Voir et revoir Alechinsky

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 septembre 1998 - 469 mots

Toute rétrospective comporte des risques. Mais Pierre Alechinsky peut se rassurer : celle que lui consacre ce mois-ci le Jeu de Paume ne peut que le servir auprès d'un public qui ne connaît pas l'ampleur de sa carrière.

Les quelque cinquante années d'activités qu'elle déroule – de l'aventure partagée de Cobra à celle individuelle d'aujourd'hui – s'offrent comme un immense champ d'expériences graphiques. L'écriture en effet est irrésistiblement la clef de voûte de sa démarche. Elle est à la source de ses intérêts surréalistes qui l'ont conduit, en compagnie de Jorn et de Dotremont, à vouloir régénérer l'esprit défendu par Breton. Elle est encore aujourd'hui le vecteur d'une œuvre qui ne se prive d'aucune espèce d'excursions tant elle est indépendante. À l'instar du poète qui l'a si bien chanté, on pourrait dire d'Alechinsky qu'il n'est occupé qu'à peindre-écrire le mot de “liberté”. La figuration à laquelle son travail recourt – une figuration qui n'est jamais naïve mais toujours spontanée et sans emphase – la revendique. Passionné d'imprimerie, en quête d'un langage plastique neuf, Alechinsky n'a de cesse de mêler dans son travail écriture et peinture, signe et matière. Si quelque chose d'une “enfance retrouvée” – comme il l'a lui-même revendiqué dans le passé – est à l'œuvre chez lui, c'est que son art recourt parfois à la fable. À sa façon, Alechinsky est un conteur, non sur un mode narratif et linéaire mais bien plus dérivant. Son invention plastique des “remarques marginales” qui bordent l'image centrale de ses tableaux, les apparentant de la sorte à la bande dessinée, en témoigne. L'artiste y multiplie les entrées, entraînant notre regard à l'exercice d'une pratique du zapping avant la lettre. Une liberté totale de lecture est laissée au spectateur, et cette façon de juxtaposer les images interroge irrésistiblement sur le tableau lui-même : son histoire, ses aventures, ses avatars. Conteur, Alechinsky l'est encore parce que son œuvre développe toute une iconographie de formes-figures ambivalentes, tant animales qu'humaines, tant terriennes qu'aquatiques, sans que l'on sache jamais faire vraiment la part des choses. Des figures de Métiers (1948) à ces Fleurs minérales (1997) en passant par ces Accessoires mythologiques (1968), ces Pages d'atlas universel (1986) et ces Trous d'homme (1988), le monde d'Alechinsky est d'une impressionnante fécondité. Des méandres de son pinceau-plume, l'artiste n'a pas son pareil pour faire surgir ici selon Jacques Dupin “une gravitation de microbes survoltés dans un enroulement de vagues”, là “une rixe de gnomes interlopes hantés par l'azur”. Parce que nature et culture traversent cette œuvre avec leurs symboles et leurs obscurités, il en résulte toutes sortes de courts-circuits bénéfiques qui l'assurent d'une singulière dynamique tout en participant à l'institution d'un langage universel.

Galerie nationale du Jeu de Paume, 15 septembre-22 novembre, cat. RMN, texte de Pierre Daix et biographie de Daniel Abadie, 300 F. environ et CAJARC, Maison des Arts Georges Pompidou, 20 septembre-22 novembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°499 du 1 septembre 1998, avec le titre suivant : Voir et revoir Alechinsky

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