Biennale

Huang Yong Ping - Biennale de Venise

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 juin 1999 - 1009 mots

VENISE / ITALIE

Autre invité du pavillon français de la Biennale de Venise, Huang Yong Ping a décidé de le peupler d’animaux symboliques fichés sur de hautes colonnes. Réalisées en mai dans la fonderie Nivet près du domaine de Kerguéhennec en Bretagne, ces étranges créatures d’aluminium vont obliger le visiteur à faire le tour du bâtiment, puis à y pénétrer. Un aller-retour incessant entre un ici-bas et un ailleurs haut perché.

Un proverbe chinois dit : “Dans l’antiquité on n’écrit jamais les choses les plus importantes sur le papier”. Heureusement, il me paraît que l’art est une chose peu importante. Or, ce proverbe est très fondamental pour moi : j’aimerais que tout reste équivoque. » C’est par ces mots que Huang Yong Ping se présentait au public français en 1989 dans le catalogue de l’exposition les « Magiciens de la Terre » montée par Jean-Hubert Martin en réponse à la question : « Qu’est-ce que l’art ? » Installé à Paris depuis lors, Ping, né en 1954 à Xiamen, dans la province du Fujian, n’a cessé de multiplier les propositions et a participé à de très nombreuses expositions dans le monde entier. Son œuvre, centrée « sur le questionnement des relations établies entre la culture dominante et les “autres”, les cultures alternatives », s’est très vite imposée comme l’une des plus singulières parmi toutes celles qui sont extra-occidentales. Quoique profondément imprégné des modèles et des traditions de sa propre culture, notamment de la philosophie taoïste, Huang Yong Ping ne s’est jamais enfermé dans un sentiment nationaliste et sa démarche n’a rien qui procède d’une revendication identitaire. Bien au contraire, il cherche à faciliter le croisement des cultures, à les confronter, voire à les heurter violemment, tout en s’appliquant à en dépasser les oppositions. Et, comme il l’a déclaré à Hou Hanru en 1993, rien ne l’intéresse plus que de « prendre l’Occident pour frapper l’Orient, prendre l’Orient pour frapper l’Occident ». Dans le contexte d’ouverture de la Biennale de Venise et le souhait d’extraterritorialité exprimé par Harald Szeemann, cette capacité à la collusion des cultures, qui requiert une éminente attention à l’autre, explique le choix qu’a fait la France d’inviter Huang Yong Ping à partager le pavillon national avec Jean-Pierre Bertrand.

Inverser l’ordre culturel établi
Du temps où il était en Chine, Huang Yong Ping participa au milieu des années 80 à la création d’un groupe d’artistes d’avant-garde répondant au nom de Xia-Men Dada. L’objectif de ces derniers était de renverser l’ordre culturel établi, et plus particulièrement l’art officiel qui en était encore à une forme désuète de réalisme socialiste. Si ce groupe rassemblait des artistes aux styles très variés, il trouva toutefois son unité dans la radicalité militante de leurs actions et, dans ce contexte, Ping fit figure de leader parce qu’il était « l’un des rares parmi ceux qui pouvaient travailler à partir de leurs propres réflexions philosophiques, et non à partir des emprunts à l’art occidental » (Fei Da Wei). L’une des plus mémorables manifestations du groupe fut en 1987 la proposition que fit Ping à ses amis de brûler toutes leurs œuvres après une exposition devant le lieu où elles avaient été présentées, et ce afin de bien faire valoir que, bien plus que « la matière figée », c’est le processus qui compte. Adversaire farouche de toute forme d’expressionnisme, Huang Yong Ping n’a de cesse de livrer son doute fondamental sur la valeur de la culture et des formes artistiques. À travers les actes, les formes et les matériaux les plus divers qui soient, son travail cultive le paradoxe du plasticien. Si Ping exploite les ressources les plus convenues des pratiques artistiques, c’est toujours pour les remettre en cause parce que « la conception de “culture” doit être toujours relavée et resséchée ». Chez lui, l’œuvre n’est jamais finie, elle est en perpétuelle mutation. C’est qu’il y va de la création non d’un principe d’invention mais d’une dynamique, laquelle doit nous permettre de mieux saisir ce qu’il en est du Théâtre du monde, titre de l’œuvre conçue par Ping en 1993 pour l’exposition « Hors Limites », c’est-à-dire d’une globalité.

Entre ciel et terre, par-delà toute géographie, toute culture
Pour Venise Huang Yong Ping s’empare du pavillon français par un dispositif symbolique qui vise à en subvertir l’architecture. Celui-ci est composé d’une série de 9 colonnes établies selon une ligne en pente qui s’élève de l’extérieur du bâtiment, face à l’entrée, jusqu’au-dessus de son centre. Chacune de ces colonnes est dominée par un énorme animal, sculpture en fonte d’aluminium brillante comme de l’argent, directement issu tant de l’imaginaire de l’artiste que de légendes chinoises. Impressionnant de monumentalité, l’ensemble qui exige de la part du spectateur une totale déambulation dans et autour du pavillon ne se laisse appréhender que de façon partielle. Le double mouvement du dehors vers le dedans, et vice-versa, qu’il suppose induit une relation critique à l’espace et au temps que corrobore la mise en place d’un chariot au format d’une boussole chinoise, installé à proximité de la première colonne et dominé par une statue humaine. Réflexion sur l’ambiguïté et l’incertitude de nos habitudes perceptives, sur les notions et les valeurs de la chose artistique, l’intervention de Huang Yong Ping en appelle à toutes sortes de référents symboliques sur le destin du monde. Ses animaux qui sont étrangement composites renvoient en effet tant à l’idée générique d’une catastrophe qu’à celle d’un état de bonheur, tandis que la façon qu’a Ping d’implanter ces fûts de bambou fait allusion à la pratique de l’acupuncture. Conçus dans le cadre d’une résidence d’artistes au domaine de Kerguéhennec et réalisés selon les techniques les plus traditionnelles de la sculpture dans les ateliers d’un fondeur breton – en collaboration avec des étudiants d’écoles d’art voisines –, les animaux de Huang Yong Ping déterminent entre ciel et terre, par-delà toute géographie, toute culture et toute esthétique, comme le vecteur symbolique d’une trajectoire existentielle. D’un aller-retour incessant entre un ici-bas et un ailleurs haut perché, dans cette préoccupation de chaque instant à vouloir habiter le monde.

VENISE, Giardini, pavillon français, 13 juin-7 novembre.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°507 du 1 juin 1999, avec le titre suivant : Huang Yong Ping - Biennale de Venise

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