, constitué d’une grille, ouvre sur une salle obscure en contrebas. De l’eau, des galets, des pièces de monnaie, des algues et des coquillages parsèment le lit de cette rivière souterraine. Dans l’une des cavités, il est possible de distinguer les deux jambes d’un homme et les pieds d’un bébé qui frôlent l’onde tumultueuse de l’eau. Cette nouvelle pièce de l’artiste américain Robert Gober bénéficie maintenant d’une magnifique publication qui ne devrait pas tarder à être épuisée tant sa présentation et son contenu l’apparentent plus au livre d’artiste qu’au strict catalogue de musée. Robert Gober, certains s’en souviennent sûrement, élabora entre 1991 et 1993 trois expositions qui le consacrèrent comme l’un des plus talentueux artistes de cette décennie. Que ce soit à la Galerie du Jeu de Paume (1991), au Dia Center for Arts (New York, 1992), à la Serpentine Gallery (Londres, 1993), il avait, au moyen d’installations extrêmement soignées, construit une œuvre théâtrale, dramatique et violente, où la présentation de corps tronqués et fragmentés dans un décor ornemental pervertissait l’habituelle distinction entre espace public et espace privé, espace mental et espace physique. Depuis, hormis quelques expositions ponctuelles dans les galeries, aucun projet d’envergure n’avait été présenté au public. Aussi, l’éblouissante installation réalisée en 1997 par Robert Gober dans le Museum of Contemporary Art de Los Angeles nécessitait une publication autour du travail réalisé pour ce projet depuis plusieurs années. Initialement, Gober pensait présenter une maison où seraient disposés des objets-sculptures, créant ainsi une œuvre basée sur la sécurité affective liée à la maison, lieu de l’intime et de la communion avec ses proches. Mais rapidement, il s’est aperçu qu’il était bien plus judicieux de travailler sur l’idée de maison spirituelle où l’hétérogénéité (telle qu’elle fut définie par Bataille), le traumatisme du réel (Lacan), l’abject (Kristeva), l’obscène (Blanchot) trouvent leur place dans une scénographie organisée selon l’idée d’une « église domestique ». L’intelligence de ce livre réside justement dans cette évolution, dans ce passage d’un projet à l’autre.
A l’aide de photographies d’archives et de textes critiques, on saisit pleinement comment s’est opéré ce glissement, comment des références autobiographiques interfèrent avec le contexte social, politique et culturel. Aussi, les essais en anglais qui ponctuent ce livre à l’iconographie abondante éclairent avec intelligence la démarche d’un artiste qui ne cesse de préciser les rapports qu’un Blanc catholique et homosexuel peut entretenir avec le puritanisme kitsch de la société américaine.

Robert Gober, The Museum of Contemporary Art, Los Angeles, éd. Scalo, 104 p., 176 ill. coul., textes en anglais de Hal Foster et de Paul Schimmel.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°497 du 1 juin 1998, avec le titre suivant : Robert Gober

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