l’œil d’Helmut Newton

Helmut Newton

Le poids du Sumo, le choc des photos

L'ŒIL

Le 1 novembre 1999 - 1342 mots

Maître incontesté de la photographie de mode pour les grands magazines, grand prêtre de mises en scène où fétichisme et perversion se disputent l’honneur, Helmut Newton explore depuis près de 30 ans un univers onirique où se côtoient mannequins, vedettes de cinéma et membres de la jet-set internationale. La publication de Sumo, livre événement de 30 kg, nous entraîne dans ce monde où chaque personnage avec ses postures, ses gestes, ses vêtements luxueux, n’est qu’artifice dans un paysage de papier glacé.

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Comment est né Sumo ?
L’idée vient de Benedikt Taschen. Un soir de 1997, à Los Angeles, il nous a invités, ma femme et moi, dans sa chambre d’hôtel. Là, il a déchiré l’emballage de papier kraft d’un très gros paquet. C’était la première maquette de ce livre. En découvrant cet objet imposant, nous sommes restés bouche bée tant le projet paraissait irréel par ses proportions et son ambition.

Comment s’est déroulée la sélection des images ?
Cette sélection, nous l’avons faite à trois. Moi, Benedikt et surtout ma femme, qui possède un véritable don pour le montage d’un livre. Cet ouvrage est une sélection, un regard amusé sur ma pratique photographique. J’ai immédiatement opté pour un livre comportant aussi bien des photographies connues que des images inédites. Ainsi, sur les 460 images qui composent l’ensemble, beaucoup n’avaient jamais été publiées, d’autres proviennent de magazines comme le New Yorker ou Vanity Fair.

Vous photographiez un monde très particulier, celui des mannequins, des stars des médias et de la jet-set internationale. Pourquoi cette exclusivité ?
Il existe dans mon œuvre des images plus rares réalisées dans d’autres lieux, d’autres milieux.
Je pense notamment à une photographie de serveuse dans une taverne de Munich. Je trouvais admirable la manière dont cette femme portait les chopes de bière. En fait, je suis largement tributaire des commandes des magazines.
Or, ces commandes concernent essentiellement les gens très connus, les stars, les intellectuels. Ce que veulent les lecteurs, c’est voir des gens célèbres. Cette fascination me paraît dramatique. Parfois, elle me pèse.

Cette taille monumentale est inhabituelle dans votre œuvre !
C’est vrai. Mais il faut avouer que les très grands formats sont désormais des poncifs de la production contemporaine. Je déteste cette sorte de culte envers la monumentalité, cette volonté de gonfler les négatifs pour ensuite les imposer aux murs. Souvent, la démarche me paraît totalement gratuite. Personnellement, j’ai toujours préféré les petits tirages.

Quelle différence faites-vous entre érotisme et pornographie ?
Je déteste le mot érotique.
Soit on parle de nu, soit on parle de pornographie. Le terme d’érotisme appliqué à la photographie ne signifie rien. C’est un peu comme le soft-porn américain. Ce mot ne recouvre rien de précis. Sur ce sujet, les Américains sont décidément assez étranges.

Quand avez-vous réalisé vos premiers nus ?
En 1980, je voulais réaliser quelques nus pour un magazine de mode. L’idée me semblait intéressante par son côté décalé. Dans le contexte de l’époque, cela paraissait difficile. Je l’ai néanmoins proposé à la rédactrice en chef de Vogue France, support pour lequel je travaillais depuis 1967. À ma grande surprise, sa réponse fut assez enthousiaste. Depuis, j’ai continué.

Pouvez-vous nous raconter comment vous est venue l’idée de cette série de nus avec des minerves ?
C’est à la suite du célèbre film La Grande illusion où Erich Von Stroheim porte une minerve. Peu de gens savent que Stroheim est l’un de mes héros favoris. Je me suis dit qu’il était exceptionnel de voir un homme porter une minerve avec autant d’élégance et de raffinement. Cela semblait soudain un attribut naturel de son extraordinaire distinction. La Visite de la vieille dame, une pièce peu connue, m’a aussi influencé. Généralement, mes idées viennent de la littérature, du cinéma et de la peinture.

Quels artistes en particulier ?
Otto Dix. D’ailleurs on m’a beaucoup flatté il y a quelques années en comparant mon travail à celui d’Otto Dix. Beckmann est également un artiste très important pour moi.

Surtout des artistes allemands de l’entre-deux-guerres.
Absolument pas. Je raffole de la peinture classique italienne et du maniérisme. Il y a aussi les pompiers de la fin du XIXe siècle. Leurs mises en scène sont comme des romans.
Je m’en suis très souvent inspiré.

On a souvent l’impression dans vos nus que vos personnages cherchent à donner une autre image d’eux mêmes, une image décalée.
C’est votre point de vue. Moi, je ne les perçois pas de cette manière. Toute personne face à un appareil photographique prend obligatoirement la pose. Mon travail consiste à exploiter cette pose, à l’accentuer, à la corriger si besoin est. Avant chaque séance, quel que soit le sujet, je tente de définir le cadre de la prise de vue en prenant des notes sur le lieu, la lumière, l’éclairage, les accessoires, la position que je recherche. Parfois cela marche très bien. Parfois, il faut totalement abandonner ce travail préparatoire. Pour la mode, la mise en scène est obligatoire.

Plusieurs de vos autoportraits sont assez ironiques, notamment ceux où vous êtes travesti.
Ce n’est pas vraiment du travestissement. Je porte des talons hauts dans l’une, des bas en soie dans l’autre. C’est tout. Ces photographies proviennent de circonstances imprévues, d’une volonté de me moquer de moi même. Et puis j’ai de très jolies jambes. Pourquoi ne pas les montrer ?

Vous êtes fasciné par les hôtels. Pourquoi ?
Enfant, je passais beaucoup de temps en compagnie de mes parents dans les grands hôtels et les palaces d’Europe. De cette époque date ma fascination pour l’atmosphère de ces lieux si particuliers. Les hôtels constituent aussi des territoires très intéressants et commodes pour les prises de vues d’un photographe qui, comme moi, déteste travailler dans les studios. J’aime leur côté théâtral, avec ces décors figés. L’artificiel me fascine. D’ailleurs vous pouvez le percevoir dans mes clichés. L’artifice, le décor, voilà des clés pour comprendre mon travail. Mais le plus souvent je réalise mes photographies dans la rue.

De même dans beaucoup de vos photographies il y a souvent des miroirs.
Le miroir et les fenêtres sont des objets photographiques par excellence. Par contre, peu de gens remarquent l’omniprésence des télés dans mes scènes d’intérieur. La mise en abyme de l’image – placer au cœur de la photographie une autre image – est un procédé que j’adore, au point que j’ai dernièrement basé une série entière de photographies sur l’image qui apparaissait sur l’écran télé.

Certains critiques pensent repérer des traces du surréalisme dans votre travail ?
Pas du tout. Je travaille sur les questions posées par le réalisme, pas celles posées par le surréalisme. Le grain, l’emploi du noir et blanc ou de la couleur, le fait de travailler avec des appareils de prises de vues peu performants sont autant d’interrogations sur le réel.

Que pensez-vous des nouveaux photographes de mode aujourd’hui ?
J’étudie les développements des pratiques photographiques, pas seulement dans le monde de la mode. Pour moi, qui suis désormais un vieux monsieur, je suis frappé par ce culte de la laideur que l’on rencontre dans la photographie contemporaine. Je rejette cette approche du réel. Ainsi, dans la mode, je déteste ces petites filles neurasthéniques aux ongles sales. Elles se ressemblent toutes. Toutes fument le même mégot dans le même coin de rue. À l’opposé de tout cela, il y a certains photographes qui construisent un travail nouveau et, selon mon point de vue, tout à fait passionnant comme David La Chapelle (L’Œil n°498) qui travaille avec l’ordinateur. Ce qu’il fait est à la fois fou et génial.

Êtes-vous collectionneur ?
Ma femme et moi échangeons des clichés avec d’autres auteurs. J’ai quelques œuvres de Lichtenstein, Wesselman, Louise Bourgeois. J’ai aussi une belle œuvre d’un de mes grands amis Ed Rucha. Malheureusement ce n’est qu’une lithographie. Les grandes toiles sont trop chères pour moi. Je possède également une très belle peinture d’Andy Warhol. Il fut pour moi un artiste essentiel, un artiste révolutionnaire par sa capacité à changer radicalement notre perception de la vie.

A lire

Helmut Newton, Sumo, éd. Taschen (tél. : 01 40 51 70 93), 480 p., 10 000 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°511 du 1 novembre 1999, avec le titre suivant : Helmut Newton

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