graphiste

Ruedi Baur et le graphisme actif

L'ŒIL

Le 1 décembre 1999 - 615 mots

Ruedi Baur est d’une nouvelle génération de graphistes et de designers « à visage humain » en quelque sorte, éloigné du graphisme international rigide, en vogue dans les années 70, tel qu’il lui a été enseigné à l’École d’arts appliqués de Zürich et contre lequel il s’est démarqué, le trouvant trop « autoritaire et impérialiste ».
Dès lors Ruedi Baur prône un graphisme plus mobile, moins contraignant, moins formel.
Plus ouvert et évolutif.

Ruedi Baur veut réintroduire dans ce langage visuel de la complexité, du hasard, du plaisir. Et une liberté qu’il nomme « démocratie ». Pas d’esthétisme gratuit, ni de « forme pour la forme ». Mais le résultat d’un travail en amont, d’une mise à plat. Déconstruire, réfléchir pour que les décisions précèdent la mise en forme : « Avoir une pensée des structures de l’information, une pensée de l’image, une pensée graphique. » Ruedi Baur est donc un graphiste qui pense. Et qui écrit. Qui s’inscrit dans un débat. Qui confère une éthique aux signes. Il ne veut pas ajouter du bruit au bruit, de l’illisible sur du non-lisible. Il veut ancrer le graphisme dans la réalité d’aujourd’hui. Le rendre actif, générateur, et non plus passif. « Je revendique un rôle social important. »Ruedi Baur est un graphiste qui s’interroge sur les éventuelles conséquences politiques, culturelles et écologiques, de la production visuelle. Il travaille avec des architectes, des urbanistes, des sociologues, des anthropologues, certainement des hommes politiques, mais aussi des philosophes, et pourquoi pas des poètes ? D’où son besoin absolu d’interdisciplinarité. Ainsi au Sud de Leipzig, où il enseigne et où il a été nommé en 1997, recteur de la Hochschule für Grafik und Buchkunst, il réfléchit avec son équipe (Intégral Ruedi Baur et Associés) aux moyens de sauver cette région du chômage en lui redonnant une nouvelle identité visuelle. Autre projet : réhabiliter un quartier misérable de Tourcoing, l’Epidème. Du pur design urbain qui lui fait d’abord puiser dans les racines historiques de cette « zone », puis « réinscrire dans un non-lieu, l’histoire du lieu ». Indubitablement Ruedi Baur se passionne pour l’urbain et surtout pour le social. Serait-il un brin utopiste ? Non, simplement d’un optimisme raisonnable. Et, contrairement aux prévisions d’un Guy Debord, il flaire des signes qui ne trompent pas. L’esthétique globalisante du marketing reste efficace, puissante, écrasante, mais des expériences, certes isolées, surgissent juste à côté. « Ce sont dans ces “niches” que l’on trouvera désormais de la créativité. Une deuxième économie peut très bien se développer parallèlement ! » Ruedi Baur est un graphiste positif. Son centre d’intérêt privilégié reste l’art contemporain et l’architecture. Ce qui explique son intervention dans tant d’expositions prestigieuses et dans tant de musées. Dans un projet comme celui du Centre Pompidou (notez que le « Georges » a disparu de l’intitulé !), il peut mettre en pratique ses convictions. Pour avoir travaillé déjà deux fois avec Renzo Piano (pour la Cité internationale de Lyon et pour le Centre culturel Jean-Marie Tjibaou de Nouméa), il est désormais en symbiose avec lui. D’une part la discrétion, la mise en retrait « au service » des œuvres. D’autre part, plus de clarté dans la circulation du lieu. Simplification et hiérarchisation sont de mise : de grandes enseignes lumineuses dès le Forum (centre du Centre), pour que le public puisse  localiser immédiatement les grandes activités du Centre telles que « Musée, Bibliothèque, Cinéma… ». Et en réutilisant différemment le sigle de Jean Widmer ainsi que ses couleurs, créer un aspect plus ludique. Bref Ruedi Baur est un graphiste qui cite volontiers cette phrase de Moholy-Nagy de la fin des années 20 : « Le design n’est pas une profession, c’est une attitude. »

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°512 du 1 décembre 1999, avec le titre suivant : Ruedi Baur et le graphisme actif

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