Ventes aux enchères

Figuration narrative, le marché va-t-il suivre ?

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 23 avril 2008 - 815 mots

Les artistes de la Figuration narrative sortent du purgatoire. Reste à savoir si l’exposition au Grand Palais aura un effet déterminant sur leur marché.

En 1964, les artistes Hervé Télémaque et Bernard Rancillac organisent l’exposition les « Mythologies quotidiennes » au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Ils y invitent une quinzaine d’artistes, regroupés par le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot sous l’appellation de Figuration narrative. Ce mouvement défend une peinture de combat, engagée dans les grands débats politiques. Après avoir joui d’une certaine notoriété dans les années 1970, ces artistes sont passés à la trappe pendant la décennie suivante.

La Figuration narrative boudée par les institutions et le marché en France comme à l’étranger
Contrairement aux Nouveaux Réalistes, très vite exposés en Allemagne, ils sont peu sortis du territoire français. Ignorée des institutions, à l’exception notable du musée de Dole et de la Villa Tamaris, la Figuration narrative a longtemps stagné dans le purgatoire du marché, jusqu’à la vente Jean-Marc Decrop en 2002 chez Robin-Fattori-Poulain-Le Fur. À cette occasion, Le Prince de Hombourg, huile sur toile de 1965 de Gérard Fromanger présentant
une image démultipliée de Gérard Philippe, a été achetée par Gérard Depardieu pour 61 000 euros. Dans la même vente, Malcom X (1968), hommage de Rancillac au combattant de la cause des Noirs américains, fut adjugé pour 38 000 euros
Comment expliquer cet ostracisme du marché et des musées ? « La naissance du mouvement fut tumultueuse, la première exposition ayant eu lieu quelques semaines après la victoire de Robert Rauschenberg à la Biennale de Venise, explique Jean-Paul Ameline, conservateur au Centre Pompidou et commissaire de l’exposition au Grand Palais. Ces artistes ont subi l’énorme vague du Pop Art, d’autant plus qu’ils avaient une imagerie proche. Mais ils étaient beaucoup plus politiques que les Américains. »
Gassiot-Talabot n’avait pas non plus le bagout d’un Restany qui ménageait ses flèches contre la Figuration narrative pour mieux glorifier le Nouveau Réalisme. « Cette nouvelle figuration se présente comme l’appendice pictural du Pop Art, qui est un art d’assemblage objectif, l’expression la plus directe du folklore urbain. Il y a un monde pourtant entre les œuvres pluridimensionnelles (collages, constructions, accumulations, etc.) du Pop Art et cette peinture plate, froide, gratuitement agressive, qui érige ses commentaires en préceptes de moralité et qui a la prétention de décerner les bons et les mauvais points au nom de la critique sociale. » C’est dire si Restany, trop occupé à défendre ses propres doctrines, n’a pas mesuré la subtilité d’un Hervé Télémaque, dont le travail puise ses racines dans la poésie, le surréalisme et des associations d’idées très lacaniennes.

Adami, Arroyo, Erró… Les artistes européens, mieux cotés que les Français
Une peinture de rébus ? « Non, car il n’y a pas de solutions. Télémaque sème des énigmes. C’est un éveilleur de la pensée qui fait en sorte que les énigmes ne soient jamais résolues », observe la critique d’art Anne Tronche.
En 2002, la galerie Louis Carré & Cie a cédé son Petit célibataire un peu nègre et assez joyeux (1964) pour environ 15 000 euros au Centre Pompidou. Une aubaine pour le musée ! Car de l’eau a visiblement coulé sous les ponts. En décembre 2006, One of 36 000 Marines over our Antilles, un spectaculaire tableau à dominante rouge de 1965 s’est envolé pour 192 000 euros (292 000 euros sur wikipedia, 250 000 sur un autre site) chez Christie’s. En décembre 2007, le marchand Jacques Melki a emporté pour 366 250 euros un Portait de famille, composition fragmentée et métaphorique formée de membres flottants et de bouches explosées telles des grenades.
Les artistes européens comme l’Italien Valerio Adami représenté par Daniel Templon, l’Espagnol Eduardo Arroyo et l’Islandais Erró, tous deux dans l’écurie de la galerie Louis Carré & Cie, jouissent d’une audience plus grande que leurs confrères français. Si les œuvres anciennes d’Erró atteignent des prix coquets dans les ventes publiques, l’artiste veille à garder une politique de prix sages pour ses œuvres récentes, négociées entre 6 000 et 25 000 euros.

Patrick Bongers Directeur de la Galerie Louis Carré & Cie

Questions à...

Qu’attendez-vous de l’exposition du Grand Palais ?
Une reconnaissance pour ces artistes, qu’on se rende compte enfin que ce mouvement est l’équivalent des plus grands mouvements depuis le début du siècle.

La vente de la collection Decrop en 2002 a-t-elle changé le marché ?
Oui, les tableaux sont plus faciles à vendre car les collectionneurs ont commencé à être rassurés par les prix en ventes publiques, mais nous avions un socle de collectionneurs qui nous ont toujours suivis.

Comptez-vous étalonner vos prix sur les records d’Erró et Télémaque ?
Ce serait ridicule. Sur Artparis nous vendions des Erró à 7 000 euros. Les tableaux qui ont fait des prix importants aux enchères sont historiquement importants. La clientèle des galeries n’est pas prête à payer les mêmes prix qu’en vente publique.

Repères

Bernard Rancillac (né en 1931)
Le plus turbulent de la bande, Rancillac réagit au quart de tour à l’actualité en Chine, à Cuba ou au Vietnam, tout en s’imbibant de la musique syncopée du jazz.

Hervé Télémaque (né en 1937)
Cet artiste d’origine haïtienne, pétri de littérature et de poésie, a le doigt sur le pouls du monde. Son vocabulaire se compose de métaphores, de « mots bourrés de détonateurs à retardements », selon la formule de Gassiot-Talabot.

Jacques Monory (né en 1924)
Adepte de la monochromie bleu électrique et du grand format, Monory construit ses compositions avec un sens de la mise en scène, inspirée du film noir américain et de la mise en page, héritée de son passé de graphiste.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°602 du 1 mai 2008, avec le titre suivant : Figuration narrative, le marché va-t-il suivre ?

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