Le principe de l’axolotl

L'ŒIL

Le 1 novembre 1998 - 392 mots

Le voyage pour le voyage et rien d'autre. Gilles A.Tiberghien, à l’occasion d’une exposition au Centre d’art du Crestet, réunit des textes sur le voyage pour laisser errer sa propre réflexion.

Larves mexicaines d’un genre un peu particulier, les axolotls sont destinés à ne jamais évoluer ; ils sont, écrit Gilles A. Tiberghien, « des êtres de transition, lieu d’un devenir qui ne s’accomplit jamais ». Cet entre-deux, nous dit-il, caractériserait la situation du voyageur contemporain. Celui, du moins, dont le voyage n’a d’autre but, avoué ou non, que de ne pas en avoir. De fait, si le voyage est apparemment l’objet de cet ouvrage – comme telle destination paraît être le but du voyageur – son sujet, en revanche, n’est pas plus le voyage que « partir n’a jamais permis d’aller quelque part ». Sans doute, Gilles Tiberghien voyage-t-il lui-même beaucoup. Il n’y en a pas moins du Psalmanazar en lui. Cet auteur du XVIIIe siècle, auquel un des essais est consacré, publia ainsi en 1704 une Description de l’île de Formosa en Asie. Aujourd’hui encore, on ne sait presque rien de celui qui, masqué (ou larvé) sous ce pseudonyme, partit de la réalité d’une île, alors méconnue, pour s’imaginer un pays d’origine et une langue maternelle. Mais, ce rien est tout, car « ”inventant” Formose, Psalmanazar s’inventa lui-même ». Dans son récit fictif, écrit ainsi Gilles A. Tiberghien, Psalmanazar « fait transiter le temps, [...] recompose l’espace. Il fait voir ici ce qui n’existe pas là-bas et, déréalisant ce que l’on connaît, réalise ce que l’on ignore ». À leur manière, certains artistes contemporains tentent – comme l’auteur – de réactiver ce pouvoir de créer des mondes, propre au récit de voyage. On pense, notamment, aux artistes du Land Art, auxquels Gilles Tiberghien a consacré une étude importante (éd. Carré). Les textes ici rassemblés ne viennent cependant pas commenter une œuvre – serait-ce celle d’Ulf Rollof qui les accompagne. Ce travelling à partir de l’axolotl, ce parcours « oniricocritique » vaut, seul, pour la réflexion vagabonde qu’il délivre : « Si le voyage m’intéresse tant, précise en effet l’auteur, c’est sans doute qu’il permet de penser par parenthèses, dans l’interstice des discours, entre deux lieux, entre deux temps, entre soi et l’autre [...] ».

Gilles A. Tiberghien, Le principe de l’axolotl & suppléments, et Le Projet Faros d’Ulf Rollof, Actes Sud-Crestet Centre d’Art/La Chaufferie, 156 p., 98 F., ISBN 2-7427-1777-3 / F7 5122.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°501 du 1 novembre 1998, avec le titre suivant : Le principe de l’axolotl

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