FIAC 1998

L‘Autriche au tableau d‘honneur

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 octobre 1998 - 1223 mots

Depuis 1987, la FIAC, forte de sa dimension internationale, choisit de mettre chaque année un pays à l‘honneur. Cet automne, l‘Autriche est son invitée de marque. Pleins feux sur les structures et les artistes contemporains du pays de Schiele, Schönberg, Musil et Freud.

C‘était en 1997, à la dernière Biennale de Venise. Le pavillon de l‘Autriche était tout entier envahi par une immense montagne de catalogues et un panneau invitait le visiteur à se servir gratuitement. Pour le moins étonné, celui-ci ne se le laissait pas répéter deux fois et repartait tout fier, un véritable pavé sous le bras : pas moins de deux ou trois kilos de textes et d‘images sur l‘un des plus importants mouvements artistiques autrichiens du XXe siècle, Die Wiener Gruppe. Aurait-il voulu créer un événement, Peter Weibel, le commissaire du pavillon, ne s‘y serait pas pris autrement. Dans Venise, son catalogue devint très vite l‘un des signes de reconnaissance des biennalistes.
Quelque 84 000 km2, près de 8 000 000 d‘habitants, l‘Autriche qui compte depuis janvier 1995 parmi les états membres de l‘Union européenne est une république parlementaire constituée de neuf États confédérés, les Bundesländer. Inscrite au cœur même de l‘Europe, elle a connu au cours de son histoire toutes sortes de vicissitudes qui ont forgé sa personnalité. Sur le plan artistique, elle s‘est notamment appliquée, au sein du phénomène sécessionniste, à opérer une synthèse entre tous les arts en quête d‘un concept nouveau, celui d‘œuvre d‘art totale. L‘essentiel de ce qui anime l‘histoire de l‘art contemporain autrichien est fort de cette tradition, des Actionnistes viennois des années soixante jusqu‘à l‘actualité la plus récente.
À l‘instar de nombreux autres pays européens, les années quatre-vingt ont été pour l‘Autriche celles d‘un formidable « boom culturel », notamment sur le plan artistique. Tout en respectant le principe fédéral de la « responsabilité ministérielle », la politique culturelle de l‘État s‘est manifestée par l‘augmentation des moyens budgétaires, par une réforme des musées fédéraux, par la création de nouvelles structures institutionnelles, par une politique d‘encouragement au sponsoring et par un effort de promotion de l‘art autrichien à l‘étranger. Parallèlement, les galeries qui se sont littéralement professionnalisées ont connu un certain essor, contribuant pour une grande part à la diffusion de l‘information.
Si les années quatre-vingt-dix ont quelque peu ralenti les ardeurs et les enthousiasmes, il n‘en reste pas moins qu‘une nouvelle dynamique a été créée. La mise en place de « curateurs ministériels », chargés de soutenir et de réaliser des projets artistiques à l‘échelle internationale, a notamment favorisé la reconnaissance de la scène autrichienne hors de ses frontières. L‘action de critiques comme Cathrin Pichler et Robert Fleck, puis Stella Rollig et Marküs Brüderlin, a été à cet égard tout à fait exemplaire.
Le choix de la FIAC de mettre l‘Autriche à l‘honneur cette année, au moment même où elle assure la présidence de l‘Union européenne, n‘est pas innocent d‘un tel état de fait. Il témoigne de la réalité de cet essor tant dans ses conséquences esthétiques qu‘économiques. Dans ce contexte, Ursula Krinzinger, figure familière de la FIAC, nouvellement élue au comité d‘organisation, a sélectionné pour lui un ensemble de seize galeries parmi les plus prestigieuses et les plus actives : Academia, Carinthia, Charim Klöcker, Chobot, Hummel, Hämmerle, Ernst Hilger, Grita Insam, Ursula Krinzinger, Lang Wien, Menotti, Nächst St. Stephan, Steinek, Thaddeus Ropac, Elisabeth & Klaus Thoman et Ulysses. Quoique représentatif des deux tiers des « länder », son choix ne cache pas la prédominance de la scène viennoise : dix en sont issues pour deux qui sont originaires de Salzbourg et quatre autres de quatre régions différentes. Rien de surprenant à cela. Il en a toujours été ainsi de la capitale qui, de tous temps, a cherché à monopoliser l‘activité artistique du pays et ce malgré sa structure fédérale.
Qu‘elles soient viennoises ou non, les galeries autrichiennes présentent un égal intérêt et témoignent, dans leur ensemble, tant d‘une grande curiosité à l‘égard de l‘histoire des avant-gardes des années soixante que d‘une parfaite attention à la création la plus jeune. Parce qu‘elle est celle qui a donné à l‘Autriche son visage contemporain, la génération des Arnulf Rainer (Thaddeus Ropac, Salzbourg et Ulysses, Vienne), Otto Muehl (Charim Klöcker et Julius Hummel, Vienne), Maria Lassnig (Ulysses, Vienne), Hermann Nitsch (Julius Hummel, Vienne) et autres actionnistes y est très fortement représentée. Mais les défenseurs d‘une esthétique plus rigoureuse, instruite tant de l‘exemple minimal que d‘un art volontiers concret, n‘en sont pas moins absents : ainsi d‘Ernst Caramelle et d‘Herbert Brandl pour la peinture – que l‘on trouvera aux côtés du Suisse Adrian Schiess, du Français Bernard Frize et de l‘Allemand Günter Umberg (Nächst St-Stephan, la plus ancienne des galeries de Vienne) ; ainsi de Franz West (Julius Hummel, Vienne et Menotti, Baden) pour la sculpture.
Versant jeune création, on observe tout d‘abord, à l‘instar des autres scènes nationales, le développement de toute une production d‘œuvres exploitant les ressources plastiques tant de la photographie que de l‘objet. Présentés parmi d‘autres dans le cadre de la séquence « Perspectives » de la FIAC, les travaux de Bele Marx (Grita Insam et Chobot, Vienne) et de Isa Heider (Steinek, Vienne) en sont un excellent reflet. En effet, si celle-ci multiplie les objets en textile en rapport au corps, celui-là utilise la photographie au service d‘une iconographie dansante qui rappelle les temps fastes de l‘impératrice Léopoldine de Habsbourg. À l‘inventaire de ce genre de création figurent par ailleurs les images bougées de Siegrun Appelt (Hämmerle, Bregenz), prises entre Naples et Rome, et celles, éminemment domestiques, de Robert F. Hammerstiel (Chobot, Vienne). L‘intérêt de la jeune création autrichienne se manifeste encore dans la mise en œuvre de toutes sortes de dispositifs : installations lumineuses de Brigitte Kowanz (Hämmerle, Bregenz), espaces perceptifs de Ludovic Lignon (Hämmerle, Bregenz), montages géopolitiques du groupe Irwin (Grita Insam, Vienne), espaces privés d‘Annett Stolarski (Menotti, Baden).
Par-delà les mouvements d‘avant-garde et les effets de mode, la scène autrichienne présente une différence majeure avec ses voisines européennes : la peinture y résiste bien davantage et elle demeure un moyen d‘expression très en faveur auprès d‘un grand nombre d‘artistes. L‘exposition intitulée « Man, woman and the love for painting » (Ernst Hilger, Vienne) qui rassemble des œuvres de grands maîtres, tel Alfred Hrdlicka, comme de plus jeunes artistes, tels Gunter Damisch ou Nikolaus Moser, en est une brillante illustration. De plus, l‘abstraction informelle de Franco Kappl (Ulysses), les tableaux riches en matière de Schmalix ou d‘Anzinger (Ursula Krinzinger), les laques sur aluminium d‘Ingmar Alge (Hämmerle, Vienne), les figures délitées d‘Harald Durstmüller (Steinek à Vienne) en sont d‘autres témoins.
C‘est que, même aux moments les plus intenses de l‘avant-garde, la peinture n‘a jamais été remise en question en Autriche. Les Actionnistes viennois le savent bien et ils ont dû composer avec elle. À l‘occasion de la FIAC, une autre façon de le mesurer est d‘aller découvrir à l‘Espace Paul Ricard la collection de Wolfgang Hahn. Elle est l‘une des plus importantes en ce domaine et possède des pièces de la première heure. On peut y voir notamment des œuvres de Otto Muehl, Günther Brus, Hermann Nitsch ou encore Rudolf Schwarzkogler ; on peut surtout y relever combien ce groupe d‘artistes qui ont ouvert toutes sortes de voies et d‘aventures plastiques partageaient une esthétique commune mais jamais uniforme. Retour aux sources, en quelque sorte, d‘un art autrichien pleinement contemporain en phase avec la scène internationale.

Espace Eiffel-Branly, 7-12 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°500 du 1 octobre 1998, avec le titre suivant : L‘Autriche au tableau d‘honneur

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