Pansart, maître-miroitier

Par Gilles de Bure · L'ŒIL

Le 1 septembre 1998 - 1198 mots

Si, au détour d’une allée de la Biennale des Antiquaires, vous vous arrêtez surpris devant cette table de verre aux pieds de sphinges présentée par la galerie Olivier Watelet, ne demandez pas le nom de son créateur. Prenez un air assuré et dites Robert Pansart.

Un illustre inconnu. Quoi de plus antinomique que cette expression consacrée ? Et qui s’applique à merveille à Robert Pansart, maître-verrier aussi célèbre dans un cercle extrêmement restreint de spécialistes qu’inconnu dès que l’on déborde les limites de ce cercle. Chercher Pansart, c’est trouver les autres. Ceux au service desquels il mit son talent avec autant de savoir-faire que de modestie. Et pourtant, de tous les maîtres-verriers français qui s’illustrèrent tout au long des années trente, quarante et cinquante, Robert Pansart fut sans aucun doute le plus grand, le plus inventif, le plus “décorateur”, le plus inspiré.
Artisan avant tout, exécutant, traduisant, mettant en forme les rêves de ses commanditaires, il a rarement fait œuvre de créateur. On ne connaît de lui qu’une dizaine de meubles, si géniaux, si fous, si flamboyants qu’on ne peut que regretter cette modestie, cet effacement. Belle noblesse d’attitude qui s’inscrit dans le droit fil d’un édit royal datant de 1665 et qui stipulait que “tous gentilshommes peuvent exercer la profession de verrier sans que pour raison de ce, ils soient censés et réputés déroger à la noblesse”...
De la Bibliothèque Forney à celle des Arts décoratifs, au fil des pages des monographies consacrées à Poillerat, Roche, Subes, la quête est vaine. Tout juste si son nom apparaît en légende des pièces exceptionnelles réalisées par ses soins. Tout juste si l’on sait qu’il est né en 1908, et qu’après des études aux Arts et Métiers, Pansart est engagé comme ouvrier chez Schwartz, maître-verrier installé au 163 bis rue de Charonne et qui compte déjà Serge Roche parmi ses clients. Nul doute que Pansart travaille déjà pour le célèbre décorateur, et qu’à travers lui, il découvre un monde féerique... Peu de temps après l’arrivée de Pansart, Schwartz disparaît. C’est le jeune homme, âgé de moins de trente ans, qui reprend l’atelier et dirige, dès lors, les quatre ouvriers qui le composent. Pansart va rapidement développer l’entreprise, agréger autour de lui une cohorte de décorateurs talentueux et parfois extravagants qui vont lui confier l’essentiel de leur production. Poillerat, Roche et Subes, mais également du Plantier dont on connaît l’hyper-élitisme, le goût néoclassique, néogrec, néopompéien qui fait flamber les années trente, et les liens privilégiés qu’il entretient avec la famille royale d’Espagne ; ou encore tous les Demoison, Dolt, Merson, Saint-Georges, tous très chics, plutôt baroques et adeptes de la “courbe bourgeoise” ; mais aussi Drouet, ferronnier d’art proche de Royère ; Pascaud l’inoubliable maître d’œuvre de la décoration du “Laos”, le paquebot emblème des Messageries maritimes... Et sans oublier Ramsay, la fameuse boutique de décoration fondée par Messieurs Ramin et See, grand concurrent de Jansen, qui remodela l’ouest parisien – les 8e, 16e et 17e arrondissements – et imposa la vogue des petits meubles d’appoint telle la table basse au plateau de verre gravé. Cette litanie de noms est essentielle pour bien situer la place exacte de Pansart.

Creuser, inciser, défoncer
L’époque est, certes, légère dans les années trente, difficile dans les années quarante et avide dans les années cinquante. Mais, quelle que soit la décennie envisagée, les affaires sont dures et, déjà, ne se concluent qu’au cœur de réseaux d’amitiés, d’intérêts, d’influences. À l’image des deux autres grands maîtres-verriers, Max Ingrand et Pierre Lardin, Robert Pansart a su constituer le sien. Il n’empêche, c’est bien son talent de verrier qui en fait le plus grand. Nul mieux que lui ne sait creuser, inciser, défoncer selon divers procédés, ne connaît aussi bien les limites de son action, ne maîtrise les réactions imprévues du verre. Nul mieux que lui ne travaille avec autant de précision, de raffinement, de virtuosité. C’est un véritable tableau qui sort de ses mains, dont les reflets et les miroitements sont savamment prédéterminés par des salissures, des irrégularités dans l’argenture qui créent l’imprévu, les réserves, la transparence. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les plateaux, miroirs, psychés, panneaux, façades gravés par Pansart à la production de l’époque, pour être convaincu de son talent et de son génie. Et notamment cet étonnant meuble que lui commande, en 1950, le roi Farouk d’Égypte. Recouvert d’une glace argentée et oxydée, le corps du meuble est laqué de couleur vert bronze ; il ouvre par deux portes gravées où s’entrelacent des plumes que colorent feuilles d’or et patine carmin. Les deux pièces en bois doré sont sabotées par des griffes de lion que surmontent des obélisques en glace argentée. Il est bordé par une large frise d’argent oxydé et possède en son centre une poignée de bois doré sculpté, figurant une tête de lion.
Et que dire encore d’Ulysse et les sirènes, un somptueux panneau décoratif au cadre baroque rehaussé par d’inattendues volutes de cuir et que font chanter des jeux de gris, d’argent, de bronze et d’or. Et de ce meuble d’apparat dont le plateau et les flancs, recouverts de glace argentée et oxydée, offrent un décor somptueux fait d’enchevêtrement d’algues brunes et or, de laminaires corail et d’oscillaires vert émeraude...

Le merveilleux et le fantasmagorique
Professeur à l’atelier Penninghen, dessinateur autodidacte, peintre abstrait avant-guerre puis paysagiste après la guerre, Robert Pansart semble avoir réalisé des cartons pour Aubusson, et notamment pour Fumeron et Lurçat. Tout comme, travaillant l’aluminium avec Péchiney pour le paquebot France, il réalise, un peu plus tard, de nombreuses gravures sur métal pour Vasarely. De Pansart, on connaît également un merveilleux décor pour le hall du Berlitz commandé par l’architecte Lardillier, dont l’essentiel a malheureusement disparu lors de la réfection du cinéma des grands boulevards. A contrario, on ne connaît quasiment rien des nombreux travaux qu’il réalisa au Maroc au cours des  années cinquante.
Subes et Poillerat reviennent souvent dès lors que l’on aborde l’œuvre de Pansart. Pourtant, il travailla peu avec ces deux exceptionnels maîtres-ferronniers qui préféraient le plus souvent chapeauter leurs créations de plateaux en marbre, et pour lesquels les plateaux en verre n’étaient qu’occasionnels. Mais, une fois encore, la qualité du travail réalisé par Pansart à leur profit est telle qu’elle en domine largement la quantité. C’est sans doute avec Serge Roche que Pansart a le plus profondément communié. Ils partageaient la même attirance pour Rome et Venise, le même goût pour le merveilleux et le fantasmagorique, la même passion pour la poésie et l’arabesque, la même tentation au conte de fées...
L’un et l’autre, tout comme beaucoup d’autres d’ailleurs, tentaient de résister, avec talent et imagination, au dépouillement – excessif pour eux – auquel tendaient modernisme, rationalisme et réalité économique. Et, à ceux qui leur reprochaient de ne pas avoir enfourché le cheval de la modernité, de se cantonner dans une expression purement “ornemaniste”, de perpétuer des valeurs dorénavant obsolètes, de préférer l’élite au grand nombre, ces ardents défenseurs de la tradition du “beau métier” répondaient en substance : “Vous nous parlez grande série alors que nous sommes la Haute Couture. Nous ne souhaitons en rien multiplier nos créations. Mais soyez-en sûrs, le Faubourg Saint-Antoine saura s’approprier, copier, adopter et diffuser nos modèles...”

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°499 du 1 septembre 1998, avec le titre suivant : Pansart, maître-miroitier

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