Jambon ou gouda

Par Laure Meyer · L'ŒIL

Le 1 juillet 1999 - 252 mots

« Nature morte », vous avez dit « nature morte » ? Mais ces compositions de fleurs et d’objets nées sous le pinceau savant des peintres hollandais du Siècle d’or ne semblent en rien mortes ou silencieuses, comme disent les Anglo-saxons. On les verrait plutôt criantes de vie, exprimant une vision du monde, l’art de vivre de leurs commanditaires, princes puissants ou bons bourgeois protestants, commerçants du nord des Pays-Bas. Épicuriens, ils ne rejettent rien des plaisirs de l’existence mais les abordent avec discrétion. Adriaen Coorte nous éblouit par la maîtrise qu’il déploie pour faire apparaître sur un fond sombre la transparence irisée et succulente, la rondeur pulpeuse de ses Groseilles, surmontées d’une branche dressée, hymne discret à une sensualité poétique mais triomphante. Le thème est modulé à l’infini par les peintres de fleurs : fleurs en robe d’apparat d’Ambrosius Bosschaert, fleurs ployant sous une sensualité trop lourde de Daniel Seghers, et même une rose qui, pour Simon Verelst, semble méditer au soir de sa vie. En contrepoint, les nourritures plantureuses s’étalent largement, et aussi les plaisirs du tabac. Les explorations intellectuelles ont leurs adeptes, nous disent les Livres en désordre de Jan Davidsz de Heem, mais bientôt survient un doute. Tout ceci ne serait-il pas un trompe-l’œil sclérosé ? Pour décliner tous ces thèmes, les peintres disposaient, avec un savoir consommé, les éléments de chaque composition et s’attaquaient au défi incroyable du rendu des matériaux grâce à des possibilités techniques remarquables dont la clé s’est perdue.

AMSTERDAM, Rijksmuseum, jusqu’au 19 septembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°508 du 1 juillet 1999, avec le titre suivant : Jambon ou gouda

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