L’art en atelier ou à domicile

L'ŒIL

Le 1 décembre 1998 - 2202 mots

ENAD, CRAFT, LAC et S, Peuple et Culture, Artothèque et FACLIM. Derrière ces appellations aux accents parfois barbares se cachent des structures tout à fait originales, proches du grand public. Elles permettent une meilleure diffusion de l’art contemporain et de ses productions, tous supports confondus.

Les ENAD de Limoges et Aubusson
Les Écoles nationales d’Art décoratif de Limoges et Aubusson connaissent en ce moment un tournant dans leur histoire et leur développement. En effet, tout en maintenant les deux sites, les établissements vont progressivement se rapprocher afin d’aboutir à une fusion. L’ENAD de Limoges, créée en 1881, a vécu jusqu’en 1994 dans un bâtiment mitoyen du Musée national Adrien Dubouché, au centre de la capitale des arts du feu. Aujourd’hui, elle bénéficie de locaux neufs et fonctionnels, à proximité du campus universitaire de Vanteaux. Jusqu’en 1989, elle a dispensé une formation « arts du feu », c’est à dire céramique et émail dans le cadre du Brevet de spécialité sur les Arts du Feu qu’elle a depuis intégré dans les cursus longs DNAP/DNSEP Art et Design(s). L’ENAD d’Aubusson, créée en 1884 et installée depuis 1989 dans une nouvelle construction, assure une formation au métier de la tapisserie de basse lisse et fournit une initiation technique (carton, tapisserie) à des stagiaires. Des formations complémentaires telles que teinture ou rentraiture sont également dispensées. À l’issue de leur formation, les étudiants obtiennent le Brevet des Métiers d’Art, cursus court à finalité professionnelle dont la dernière promotion de « diplômables » est prévue pour la présente année scolaire. Depuis la rentrée 1996-1997, l’ENAD d’Aubusson est habilitée à accueillir des étudiants d’année initiale et à engager un cursus court, DNAT de Design Produit, unique au niveau national. Ces deux écoles dispensent un enseignement de trois à cinq ans à des étudiants recrutés sur concours après le baccalauréat. Les diplômes qu’elles délivrent sont des diplômes nationaux. Les deux ENAD comptent quarante enseignants, dont quinze contractuels et vacataires et cent-cinquante étudiants. Le projet de réunir les deux structures en une seule école multi-site n’est ni fondé sur l’idée d’une addition de deux établissements ni sur la mise en situation hiérarchique de l’un par rapport à l’autre. La volonté est de créer une unité pédagogique d’envergure. Ce rapprochement permet la mise en place d’un cursus de trois ans en Design Produit, commun aux deux écoles. Les problématiques de travail propres aux matériaux souples – tissés ou non tissés, avec des ressources exceptionnelles à Aubusson – et aux matériaux rigides, parmi lesquels la porcelaine et la céramique, y sont abordés simultanémént, dans une perspective de recherche et de production en série. Des expositions, colloques, échanges entre étudiants à un niveau international, l’édition d’un bulletin de liaison mensuel, des publications ponctuelles animent en cours d’année les deux sites. Le projet de fusion entre les deux établissements devrait être effectif à partir du 1er janvier 1999.

Le CRAFT, la création céramique
Le Centre de Recherche sur les Arts du Feu et de la Terre (CRAFT) a germé dès juillet 1993, date marquée par la création de l’association de préfiguration du Centre à l’initiative du ministère de la Culture (Délégation aux arts plastiques). Le projet initial prend corps sur l’idée principale d’ouvrir les Écoles nationales d’Art décoratif de Limoges à la création contemporaine aussi bien qu’à l’industrie. Le CRAFT jouerait alors un rôle de médiateur et serait porteur d’une image dynamique. C’est à partir de 1994 que le Centre, dirigé par l’architecte et designer Nestor Perkal, commence à développer ses actions de prospection, d’invitation d’artistes, de sensibilisation aux matériaux céramiques, de visites des installations de l’ENAD et d’entreprises industrielles. À la fin de cette même année, le CRAFT s’installe avec l’ENAD sur le campus universitaire de Vanteaux à Limoges. Sur proposition de son directeur, le Centre invite donc des artistes, designers, architectes à réaliser un projet utilisant les matériaux céramiques. Il demeure propriétaire des essais, modèles et moules. Le Centre n’est pas un lieu de formation ni d’apprentissage. Il accueille néanmoins des stagiaires : étudiants d’autres écoles supérieures, artistes confirmés ou professionnels issus du secteur de la céramique, exclusivement sur acceptation d’un dossier artistique ou d’un projet de réalisation. Le travail effectué peut donner lieu à sa présentation dans le cadre d’une exposition spécifique et/ou à la publication d’un catalogue. Depuis sa création, le CRAFT bénéficie du soutien du ministère de la Culture, de la DRAC Limousin auxquels est progressivement venue s’ajouter l’aide régulière de la ville de Limoges et surtout du Conseil régional du Limousin. Le Conseil général de Haute-Vienne a également apporté sa contribution pour des initiatives de co-production d’expositions ou de co-édition de catalogues. D’autre part, le Centre fonctionne en étroite relation avec l’ENAD. Une convention règle les modalités de collaboration entre les deux structures. Le Centre entretient des rapports soutenus avec un certain nombre d’entreprises locales ou nationales qui l’assistent dans ses recherches par la mise à disposition de matériels spécifiques, l’autorisation régulière d’effectuer des essais ou des cuissons en usine ou par la fourniture gracieuse de matières premières, d’usage courant ou de pointe. Parmi les artistes invités ces dernières années, citons Claude Courtecuisse, Olivier Gagnère, Martin Szekely, Wim Delvoye ou Christian Jaccard.

LAC et S, une association pionnière
Si l’art contemporain est aussi présent en Limousin, il le doit en partie à l’Association Limousin Art Contemporain et Sculptures (LAC et S) présidée depuis sa création par Marc Sautivet. Avec ténacité et des moyens fort modestes, elle s’efforce de promouvoir la sculpture contemporaine et la création industrielle. Dès le départ, l’Association a souhaité privilégier la création in situ, prenant en compte notamment le rapport avec des matériaux régionaux tels que le granit et le bois. De plus, d’une manière générale, l’Association diffuse l’art contemporain. Tout a commencé en 1983 avec l’organisation d’une rencontre internationale de sculpture de granit sur l’île de Vassivière. Pendant deux mois, les participants ont travaillé la pierre en ce lieu privilégié et créé des œuvres qui furent la base d’un musée de plein air. Cette initiative, réalisée en collaboration étroite avec la Filière pierre en Limousin, le Syndicat mixte de Vassivière et le Conseil régional du Limousin, s’est concrétisée par des sculptures signées Jean-François Demeure, Pierre Digan, Gary Dwyer, J. Goldberg, Henri Hairabédian, Marc Linder, Takera Narita, Janez Pirnat, Constantin Popovici, Michaël Prentice, Dominique Rolland, Vladimir Skoda, Éric Becavin, Alain Gerbault et Éric Samakh. Jusqu’en 1989 d’autres créations, parfois éphémères, prirent naissance en ce lieu. Parallèlement furent présentées des expositions, édités des livres, catalogues et cartes postales, des vidéos. À partir de 1990, les installations et autres expositions de l’Association se déplacèrent de quelques kilomètres et investirent le château de Nedde. Ici, l’Association privilégie l’accueil des artistes, en particulier les jeunes.

Peuple et Culture : l’art à la portée de tous
La culture est un moyen d’appréhender et de comprendre le monde et son propre environnement : cette définition de Peuple et Culture est appliquée et fait son chemin d’une manière efficace en Corrèze depuis 1951, année de sa création, issue du mouvement national portant le même nom formé en 1945 au lendemain de la Résistance. Des interventions décentralisées sous la forme de stages ou de veillées ont permis de contacter directement aussi bien la population rurale que celle de bourgs plus importants. Les actions de l’Association ont porté jusqu’en 1969-1970 sur la formation économique et sociale et l’action culturelle. C’est alors que commence une nouvelle étape marquée par la poursuite des cycles de formation décentralisés dans les communes rurales et un recentrage des actions en direction des villes qui deviennent de plus en plus des pôles culturels pour un tissu rural en perte de vitalité. En 1978, la ville de Tulle signe une convention culturelle avec l’Association. Cette dernière entame alors un travail, jusqu’alors inexistant, de sensibilisation à l’art contemporain. Des artistes sont invités à résider, à créer, à exposer dans la ville. Se développe un travail pédagogique en direction des enfants, des jeunes et du réseau de l’Association. En 1989, Peuple et Culture, non sans de multiples difficultés, ouvre un lieu destiné aux expositions : l’église Saint-Pierre, désaffectée, à Tulle. Les artistes peuvent investir le lieu et créer en toute liberté. Ainsi, Paul Bloas y présente treize peintures monumentales. Par la suite est montrée une rétrospective Ernest Pignon Ernest, des œuvres de Louis Jammes, Romuald Hazoumé, Tony Soulié, Vélickovic... Cette même église accueille en 1991 une exposition Joachim Mogarra sur une proposition du FRAC Limousin. En 1991, Peuple et Culture trouve un autre partenaire, en l’occurrence le Musée du cloître à Tulle qui se propose d’ouvrir ses murs et de travailler en synergie. La même année, l’Association devient un relais de l’Artothèque du Limousin pour le département de la Corrèze. Au-delà du prêt d’œuvres, l’Association développe des actions de sensibilisation en s’appuyant sur le fonds d’estampes de l’Artothèque. Dans ce contexte, un Artobus va aller à la rencontre de la population, notamment rurale. Cette année, en association avec l’Artothèque, l’Association Peuple et Culture, gérée par Manée Teyssandier, s’est distinguée par l’exposition « Sortir la tête » avec les travaux photographiques de Marc Pataut, les vêtements-sculptures de Majida Khattari, le graphiste Gérard Paris-Clavel et le Groupe du Kiosque.

Artothèque du Limousin, un réseau unique en France
Instrument original de diffusion de l’art contemporain, l’Artothèque du Limousin fonctionne sur un schéma proche de celui d’une bibliothèque. Elle offre à chacun la possibilité d’emprunter des estampes originales – lithographies, sérigraphies, gravures – choisies dans une collection témoignant des différents courants artistiques des quarante dernières années. L’idée de créer l’artothèque s’est imposée en raison du développement de l’art contemporain en Limousin (FRAC, centres d’art) et du souhait de pouvoir contacter l’ensemble de la population. En effet, la géographie même de cette région, sa répartition démographique ainsi que la carte des équipements culturels imposaient des solutions originales afin que des œuvres puissent être présentées à des publics qui en étaient privés. L’Artothèque fonctionne depuis 1986 et ne cesse de développer ses actions, notamment au travers de relais qui s’efforcent de couvrir l’ensemble du territoire régional. C’est une structure unique en France. Dans un premier temps, c’est vers le jeune public que se sont tournées les activités de l’Artothèque, en collaboration avec l’Éducation Nationale. Elle offre ainsi aux enseignants des ressources inédites pour l’approche des arts plastiques. Une démarche comparable de sensibilisation à l’art contemporain existe désormais en direction des associations, des entreprises et des collectivités abonnées à l’Artothèque. Celle-ci dispose de quatre relais à Guéret (Creuse), Tulle (Corrèze), Limoges et Vassivière (Haute-Vienne) qui assurent les prêts d’œuvres et l’animation de la collection. Tout récemment, un relais a été mis en place à la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges. Exclusivement réservé aux particuliers, le prêt est gratuit. Ce relais présente un fonds régulièrement renouvelé de plus de 200 œuvres sur papier. À Vassivière, le relais se fait par le biais du Centre d’Art contemporain. Il s’adresse aussi bien aux particuliers qu’aux établissements publics (écoles, collèges, lycées, bibliothèques, offices de tourisme, maisons de rertaite, associations), aux administrations locales, aux entreprises et aux partenaires privés. Ce relais dispose d’un fonds permanent consultable sur place. À Tulle, le relais est confié à l’Association Peuple et Culture. Il est renforcé par la mise en circulation de l’Artobus, destiné à aller à la rencontre de la population au plus profond du territoire rural. Ce véhicule équipé permet d’acheminer les œuvres de l’Artothèque vers des utilisateurs éloignés des pôles habituels de diffusion. L’Artothèque gère et anime aussi la collection du Fonds d’Art contemporain du Limousin (FACLIM). En 1998, l’Artothèque a enregistré plus de 8000 prêts d’œuvres dont 4400 payants. Les collections associées Artothèque et FACLIM constituent aujourd’hui la plus grande collection de ce type en France avec plus de 2600 œuvres.

Avec un franc par habitant, le FACLIM
Créé en 1982, le Fonds d’Art contemporain du Limousin (FACLIM) repose sur un réseau de communes qui choisissent chaque année de consacrer un franc par habitant à l’acquisition d’œuvres d’art. En 1986, l’Association FACLIM, qui dispose de peu de moyens pour son fonctionnement – l’argent des communes étant exclusivement utilisé pour l’achat des œuvres – confie la gestion de sa collection et de ses activités à l’Artothèque du Limousin. La réunion des deux structures, aux préoccupations identiques, a permis d’obtenir l’une des plus grandes collections d’œuvres sur papier en France.

Le CRAFT de Nestor Perkal

« Créé à l'origine pour servir d'outil à la pédagogie des étudiants de l'ENAD de Limoges intéressés à travailler la céramique, le CRAFT a très rapidement conquis une certaine autonomie. Son rythme de travail, ses objectifs de production, ses besoins techniques ont appelé d'autres exigences que celles d'un outil pédagogique. Le CRAFT a besoin d'espaces plus conséquents pour répondre aux demandes de production qui lui sont adressées. Il lui faut élargir son éventail de capacités techniques en se donnant les moyens d'aborder une pratique comme l'émail dans la suite d'une tradition qui a fait du Limousin une place internationale. Il lui faut pouvoir accueillir les artistes dans des conditions de confort tant de travail que de résidence afin d'offrir des services qui soient à la hauteur de ses ambitions. Mon souhait est de faire du CRAFT une institution équivalente au Centre international de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques à Marseille. De la sorte, il deviendrait un partenaire à part entière du réseau régional d'art contemporain. »

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°502 du 1 décembre 1998, avec le titre suivant : L’art en atelier ou à domicile

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