L’œil de Maïmé Arnodin

De Prisunic à Miyake

L'ŒIL

Le 1 décembre 1998 - 1308 mots

Rencontrer Maïmé Arnodin, petite dame de quatre-vingt-un ans, très tonique, pétillante et malicieuse qui ne perd pas une occasion de rire, de s’étonner, d’admirer, est un vrai bain de jouvence ! Elle qui fut, avec son amie Denise Fayolle aujourd’hui disparue, une pionnière du style en France, continue à tout regarder de près, à s’intéresser aux jeunes talents et à la création tous azimuts. Lorsqu’elle était directrice du Jardin des Modes dans les années cinquante, cette diplomée de l’École centrale des Arts et Manufactures lance le prêt-à-porter en faisant déjà la promotion de nouveaux stylistes comme Emmanuelle Khanh ou Christiane Bailly. Après un passage remarqué à la publicité du Printemps, elle crée son propre bureau de style et un célèbre « cahier de coloris ». Puis elle rejoint Denise Fayolle pour la grande aventure de Prisunic. En 1968 elles s’associent et créent l’agence MAFIA (Maïmé Arnodin Fayolle Internationales Associées) où elles prennent en main les campagnes publicitaires d’Yves Saint-Laurent (Rive Gauche, le parfum Opium...) ainsi que celles d’Absorba et des 3 Suisses où elles introduisent dans le catalogue des créateurs de mode tels Sonia Rykiel, Azzedine Alaïa, Agnès B., Jean-Paul Gaultier et Popy Moreni. Pleines d’enthousiasme et d’énergie, elles créent une deuxième agence en 1990, NOMAD, où elles conseillent alors La Redoute. Maïmé Arnodin, avec simplicité, bon sens et intelligence, a réussi à donner au « commercial » et à la consommation, une image optimiste, humaine et populaire.

Comment avez-vous acquis cet œil infaillible ?
J’ai toujours aimé observer les choses. J’ai développé mon œil auprès de Lucien Vogel au Jardin des Modes. Je l’admirais beaucoup ; il m’avait engagée sans que j’aie aucune référence pour travailler dans la presse. J’étais ingénieur ! Mais il trouvait que j’avais du goût, et il m’a envoyée faire des stages en Angleterre et dans les imprimeries pour apprendre le métier. Il m’a appris à regarder. Je n'ai pas été élevée dans les musées mais plutôt au cinéma où j’étais tout le temps fourrée.

Avez-vous un premier souvenir lié à l’art ?
Pas du tout. Je n’ai eu aucune révélation. Mon œil s’est éveillé peu à peu, en voyant des expositions plus tard.

Comment étiez-vous habillée quand vous avez rencontré Lucien Vogel ?
J’avais une robe faite par une couturière, car le prêt-à-porter n’existait pas. Elle était vanille à petits pois marron. Elle lui avait beaucoup plu ! (rires) Au Jardin des Modes je me suis bagarrée tout de suite pour introduire le prêt-à-porter. Ce fut le début d’une carrière où je n’ai cessé de vouloir améliorer ce qui était populaire. L’existence de la Haute Couture freinait, en France, le prêt-à-porter alors qu’il existait en Amérique. C’est aussi à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser aux coloris, aux matières. Je suis restée au Jardin des Modes jusqu’en 1958.

Que pensez-vous des couturiers qui s’inspirent de la peinture, de l’art ?
C’est bien quand on le fait comme Saint-Laurent ! C’est alors un hommage dont aucun artiste ne peut prendre ombrage. Si c’est copié par des gens qui travaillent mal, c’est scandaleux.
L’art, tout comme la mode, est une forme d’expression qui traduit ce qui est dans l’air du temps.

Vous avez soutenu Issey Miyake...
J’aime énormément Issey Miyake. C’est un vrai créateur, un artiste. Je l’ai rencontré à Tokyo en 1969 où j’étais allée faire des conférences pour l’entreprise Toré, sur la grande diffusion. Il nous avait complètement séduit par le dynamisme que reflètaient ses vêtements, ses couleurs, par son énergie et son extrême gentillesse. Nous lui avons dit de venir absolument montrer son travail à Paris. Finalement il est venu en 1973. Depuis trente ans nous partageons une vraie amitié. Nous nous sommes beaucoup vus lorsqu’il a sorti ses parfums. Shiro Kuramata avait eu un projet de flacon pour lui, mais ça n’a pas abouti. Dans la mode, il n’arrête pas d’inventer. Pierre Bergé le dit : « Il y a deux créateurs dans la mode, Saint-Laurent et Issey. » Il est tellement généreux, actuel, moderne. Il ne s’intéresse pas à la mode en tant que mode, mais bien plutôt à une manière de vivre. Ses contacts avec les artistes ont toujours été très étroits, depuis Rauschenberg jusqu’à aujourd’hui Tim Hawkinson, Morimura ou le photographe Noboyoshi. Il a toujours exposé dans des musées. La dernière exposition au Musée des Arts décoratifs qui s’appelait « A-UN » était sans doute plus provocante, mais moins intéressante que celle qui a lieu en ce moment à la Fondation Cartier. « A-UN » était un constat : voilà comment je suis et qui je suis. À la Fondation Cartier, avec « Making Things », c’est plus ludique, plus ouvert, et puis surtout il explique comment il travaille.

À quels artistes vous intéressez-vous ?
Récemment à Loïc Le Groumellec comme vous pouvez le voir sur le mur. À César qui est un ami que j’aime beaucoup. J’ai de lui des cageots compressés, mais ils voyagent de par le monde et ils me manquent beaucoup.

Quelles sont les dernières expositions que vous ayez vues ?
Celle d’Alechinsky au Jeu de Paume. Très bel accrochage. J’ai eu un Alechinsky mais je ne l’ai pas gardé. Je n’avais sans doute pas assez envie de vivre avec lui ! Au Musée d’Orsay j’ai trouvé la confrontation Millet/Van Gogh magistrale. Et j’ai découvert Millet qui est un superbe peintre ! J’aime beaucoup aller aux expositions du Centre Georges Pompidou.

Que pensez-vous du Centre Georges Pompidou ?
C’est un lieu de rencontres. Cela attise la curiosité des gens, même si la plupart ne vont pas voir les expositions. Quand je voyageais aux États-Unis dans les années cinquante, j’étais ébahie de voir se promener dans les musées des familles avec leurs enfants qui couraient partout. Il existait une familiarité, une proximité avec l’art. En France le musée est un lieu figé, silencieux, secret comme une église. Mais cela change. Regardez les queues devant le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, lorsqu’il y a ces grosses expositions thématiques. Quant à l’architecture du Centre, j’avoue que j’aime Renzo Piano. J’adore l’architecture et si je devais recommencer ma vie, je serais architecte.

Et la photographie ?
Je me passionne pour les expositions de photo. Là, au mur, j’ai des clichés de Winston Link avec des trains dans des gares. Il y a celle-ci aussi, de Hoyningen-Huene, ce couple vu de dos, avec Horst qui pose.

Comment avez-vous participé à l’aventure de Prisunic ?
J’ai travaillé pour les fabricants, pour le prêt-à-porter de Prisunic, pendant que Denise Fayolle s’occupait des fameux catalogues de meubles par correspondance, et faisait venir tous ces créateurs. Nous partions du principe qu’il n’y a pas de sous-produits, tout mérite une attention particulière : l’objet quotidien doit être beau, pratique, intelligent. Des designers comme Terence Conran, Gae Aulenti, Olivier Mourgue, Marc Held ont dessiné et participé au Style Prisu, connu et apprécié par toutes les classes de la société. Améliorer et démocratiser les produits est devenu un phénomène de dimension culturelle ! En 1966 il y a eu le lancement, grâce au soutien de Jacques Gueden, d’une collection de lithographies réalisées par les artistes de l’éditeur d’estampes Jacques Putman : Bram Van Velde, Alechinsky, Matta, Messagier, entre autres. Ces lithos, tirées à trois cents exemplaires numérotés et signés, étaient vendues 100 F chacune. Elles remplissaient un objectif social très en avance pour l’époque : l’art à la portée de tous ! Cette merveilleuse expérience a fait école dans toute l’Europe et ne s’est arrêtée que parce que Denise Fayolle est partie pour fonder avec moi, en 1968, l’agence Mafia.

Quelle est votre philosophie de vie pour l’an 2000 ?
Ce serait plutôt zen.

Exposition « Prisunic » au Musée d’Art moderne de Saint-Étienne, tél. 04 77 79 52 52, jusqu’au 13 décembre. Catalogue revue Azimuts n° 15. Exposition « Issey Miyake, Making Things », Fondation Cartier de Paris, tél. 01 42 18 56 51, jusqu’au 28 février.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°502 du 1 décembre 1998, avec le titre suivant : L’œil de Maïmé Arnodin

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