Mai 68, le Quartier latin s’embrase.

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 22 avril 2008 - 575 mots

Les étudiants déchaussent les artères parisiennes de leurs pavés. C’est la « chienlit ». Aux Beaux-Arts et aux Arts-Déco, on s’organise et on édite des affiches. Ce que l’on veut, c’est changer la politique et la culture. Et créer librement...

Tous les météorologues l’avaient prévu : le mois de mai serait beau, lumineux et chaud. Chaud, il l’a été en effet, plus que ne l’auraient souhaité ceux qui gouvernaient alors le pays. Lumineux, c’est difficile à dire, parce qu’il a surtout été encombré par les vapeurs des gaz lacrymogènes. Beau, c’est selon, d’aucuns considérant que toute violence est laide tandis que d’autres trouvaient que, sous les pavés, la plage était très belle.
Parce qu’il était de nature existentielle, le mouvement de contestation qui a ébranlé le mois de mai 1968 rencontra un puissant écho dans le monde des créateurs. Artistiquement, il s’est décliné au rythme de toutes sortes d’événements qui ont accompagné le politique. Le 6 mai, dès les premières échauffourées du Quartier latin, des affiches révolutionnaires apparurent sur les murs, timbrées par l’UNEF – l’Union nationale des étudiants de France – et vendues au profit de ces derniers. Le 14 mai, l’École des beaux-arts est occupée ; ses ateliers, transformés en ateliers populaires, deviennent le centre névralgique d’une production d’images qui sont devenues cultes.

Les institutions sont boycottées, les galeries d’art s’organisent
Le 16 mai, le groupe Culture et Créativité, issu de l’université de Nanterre qui est à l’origine du mouvement de revendication estudiantine, investit l’Odéon Théâtre de France. Il en fait le quartier général pour la mise en place d’un programme culturel prospectif et y plante sur le toit le drapeau noir, signe de rebellion anarchiste. À l’Institut d’art et d’archéologie, les réunions organisées par les artistes se multiplient, ceux-ci mettant en cause le système des galeries et de la critique à grand renfort de citations de Breton, de Rimbaud et de Marx.
Le 20 mai, tandis que les musées nationaux et municipaux sont fermés, un Comité d’action des arts plastiques est constitué et qui décide le boycottage des manifestations et institutions culturelles, symboles du pouvoir en place. Il invite les galeries à fermer leurs portes ou à se transformer en centres de documentation en rapport avec le mouvement de lutte qui s’amplifie. Un collectif d’une vingtaine de galeries contresigne un accord visant à marquer sa solidarité avec le mouvement étudiant et s’engage à faciliter la production d’affiches en faveur des insurgés.
Le 24 mai, le bureau parisien de l’officielle Union des arts plastiques se réunit, entraînant la signature d’une déclaration manifeste par une soixantaine d’artistes plus ou moins en renom. Celle-ci accuse la société de « faire des arts un moyen de prestige et non un chantier de communication avec les hommes » et institue cinq commissions d’études visant à repenser l’organisation artistique dans ses plus grandes lignes. De leur côté, le 27 mai, le jour même de la grande manifestation de toute la gauche au stade Charléty, conservateurs nationaux et municipaux s’accordent pour établir une motion de synthèse relative à la vie et à l’animation de leurs établissements.
Mais, dès fin mai, après la grande démonstration de la droite unie sur les Champs-Élysées et aussi vite que la rue avait été mise sens dessus dessous, l’ordre est rétabli. Le 7 juin, le Louvre rouvre ses portes, et les touristes affluent. Quatre semaines se sont écoulées qui, si elles n’ont pas changé le monde, ont toutefois signé le début d’une ère nouvelle.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°602 du 1 mai 2008, avec le titre suivant : Mai 68, le Quartier latin s’embrase.

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