La fabrique des cotes de l’art

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 25 mars 2008 - 783 mots

Plusieurs millions de dollars, d’euros, de livres. Les artistes d’aujourd’hui sont souvent gratifiés de cotes qui feraient pâlir leurs plus illustres aînés. Il ne faut pourtant pas s’y tromper, le marché de l’art, comme tout marché, possède ses lois, ses codes et ses rouages.

L'équation est simple. Les riches se multiplient sur la planète, globalisation oblige. Malgré une crise persistante des subprimes et la menace d’un marasme financier sur fond de crise pétrolière, le marché de l’art reste l’un des principaux bénéficiaires de cette embellie. Même les attentats du 11 septembre 2001 et l’effondrement des places boursières n’ont pas entamé, à ce jour, sa courbe ascendante. En 2007, le marché a encore progressé de 18 % selon la base de données Artprice. Symptomatiques de cette embellie, les enchères millionnaires ont fait un bond spectaculaire, passant de 154 en 1999 à 1 254 en 2007 !
Que l’art soit considéré comme une valeur-placement n’a rien de nouveau. Plus étonnantes en revanche sont les proportions que prend l’engouement pour l’art contemporain. Aujourd’hui, les prix à la revente (second marché) ont explosé, entraînant à la hausse les tarifs du premier marché, en galerie. Et chiffres toujours, Artprice révèle une augmentation des prix de l’art contemporain de 233 % en 2007. La spéculation ne se concentre toutefois que sur un Top 50 d’artistes essentiellement américains, britanniques ou allemands.

Jeff Koons, cinq fois plus coté que son ancêtre Lucas Cranach
Un critique américain, Jerry Saltz, posait la question en octobre dernier : « L’argent a-t-il ruiné l’art ? » La commissaire d’exposition du Guggenheim, Nancy Spector, s’interrogeait à son tour en décembre dans la revue britannique Frieze : « Le boom du marché est-il préjudiciable à l’art ? » Vaste problème, car il est finalement moins souvent question d’art en termes de qualité que de valeur.
On est ainsi étonné de voir l’écart abyssal de prix atteints entre l’art contemporain et l’art ancien. Un tableau de Cranach a été adjugé, en janvier 2008, 5 millions de dollars. Une bagatelle car en mai dernier, le cœur rutilant et tape-à-l’œil du Néo-pop Jeff Koons a atteint la somme astronomique de 23,56 millions de dollars chez Sotheby’s.
Les chiffres donnent le tournis, et les exemples pleuvent. D’après Artprice, le prix moyen des œuvres d’artistes âgés entre 25 et 45 ans dans les ventes de New York est passé de 32 514 dollars en 1990 à 80 710 dollars en 2004.

L’art contemporain, un ticket d’entrée pour la jet-set
C’est que les critères d’évaluation du marché de l’art contemporain sont différents de ceux de l’art ancien, caractérisé par la rareté et par une validation de l’histoire de l’art. Dans son livre jalon L’Artiste, l’institution, le marché, Raymonde Moulin précise : « L’internationalisation du marché de l’art contemporain est en effet rigoureusement indissociable de sa promotion culturelle ; elle repose sur l’articulation entre le réseau international des galeries et des collectionneurs, et le réseau international des institutions artistiques. »
Tout est dit, ou presque. Car la sociologue élude la fashion et la hype dans la fabrication du prix. Alors que l’art ancien reste un domaine de connaisseurs, l’art contemporain s’est mû en art de vivre, un ticket d’entrée pour la jet-set. Et quand on veut sa part de glamour ou de gloire, on ne compte pas. On ne compte surtout pas sur l’histoire ou la raison.

La folle chevauchée marchande de Richard Prince

Chroniqueur de la culture américaine et maître de l’appropriation dans les années 1980 avec ses photos de cowboys empruntées aux publicités Marlboro et ses joke-paintings réalisées à partir des dessins humoristiques de l’hebdomadaire The New Yorker, Richard Prince a connu une ascension folle ces cinq dernières années. Vers 1999, ses prix plafonnaient entre 20”‰000 et 30”‰000 dollars. La barre est montée au record de 6,08 millions de dollars pour une peinture de la série des infirmières chez Christie’s en novembre 2007. Ses photos ont aussi profité de l’envolée. En juin 2004, à la Foire de Bâle, une photo baptisée Spiritual America se vendait pour un million de dollars sur le stand de la galerie Skarsted alors qu’en 1999, un exemplaire de cette même série s’était contenté de 151”‰000 dollars chez Christie’s”‰! L’inflation est notamment entretenue par les collectionneurs américains Peter Brant et son épouse, la top-modèle Stephanie Seymour, qui auraient acheté en un an une cinquantaine d’œuvres. S’ajoutent à cela le soutien indéfectible de la galerie Barbara Gladstone et la rétrospective « Spiritual America » que le Guggenheim a programmée entre septembre et décembre 2007. Sur un modèle quasi entrepreneurial, Prince collabore désormais avec Vuitton à qui il a livré une collection de sacs monogrammés. L’artiste est devenu incontournable de toute collection d’art contemporain qui se respecte ou veut se faire respecter. On va même pouvoir le porter tous les jours, chic”‰!

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°601 du 1 avril 2008, avec le titre suivant : La fabrique des cotes de l’art

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