Bernard Piffaretti, éternel copieur de lui-même

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 27 mai 2008 - 574 mots

A peine a-t-il accroché une nouvelle toile sur le mur de son atelier que Bernard Piffaretti la partage en deux parties égales en tirant une ligne verticale de marquage central. Une ou deux heures plus tard, il en a déjà peint une première moitié. À droite ou à gauche, cela varie. Ce que cela représente ? Rien d’autre qu’un simple jeu de lignes et de couleurs dans la plus pure tradition de la peinture abstraite.

D’un côté et de l’autre de la ligne
Piffaretti embraie tout aussitôt et le voilà qui reprend trait pour trait sur la moitié laissée nue la « figure » qu’il avait peinte sur l’autre. Duplication. Sosie. Double. Si le premier temps de peinture est subjectivement chargé, le second n’est plus que celui d’une application distante et banale.
Entre les deux moitiés peintes, il est maintenant impossible de s’y retrouver. Tout est fait de sorte pour que le regard ne sache plus quel est le modèle de l’autre. Piffaretti voudrait-il poser l’éternelle question de l’origine, il ne s’y prendrait pas autrement.
Si la manière de procéder est invariable, la liberté de faire est totale. Multipliant les figures géométriques, les lignes droites et serpentines, les aplats colorés, les grilles, les hachures, etc., le peintre n’a de cesse de passer de la ressemblance à la dissemblance, du simple au double et vice versa.
Au travail, Piffaretti n’est somme toute que l’éternel copieur de lui-même. Il faut le voir perché sur un escabeau en train de reporter sur l’une des deux moitiés de son tableau le motif de l’autre : il ne cesse de tourner la tête d’un côté puis de l’autre pour vérifier qu’il est dans le juste. Mais, le peintre le sait bien, il y va tout à la fois d’une fidélité et d’un mensonge : jamais aucune des deux moitiés ne ressemblera à l’autre.
C’est là son espace de liberté. Un espace qui connaît par ailleurs d’autres travaux qu’il nomme ses « produits dérivés à usage intime ». Ceux-là sont faits de dessins, de photos numériques, de petites publications, bref, de tout un lot d’exercices qui lui servent à relancer le travail de la peinture.

Quelque chose de Matisse
Originaire de Saint-Étienne, professeur à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Bernard Piffaretti est un cas à part qui mène sa barque avec une certitude déconcertante. Alors même que le principe du travail tient à l’application d’un système auquel il ne déroge pas depuis vingt-cinq ans, sa peinture s’offre à voir dans une perpétuelle remise en question d’elle-même. À se demander si l’excès de formalisme ne lui permet finalement pas de dépasser tout formalisme.
L’art de Piffaretti avoue de plus une jubilation rare. De celle qui anime la démarche de Matisse dans son rapport à la couleur. Matisse justement, il en est l’hôte en ce moment, au musée du Cateau-Cambrésis. Fidèle à sa démarche, il a choisi de concevoir son exposition autour d’une vingtaine de citations du peintre, autant d’indices qui permettent d’entrer dans son propre jeu. L’auteur du Bonheur de vivre disait qu’il était chaque fois devant sa toile comme si c’était la première fois qu’il peignait. Il semble bien que Bernard Piffaretti partage avec lui ce quelque chose d’une fraîcheur du premier jour.

Biogaphie

1955
Naissance à Saint-Étienne.

1978
Diplôme de l’école des beaux-arts de Saint-Étienne.

1982
Exposition au Capc de Bordeaux.

1983
Bourse de la fondation Georges Pompidou.

Depuis 1994
Enseigne depuis 1994 à l’École des beaux-arts de Paris.

2008
L’artiste est représenté par la galerie Nathalie Obadia, Paris IIIe.

« Bernard Piffaretti en V.O. (version originale sous-titrée) »

Musée Matisse, palais Fénelon, Le Cateau-Cambrésis (59), tél. 03 27 84 64 50, jusqu’au 15 juin 2008.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°603 du 1 juin 2008, avec le titre suivant : Bernard Piffaretti, éternel copieur de lui-même

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