Mark Wallinger : state britain

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 23 avril 2008 - 710 mots

Militantisme, mimétisme, dazibao, In et Out.

1 Militantisme - Une tradition historique
C’est un fait, lorsqu’on visite les salles des musées d’art contemporain ou les galeries, on est bien rarement interpellé par un épisode de l’histoire contemporaine. Les événements proches feraient-ils peur aux artistes ? Il est en tout cas certain que la question des convictions politiques et du militantisme pose problème. Par manque de solution plastique ?
Mark Wallinger, avec sa reconstitution fidèle, propose une réponse et s’inscrit dans une tradition dont Eugène Delacroix est un des illustres ancêtres. En 1824, celui-ci peignait Les Massacres de Scio relatant les massacres perpétrés par les Ottomans envers les Grecs en réponse à leur insurrection en 1821. Cette toile est parmi les premières à s’attaquer à l’histoire contemporaine après l’élan révolutionnaire et à adopter un positionnement critique. Suivront Édouard Manet et L’Exécution de Maximilien (1867) puis les toiles de Georg Grosz dans les années 1920. Wallinger propose sa vision d’un combat homérique et hyperréaliste, d’une insurrection contemporaine.

2 Mimétisme - Le campement de Brian Haw
À parcourir les rangées de l’installation de Wallinger, on jurerait qu’il s’agit d’un ready-made, un prélèvement sauvage dans le réel. Mais voilà, l’affaire n’est pas si simple, car il s’agit d’une fidèle reconstitution des quelque huit cents objets que contenait le campement de base de Brian Haw à son expulsion en mai 2006. À partir d’une documentation amassée par l’artiste (six cents photos environ), il a fallu cinq mois et l’expertise de Haw lui-même pour restituer dans un mimétisme quasi maladif les pancartes, bannières et ribambelles de nounours en peluche. Pollution atmosphérique et traces des cinq années d’intempéries comprises !
Ce travail de duplication est primordial pour Wallinger, une question de respect envers l’engagement de Haw et d’authenticité. Ce précisionnisme est aussi une manière d’écarter toute suspicion d’opportunisme. En jouant sur ce temps figé, comme un arrêt sur image en trois dimensions, Wallinger précède le déménagement brusque des lieux et se lance dans une sorte d’archéologie du présent.

3 Dazibao - Ou la démocratie participative
Wallinger n’est pas dupe. Son installation, en huit mois de présence, à quelques encablures du Parlement, n’a pas provoqué le retrait de la Grande-Bretagne de l’engrenage irakien. Mais il sait que son rôle est tout aussi efficace et redoutable lorsqu’il s’emploie à démonter les mécanismes de la liberté d’expression et surtout de sa censure. Il souligne ainsi que les lords ont passé sept cents heures à statuer sur l’interdiction de la chasse au renard et seulement sept pour faire entrer le pays dans la guerre contre l’Irak !
Plutôt que de paraphraser Haw, il lui restitue un espace de liberté et engage le spectateur dans une réflexion violente et brutale sur les limites de sa responsabilité morale et politique, sur son rôle passif et ses moyens d’expression. L’exposition constitue un nouvel espace de débat et d’échange sur l’érosion des libertés civiles et une belle revanche sur cette décision du gouvernement anglais.

4 In et Out - Le musée sacralise le message
À la Tate Britain, State Britain installait ses quarante mètres dans un cadre bien particulier : elle était à cheval sur la ligne de démarcation signalant l’espace dans lequel il n’était plus possible de protester sans autorisation selon la nouvelle loi de 2005. Protégée par le musée ainsi promu défenseur des libertés publiques, l’œuvre constituait un nouveau forum pour relancer le débat.
Dans un jeu de va-et-vient entre l’espace public et le musée comme serviteur des intérêts publics, Mark Wallinger a subtilement repositionné l’art et l’institution dans leur activité critique et active. Mais cette appropriation peut-elle aussi bien « fonctionner » en France ? Aucune démocratie n’est à l’abri de telles restrictions, souligne Wallinger. « Même si la France n’a pas soutenu les Américains et les Britanniques, historiquement elle a déjà pris part à des événements similaires au Moyen-Orient. » L’effet papillon qu’a eu cette loi anglaise conduit cette œuvre à l’universalisme, degré rarement atteint dans l’art contemporain depuis les grands combats des années 1970.

Informations pratiques

« State Britain », jusqu’au 22 juin. Mac/Val, musée d’Art contemporain du Val-de-Marne, place de la Libération, Vitry-sur-Seine (94). Ouvert tous les jours de 12 h à 19 h, le jeudi jusqu’à 21 h. Fermé le lundi et le 1er mai. Tarifs : 4 € et 2 €, www.macval.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°602 du 1 mai 2008, avec le titre suivant : Mark Wallinger : state britain

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