Godard, Resnais et la Nouvelle Vague

L'ŒIL

Le 1 décembre 1998 - 900 mots

Le cinéma se livre. Dix ouvrages sur le septième art paraissent ce mois-ci, de Jean-Luc Godard et la Nouvelle Vague, à Alain Resnais et sa conception littéraire du cinéma.

Réalisés par Jean-Luc Godard et initialement prévus pour la télévision, les huit épisodes des Histoire(s) du cinéma viennent de trouver une adaptation inattendue : un coffret de quatre livres publiés dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. Faite de tours et détours, d’une certaine liberté buissonnière, d’appropriations subtiles de textes, de séquences de cinéma, de fragments de photographies et de peintures, cette promenade débouche sur un terrible constat : le cinéma agonise faute d’avoir su penser la puissance de l’image. On peut dès lors s’interroger. S’agit-il d’une simple adaptation, transposition de la vidéo au livre ? Certains critiques le pensent, et ne manquent pas de remarquer que l’absence de sons, de voix et de musiques prive cet objet d’une émotion directe. Pour eux, le « sphinx » Godard nous adresse une énigme : quel est le devenir du cinéma ? Or, ces livres sont avant tout d’authentiques œuvres littéraires, réalisées par un auteur qui s’est longtemps affirmé cinéaste. Les Histoire(s) du cinéma retravaillent une matière, celle déjà utilisée dans la vidéo, et lui offrent une nouvelle incarnation dans un livre, pensé comme œuvre autonome. Déjà, ces derniers mois, les petits ouvrages publiés par P.O.L. indiquaient cette nouvelle perspective de la création chez Godard. Plus qu’une simple transposition des dialogues de ces films, ces livres revendiquent un véritable statut littéraire. Puissance de la parole incarnée dans l’écrit. Cette puissance, on la retrouve tout aussi intacte dans Nouvelle Vague, le double CD édité l’an dernier chez ECM. Amoureux de la matière sonore, Godard reconstruit ici un récit qui trouve sa place dans un écheveau de bruits et de sons, dans la splendeur de ce verbe qui court. Dès lors, surgit un autre film, un film réinventé puisque rêvé. Godard peut alors ajouter, sans doute avec une certaine gourmandise, « mon film, si vous en entendez la bande-son sans les images, ce sera encore meilleur ». Nouvelle Vague indique alors la possibilité d’un cinéma débarrassé des fausses vertus de l’image. Mais l’actualité liée à Godard ne s’arrête pas là : Godard par Godard (tome II) reprend l’intégralité des écrits et interviews de l’artiste de 1984 à 1998, ponctués par ses notes et documents de travail. D’autres, cinéastes français ou étrangers, ont également eu conscience de cette faute originelle, de cette absence de paroles dans un art qui ne sait comment accompagner l’époque actuelle. Il n’est donc pas inutile de lire les deux ouvrages consacrés à la Nouvelle Vague. Cette aventure, celle où toute une jeune génération de critiques s’est soudain sentie investie d’une mission sacrée : transformer à nouveau le cinéma en art de la vue, trouve dans l’ouvrage, fort bien documenté de Jean Douchet, une juste chronique des enjeux de cette époque. Le livre réalisé par Antoine de Baecque nous semble plus problématique. Centré sur le phénomène Nouvelle Vague au sein de la société française, l’analyse qu’il en donne reste malheureusement trop souvent sociologique. Par ailleurs, outre Godard, nombreux sont les cinéastes qui ne laissent aucune place à l’approximation. Alain Resnais fait partie de ceux-là. Les éditions du Centre Georges Pompidou viennent de consacrer un fort intelligent petit ouvrage à l’auteur de Nuit et Brouillard (1955), d’Hiroshima mon amour (1959) et dernièrement On connaît la chanson (1997). À travers de courts textes et de nombreux témoignages, on y découvre un cinéaste qui, dès ses premiers documentaires, était entièrement préoccupé par la recherche des possibilités narratives liées à la technique cinématographique. Ses collaborations avec plusieurs grands écrivains (Raymond Queneau, Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet...) démontrent également que Resnais n’a jamais perdu de vue les grandes espérances du cinéma : interroger avec une minutie extrême la grande variété des sentiments humains. Enfin, un très beau livre vient d’être consacré à Johan van der Keuken (L’Enfant aveugle 2, Amsterdam Global village). Depuis quarante ans, à travers nombre de « documentaires » étonnants, ce Néerlandais palpe, contemple et ordonne un univers ensuite reconstruit grâce à la toute puissance du montage. L’art de Keuken est de ceux qui creusent la réalité, pour mieux en révéler la syntaxe. « Pour moi, improviser et ne pas improviser constitue une opposition beaucoup plus importante que documentaire et fiction (...) improviser, ça c’est une catégorie réelle. »

- Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, éd. Gallimard-Gaumont, quatre volumes en coffret, 972 p., 490 F, ISBN 2-07-011544-5. - Jean-Luc Godard, Les enfants jouent à la Russie, éd. P.O.L., 64 p., 55 F, ISBN 2-86744-624-4. - Jean-Luc Godard, 2 x 50 ans de cinéma français, éd. P.O.L., 46 p., 45 F, ISBN 2-86744-627-9. - Jean-Luc Godard, Allemagne neuf zéro, éd. P.O.L., 82 p., 65 F, ISBN 2-86744-632-5. - Jean-Luc Godard, Nouvelle Vague, 2 CD et 1 livret de 95 p., ECM Records, 449 891-2. - Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, Tome 2 (1984-1998), Cahiers du Cinéma, 512 p., 400 ill,. 250 F, ISBN 2-86642-198-1. - Jean Douchet, Nouvelle Vague, éd. Hazan, 360 p., 400 ill., 495 F, ISBN 2 85025 619 6. - Antoine de Baecque, La Nouvelle Vague, éd. Flammarion, 160 p., 30 ill., 149 F, ISBN 2-08-010209-5. - L’art d’Alain Resnais par Alain Fleischer, éd. Centre Georges Pompidou, 120 p., 50 ill., 80 F, ISBN 2-858507856. - Johan van der Keuken, Aventures d’un regard, éd. de l’étoile, 240 p., 350 ill., 295 F, ISBN 2-86642-221-X.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°502 du 1 décembre 1998, avec le titre suivant : Godard, Resnais et la Nouvelle Vague

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