Design

Les épures de Ronan Bouroullec

L'ŒIL

Le 1 septembre 1999 - 713 mots

Il est jeune, tellement discret et modeste qu’on pourrait le croire timide si ce n’est ses yeux bleus, attentifs et ironiques.

S’il fallait le situer, il serait à mettre dans la famille d’un Jasper Morrison, mais en bannissant immédiatement le mot « minimal » dont il a horreur. À la rigueur on pourrait parler à son propos, de recherche du minimum. Nous dirons qu’il aime à rendre encore plus simple, les objets simples. Épurer, affiner, enlever, alléger tout en gardant l’essentiel, mieux, en le mettant en évidence.
Il est encourageant d’observer que, comme Matali Crasset (L’Œil n°508), Bouroullec est issu de l’une de nos écoles d’art françaises section design. Il sort diplômé en 1995 de l’École des Arts décoratifs de Paris, élève de Jean-Claude Maugirard. Très vite il se distingue. Après avoir un peu travaillé avec Christian Liaigre et avoir participé à de nombreuses expositions collectives importantes (« Dix ans du design français » à Boulogne-Billancourt, ou « Made in France » au Centre Georges Pompidou), il obtient le sésame qu’est la Carte Blanche du VIA et expose ses Vases combinatoires chez Néotu. Les « combinaisons » de Bouroullec lui portent chance, et l’on prête de plus en plus attention à ce designer si doué qui se consacre à la recherche d’un langage construit à base d’assemblages, de systèmes, d’accidents dus au hasard mais récupérés, de décalages, bref à la création de mobilier et d’objets qui sont, avant tout, des modules mobiles. D’une seule chose doit naître la possibilité de compositions multiples. Il obtient en 1998 le Grand Prix du design de la Ville de Paris et le Grand Prix de la critique au Salon du meuble. On l’attend au tournant, mais il ne déçoit pas. Au contraire. Après sa Tasse à café N°4 où la place du sucre est indiquée en creux, on découvre dans toutes les revues, son canapé Safe rest édité par Domeau et Pères, avec ses coutures apparentes qui soulignent l’architecture du meuble. Coussins, dossier, accoudoirs n’existent pas, mais on peut tout aussi bien s’y asseoir confortablement, s’y allonger, s’y prélasser. Convertible en véritable lit de repos bas, avec tablette incorporée, sa ligne ressemble aux contours géométriques d’un sofa évidé. Un défi de légèreté. Même chose pour sa table et ses étagères en bouleau et verre. Bouroullec veut toujours améliorer l’usage d’un objet, le montrer comme si on ne l’avait jamais vu auparavant.
En janvier 2000 il va présenter à Cologne une version définitive de la cuisine nomade qu’il mijote depuis quelques années, et qui va être éditée par Boffi et Capellini, réunis sous le label Units. Une cuisine en kit, réduite au minimum nécessaire, mobile bien sûr (que l’on pourra emmener avec soi à chaque déménagement), modulable à volonté avec différents éléments ajoutables. La base : l’eau et le feu. Le reste, table, évier, hotte, panier, tiroirs… s’ajuste comme un jeu de mécano. À ces propositions de design industriel pur, Bouroullec ajoute un travail proche de l’artisanat tel qu’il vient de le présenter à Vallauris. Car, « j’aimerais fonctionner dans les deux registres, de la grande diffusion et de la petite édition, comme a pu le faire Sottsass » déclare-t-il. Ainsi qu’il l’avait déjà fait pour Capellini avec ces vases en céramique d’un blanc laiteux, plats et troués comme une boîte à œufs, il vient de réaliser, grâce au Ministère de la culture, à la ville de Vallauris et à la complicité de la galerie Gilles Peyroulet, toute une collection d’objets (vases, patères, carafes, tables empilables) qui tourne autour de l’idée du rond, du cercle (du tour de potier). Ces objets d’une beauté plastique indéniable, intemporels comme des sculptures minimales un brin monastiques, dégagent une présence inouïe autant physique que métaphysique. « Juste un supplément d’âme » dit Bouroullec qui n’hésite jamais à renouveler matières et techniques, pour réinventer, aussi, la tradition. Ses projets : la scénographie du prochain Salon du meuble à Paris, une salle de bain pour Boffi, des objets pour Habitat commandés par Tom Dixon, des bijoux en argent pour une marque islandaise et une moquette éditée par Sommer, qui sera utilisée dans un hôtel signé Jasper Morrison à New York.

VALLAURIS, Château de Vallauris, jusqu’au 3 octobre. À lire : Ronan Bouroullec à Vallauris, préface de Brigitte Fitoussi, éditions Grégoire Gardette, Nice, 50 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°509 du 1 septembre 1999, avec le titre suivant : Les épures de Ronan Bouroullec

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