Bâle, le succès de la greffe art contemporain

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 29 mai 2008 - 1371 mots

Le marchand d’art Ernst Beyeler et Art Basel, la foire d’art contemporain la plus prisée du monde entier, ont donné à la ville suisse une orientation artistique qui se marie avec la tradition commerciale et industrielle de ce carrefour européen.

Sise à l’extrémité du fossé rhénan, la ville de Bâle est la véritable porte de la Suisse en direction de l’Europe du Nord. Seul grand port fluvial du pays, Bâle, dont le développement est allé galopant ces trente dernières années, s’est imposée comme un grand centre commercial et industriel. Si la chimie y est l’industrie à la pointe – la ville abritant les sièges des multinationales Ciba-Geigy, Hoffmann-La Roche et Sandoz –, la métallurgie, l’alimentation et le textile y sont également des secteurs économiques très privilégiés. Mais riche d’une population de quelque 660 000 habitants, Bâle est aussi une ville culturelle, cultivant les extrêmes de la tradition et de la modernité.
Ainsi, chaque premier lundi de Carême, la ville devient le théâtre d’un immense carnaval dont la réputation le dispute à celui de Venise. Les festivités qui commencent dès 4 heures du matin avec un défilé de lanternes – le Morgenstreich – durent 72 heures. Des cliques, formations musicales composées de tambours, de fifres et parfois de clairons, déambulent déguisées dans les rues de la ville, envahissant les pintes et les commerces.
Si le carnaval de Bâle est porteur d’une tradition centenaire, tout ce qui touche à l’art moderne et contemporain et qui fait de la ville la place artistique qu’on connaît aujourd’hui ne remonte qu’aux années d’après-guerre. À ce propos, il convient de rendre à César ce qui lui appartient et en l’occurrence, à Bâle, César s’appelle Ernst Beyeler. On peut dire sans se tromper que son choix de rester dans sa ville natale lorsqu’il a décidé d’ouvrir une galerie d’art à la fin des années 1940 a été déterminant pour la ville elle-même.

Trente-six lieux d’exposition !
En ce temps-là, Bâle n’avait aucune réputation particulière dans le domaine artistique. Certes, la ville a toujours offert à voir un paysage fluvial de première qualité avec cette façon qu’a le Rhin de la partager en deux et ce Parc Solitude qui le longe, lieu de flânerie si cher aux Bâlois. Certes, elle disposait d’un superbe patrimoine en matière d’architecture régionale, avec ses maisons aux structures en colombages destinées à apporter en cas de séisme la flexibilité nécessaire. Certes, elle pouvait s’enorgueillir d’avoir avec le Kunstmuseum une très belle collection d’œuvres d’art, mais elle ne comptait pas encore les quelque trente-six lieux d’exposition qu’on y dénombre aujourd’hui et qui drainent chaque année plus d’un million de visiteurs.
Bâle doit ainsi à Ernst Beyeler de l’avoir véritablement entraînée à se construire
une image en matière d’art moderne et contemporain. C’est plus ou moins à son initiative qu’en 1967 la ville organise un référendum pour l’acquisition de deux œuvres de Picasso. L’activité de marchand d’art que développe Beyeler en fixant très haut la barre et en organisant dans sa galerie des expositions historiques majeures ou avec les plus grands artistes de son temps, comme Picasso et Giacometti, ne tarde pas à placer la ville dans le réseau de l’art mondial.
Entre les grandes capitales suisses comme Genève, Lausanne ou Zurich, la compétition a toujours été très forte au regard de la scène artistique. Au début des années 1980, dans le même moment où se développait un certain nombre d’institutions comme le Museum für Gegenwartskunst et
la Kunsthalle, Bâle a connu un vrai boom artistique avec l’installation d’importantes galeries d’art contemporain. Le tissu dont elle dispose aujourd’hui, même s’il n’est pas très dense, tient tout autant aux transformations économiques et industrielles qu’elle a connues depuis vingt ans qu’à l’essor du marché de l’art via Art Basel. D’autant que les gros industriels se sont volontiers institués en collectionneurs, voire en mécènes.

Des galeries engagées
Une galerie comme Stampa, créée en 1969, est exemplaire d’une telle situation. Non seulement elle s’applique à montrer tant des artistes suisses qu’internationaux, comme Roman Signer et Silvia Bächli – lauréate du prix de dessin 2007 de la fondation Daniel et Florence Guerlain –, mais elle développe tout un programme d’événements, de rencontres et de performances ; de plus, elle est doublée d’une excellente librairie spécialisée dans l’art actuel.
Depuis 1984, la galerie Gisèle Linder quant à elle défend les couleurs les plus variées de la création artistique contemporaine, comptant dans son équipe des artistes aussi différents que l’excellent sculpteur Carmen Perrin ou la Française Hélène Delprat. Fondée à l’automne 2000, la galerie Nicolas Krupp offre un programme surtout centré sur la jeune création – Annelise Coste en est une parfaite représentante –, favorisant notamment les installations, tout en défendant le travail d’artistes plus confirmés comme celui de Renée Levi.
Si la galerie Beyeler installée au 9 de la Bäumleingasse depuis soixante ans passe pour « la » référence, c’est qu’elle a bâti son image sur la qualité des œuvres exposées. Son programme, longtemps exclusivement moderne, s’est ouvert à un art plus contemporain. À 87 ans, Ernst Beyeler se veut toujours aussi attentif à la création la plus vive et son nom demeure toujours associé au dynamisme artistique de sa ville.

Vitra Design Museum, habiter moderne
Quoique installé en terre germanique, le Vitra Design Museum fait partie des lieux incontournables à voir quand on va à Bâle. Ouvert au public en 1989 par la firme éponyme, c’est non seulement « le » haut lieu du design contemporain en Europe, mais aussi un formidable rassemblement de bâtiments signés des plus grands architectes. Si, dès le début des années 1980, c’est le Britannique Nicholas Grimshaw qui donna à l’usine son identité architecturale, Frank O. Gehry, Antonio Citterio, Tadao Ando, Zaha Hadid et Alvaro Siza lui ont donné ses lettres de noblesse artistique.
Charles-Eames-Str. 1, D-79576, Weil-am-Rhein, tél. 0049 (0)7621 702 3200
design-museum.de

Kunstmuseum Basel, l’art d’hier et d’aujourd’hui
S’il possède la plus grande collection au monde de peintures d’Holbein, le Kunstmuseum Basel qui présente un remarquable ensemble d’œuvres de la Renaissance conserve aussi tout un lot de chefs-d’œuvre modernes, impressionnistes, cubistes et expressionnistes confondus. En écho à cette richesse patrimoniale, il développe un vaste programme d’expositions temporaires qui parcourt l’histoire de l’art jusque dans son actualité la plus fraîche. Si Robert Delaunay est son hôte cet été, Brice Marden, Jaspers Johns et Andreas Gursky l’ont précédé.
St. Alban-Graben 16, 4010 Basel, tél. 41 (0)61 206 62 62,
kunstmuseumbasel.ch

Museum für Gegenwartskunst, art contemporain toute !
Comme l’indique son nom, le Museum für Gegenwartskunst est exclusivement consacré à l’art contemporain. Pour la ville de Bâle, il est à la création contemporaine ce que le Kunstmuseum est à l’art ancien et moderne. Sa collection est faite en partie de dépôts à long terme de différentes fondations privées et l’on peut y voir un avantageux panel de l’art des trente dernières années, toutes tendances confondues. Versant expositions temporaires, il accueille des artistes en renom comme Olafur Eliasson en ce moment !
St. Alban-Rheinweg 60, CH–4010 Basel, tél. 41 (0)61 206 62 62.

Museum Tinguely : fracas, cliquetis et grincements
Inauguré à l’occasion du 100e anniversaire de la Fondation de Roche, le Museum Tinguely témoigne de l’engagement culturel de cette importante entreprise bâloise. Ses collections sont faites d’une sélection de machines sculptures, reliefs et dessins de toutes les périodes de la carrière de l’artiste. Le musée offre par ailleurs un programme varié et animé d’expositions temporaires dont « Art et machines », présentée jusqu’à la fin du mois de juin.
Paul Sacher-Anlage 2, 4002 Bâle, tél. 41 (0)61 681 93 20
www.tinguely.ch

Schaulager, l’art actuel en majesté
Situé dans la zone industrielle de Bâle à quelques minutes en tramway du centre-ville, inauguré en 2003, le Schaulager est le dernier en date des lieux d’art contemporain. Chef-d’œuvre des architectes Herzog et De Meuron, c’est un lieu particulier, ni musée, ni entrepôt, qui abrite la collection de la Fondation Emmanuel Hoffmann. Si celle-ci n’est accessible qu’aux spécialistes, le Schaulager ouvre une fois par an ses portes au public et propose une programmation d’une exceptionnelle qualité, comme les expositions qu’on a pu voir de Jeff Wall ou de Robert Gober ou celles en cours de Monika Sosnowska et d’Andrea Zittel.
Ruchfeldstrasse 19, CH-4142 Münchenstein/Basel, tél. 41 61 335 32 32,
www.schaulager.org

Incontournable Beyeler

Voulue par Ernst Beyeler pour y abriter sa fabuleuse collection, construite par Renzo Piano qui y a réalisé un bâtiment en parfaite harmonie avec la nature,la fondation Beyeler a fêté ses dix ans en 2007. De Monet et Rodin à Warhol et Kiefer, elle n’abrite quasiment que des chefs-d’œuvre. Une façon pour le marchand d’art (lire L’œil n° 595) d’exprimer son infinie reconnaissance à ceux qui lui ont permis de faire ce qu’il a fait : un musée qui n’a rien d’imaginaire et qui est à l’image d’un regard d’une étonnante acuité.
Le programme d’expositions temporaires que propose la fondation Beyeler est de même qualité. Monographies ou thématiques, celles-ci attirent chaque fois une foule importante de visiteurs. Après tant d’heureuses réunions d’œuvres de Matisse, de Bacon, de Calder et de Miró, ou bien encore autour d’Eros, Fernand Léger et Sarah Morris en sont les hôtes en ce moment. La récente nomination de Samuel Keller, précédemment directeur de la foire de Bâle, à la direction de la fondation laisse augurer une dynamique toujours plus prospective. Dans le droit fil d’une « qualité » si chère au cœur d’Ernst Beyeler. n Baselstrasse 101, CH-4125, Riehen/Bâle, tél. 41 (0)61 645 97 77
www.beyeler.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°603 du 1 juin 2008, avec le titre suivant : Bâle, le succès de la greffe art contemporain

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