Couvre-chefs de chefs

Par Laure Meyer · L'ŒIL

Le 1 juillet 1999 - 1346 mots

Qu’ils soient brodés de perles, ornés de dents de léopard ou même de boutons de chemise, les chapeaux reflètent la diversité du continent africain et de ses ethnies. Par leurs formes et leurs ornements, ils désignent les individus chargés d’une dignité particulière, notables, membres de confréries et même chefs.

Circulant en Afrique, on pourrait être tenté de penser que les chapeaux sont réservés aux Européens. Le bon vieux casque colonial, porté même par les femmes, est encore dans toutes les mémoires. Quant au touriste qui de nos jours émerge d’un avion, il n’a rien de plus pressé que de s’acheter un chapeau. Un grand nombre d’Africains au contraire ne paraissent pas se soucier du soleil, cet intense soleil tropical qui les accompagne le long des routes et des fleuves. Certains groupes sociaux cependant, se couvrent la tête, les bergers Peul gardant leurs troupeaux dans des zones semi-désertiques, les Touareg du Sahara, et plus généralement les musulmans. Les femmes africaines drapent souvent, avec une élégance jamais prise en défaut, un madras multicolore autour de leur tête. Mais ce n’est pas un véritable chapeau. Pourtant tout musée d’art africain possède une collection de chapeaux. Le National Museum of African Art de Washington en expose actuellement une quinzaine. Certains datent du début de ce siècle, d’autres sont encore fabriqués de nos jours, mais ils ne sont pas portés dans la vie quotidienne. Ils ont tous un sens spécial. Correspondant à un privilège, ils sont réservés à certains hommes – plus rarement des femmes – qui occupent une place particulière dans la société. Ils soulignent leur dignité, rehaussent leur prestige aux yeux des autres membres du groupe pour qui leur signification est évidente. De par leur origine tirée du monde sauvage, de par leur nature coûteuse, preuve de grande richesse, ils mettent l’accent sur certains aspects de la personnalité du porteur. Pour faire un beau chapeau, tout peut servir. La fantaisie et l’imagination ne connaissent pas de borne et font honneur à la créativité africaine.

Plumes et dents de léopard
Les plumes, surtout si ce sont des plumes rouges de perroquets, sont très recherchées. Les Bamum du Cameroun les utilisaient, groupées sur un cercle de matières végétales. Ces couvre-chefs du plus bel effet étaient réservés aux rois ou aux dignitaires masculins qui les portaient lorsqu’ils dansaient à l’occasion de diverses cérémonies. Les Karamojong du Kenya et de l’Ouganda, quant à eux, préfèrent les plumes d’autruche. Leurs courbes souples, leur aspect mousseux, jaillissent de part et d’autre d’une surprenante coiffure, pour laquelle les hommes laissent pousser leurs cheveux, puis malaxent ceux du devant avec de l’argile colorée de divers tons d’ocre. L’ensemble est signe de force, courage et virilité, confirmant pour un individu son statut d’ancien ou de guerrier. Les fourrures ont aussi été largement utilisées, surtout dans les régions d’Afrique centrale et orientale. Elles avaient toujours des liens plus ou moins étroits avec la forêt et la brousse. La fourrure d’un animal dangereux, lion ou panthère, pouvait rappeler un épisode dramatique, un affrontement mémorable entre chasseur et prédateur. Elle pouvait aussi viser à insuffler au guerrier l’énergie vitale du fauve. Comment ne pas se battre comme un lion quand on en porte la toison ? Les Ngombe de la République démocratique du Congo ont employé, quant à eux, la peau du pangolin, couverte d’écailles rigides. Dans certaines confréries elle est associée aux différents grades qui permettent aux membres d’atteindre des niveaux plus élevés en fonction de leur âge. On remarque enfin que sur ces coiffures la peau de pangolin est complétée par des plumes. Cette association entre différents aspects du monde animal désigne le porteur du chapeau comme celui qui a su dépasser les limites du village. Autrement dit, à la vie civilisée est opposée la nature sauvage. Les dents de léopard jouissaient également d’un grand prestige. Dans leurs récits mythiques, les Kongo associent la force, la ruse et la férocité des grands chefs aux qualités du léopard. La tradition remonte loin. En 1482, le navigateur portugais Diego Cao, arrivant dans l’estuaire du fleuve Congo, remarqua que le roi du pays et ses dignitaires portaient différents chapeaux, insignes de leur puissance et de leur statut. Ceux qui étaient ornés de dents de léopard étaient les plus prestigieux. Ils continuent à désigner les grands chefs.

Des signes extérieurs de richesse
Aussi loin que l’on puisse remonter dans les arts africains, les statues royales apparaissent parées de perles. Les commerçants des siècles passés qui déversaient sur l’Afrique des chargements de verroterie multicolore l’avaient bien compris. Étant donné leur prix très élevé, ces perles signes de richesse, étaient réservées aux membres les plus puissants de chaque ethnie. Ainsi chez les Topotha du Soudan, les hommes portaient des chapeaux couverts de perles rouges constituant des motifs circulaires et qui indiquaient leur richesse et leur statut social élévé. Les cauris, ces coquillages importés depuis l’Océan indien et qui servaient de monnaie, étaient un autre signe de richesse destiné à impressionner le peuple. Ils ont souvent été employés en liaison avec des perles de verre, les cauris dessinant par exemple des motifs blancs brillants sur un fond de perles de couleur, ou l’inverse. Les Lega les ont utilisés pour fabriquer les chapeaux réservés aux membres d’une société secrète, le Bwami, et à leurs épouses. Les membres de cette confrérie pouvaient franchir des grades en fonction de leurs connaissances. À l’issue de l’initiation correspondant à chaque grade, ils recevaient des insignes et leur chapeau. Ceux qui étaient décorés de cauris et d’une queue d’éléphant étaient probablement réservés aux hommes ayant atteint le niveau le plus élevé. Ils pouvaient les porter quotidiennement ou pour des occasions particulières. Durant certains rituels, l’épouse d’un initié du Bwami peut porter le chapeau de son mari tout en tenant à la main le sien propre. Pour les femmes qui ont atteint le niveau supérieur, le chapeau est couvert non de cauris mais de boutons de chemise blancs d’origine européenne, moins chers ; la femme peut le porter tous les jours, aussi bien que pour des cérémonies spéciales. C’est vers 1940 que les cauris ont été remplacés par des boutons chez les Lega mais, au début de ce siècle, les boutons étaient déjà largement employés au Gabon pour décorer des casques de guerriers. Les métaux eux aussi ont toujours été en Afrique des matières chères, donc signes de richesse. Chez les Ekonda, les chefs portent pour célébrer les cérémonies du village un haut chapeau cylindrique en vannerie sur lequel figurent deux cercles, l’un en laiton jaune, l’autre en cuivre rouge. L’ensemble, du plus bel effet, était destiné à souligner la richesse et le prestige du chef qui était tenu de le porter chaque fois qu’il paraissait en public. Après le décès de ce notable, son chapeau passait à son successeur. Il était exposé lorsque le nouveau dignitaire prenait ses fonctions.

Une recherche d’élégance
Chez les Swahili du Kenya et de Tanzanie, la recherche de luxe n’est pas fondée sur le prix des matières premières mais sur l’aspect des coiffures. La culture swahili est un mélange d’influences africaines et islamiques, car la côte orientale de l’Afrique a été dans le passé occupée par des musulmans. Les hommes portent les calottes traditionnelles emboîtant la tête. Celle qui est exposée révèle un sentiment esthétique très sûr chez celui qui l’a acquise et la porte quotidiennement, indiquant par là sa situation de notable parmi ses concitoyens. En Afrique du sud, ce sont les femmes zoulou qui proclament leur état de femmes mariées avec une élégance particulière. Elles avaient pendant longtemps eu le crâne rasé, mais depuis le début de ce siècle, elles ont adopté un chapeau rouge de ligne très pure, sans doute peu pratique, mais qu’elles portent pour les grandes occasions. Il est donc clair que les Africains considèrent la tête comme la partie du corps où se manifeste leur identité individuelle ou collective. C’est en l’ornant qu’ils désignent dans le groupe social les individus chargés d’une dignité particulière, rois, notables, membres de confréries puissantes. Et pour les femmes, seules celles qui sont mariées ont droit à un chapeau !

WASHINGTON, National Museum of African Art, 18 juillet-17 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°508 du 1 juillet 1999, avec le titre suivant : Couvre-chefs de chefs

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