Aux confins du sens. Propos sur la musique

L'ŒIL

Le 1 juillet 1998 - 337 mots

Pianiste de renommée internationale, Charles Rosen raconte souvent qu’il a commencé à écrire sur la musique après avoir lu, reproduit au dos de la pochette de l’un de ses enregistrements de Chopin :
« La musique titube, ivre du parfum des fleurs. » Le propos de Rosen, s’il se situe clairement à l’opposé de ce traditionnel bla-bla poético-salonnier, ne se retranche pas pour autant dans un discours abscons.
Au contraire, sa force tient d’abord dans la simplicité avec laquelle, en partant des œuvres mêmes, l’auteur amène le lecteur à saisir la structure d’un morceau, les procédés de composition auxquels il répond et le rapport qu’il entretient à un modèle dominant. Ainsi son propos porte-t-il notamment sur les moments de rupture qui apparaissent, parfois fortuitement, au sein d’une composition et bouleversent « ce que nous pensons être la structure grammaticale propre de la musique, la résolution correcte de la dissonance, la juste place de la cadence, l’équilibre attendu de la phrase mélodique ».
Il en va ainsi, par exemple, de son analyse d’un passage fameux de la sonate Hammerklavier opus 106 de Beethoven, où un la dièse produit une dissonance inacceptable pour certains interprètes, stimulante pour les tenants d’une « lecture difficile » de l’œuvre et pour laquelle Rosen, avec son sens particulier de la contradiction, conduit une analyse qui renvoie les deux écoles dos à dos. Au fil des trois conférences rassemblées dans cet ouvrage, la réflexion de Charles Rosen semble suspendre l’analyse musicologique entre la partition et l’interprétation. Aucun de ces deux pôles ne peut, en effet, garantir un sens hypothétiquement immuable au langage musical. Sa signification, en perpétuel devenir, s’inscrit apparemment entre une réflexion théorique telle qu’elle est menée ici, et une exécution qui se refuse aussi bien au respect de normes académiques trahissant l’esprit d’une composition, qu’aux tentatives anecdotiques de reconstitutions historiques qui, écrit Rosen, « doivent autant au désespoir qu’à l’imagination »

Charles Rosen, Aux confins du sens. Propos sur la musique, La Librairie du XXe siècle/éd. du Seuil, 167 p., 95 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°498 du 1 juillet 1998, avec le titre suivant : Aux confins du sens. Propos sur la musique

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque