Boutet de Monvel décorateur

L'ŒIL

Le 1 février 2000 - 1643 mots

Certains connaissent Bernard Boutet de Monvel (1881-1949) pour ses portraits mondains car quelques expositions récentes se sont attachées à mieux faire connaître cette facette de son travail.
Mais qui se souvient que, parmi ses autres talents d’aquafortiste, d’illustrateur ou encore de sculpteur, Boutet de Monvel comptait celui de décorateur ? Un artiste qui connut, en France et outre-Atlantique, de prestigieuses commandes.

Fils d’un peintre et illustrateur de livres pour enfants, Bernard Boutet de Monvel avait un cadre familial qui ne pouvait que le prédisposer à la peinture. Très jeune, il avait  collaboré à l’exécution du premier des six panneaux évoquant Jeanne d’Arc, commandés à son père pour la décoration de la nouvelle basilique de Domrémy. Lors de son premier voyage à Florence en 1904, il découvre la leçon des primitifs italiens. Ainsi, à son retour, Boutet de Monvel avait-il acquis, comme une évidence, la certitude que la césure entre beaux-arts et arts décoratifs n’était rien d’autre qu’un artifice, héritage de la Renaissance, qu’il lui fallait dépasser pour retrouver une manière de pureté originelle. Dès 1905, il présenta au Salon d’Automne un panneau que rien ne différenciait notablement de ses autres tableaux sinon cette mention explicite de « panneau décoratif » faite au catalogue. Le pas était franchi. D’autres tableaux suivirent, que leur ordonnance gouvernée par le jeu de figures géométriques primaires, leur format étiré en frise et leur absence toujours plus notable de perspective comme de modelé plaçaient immanquablement à la frontière entre peinture et décoration. Tandis que, désormais célèbre pour ses portraits, il s’était résolument engagé dans la voie de la conception dépouillée, d’une stylisation propre à mettre en valeur la ligne plutôt que le plan, la guerre toute proche et les hasards de sa vie bouleversée allaient le conduire brusquement vers ce à quoi son goût pour l’équilibre et les compositions rigoureuses l’avait finalement toujours destiné. Observateur bombardier versé dans l’armée d’Orient, il débarque à Salonique en novembre 1915 pour se lier d’une indéfectible amitié avec l’architecte Louis Süe, puis s’installe au Maroc où se révèle à lui la beauté si parfaitement géométrique et sculpturale de cactus et de palmiers qui deviendront désormais, dans le plâtre des bas-reliefs comme sur la toile, ses motifs décoratifs fétiches.

Dans des harmonies chaudes de brique et de pourpre
À la fin de 1919, Boutet de Monvel, à peine démobilisé, se vit proposer par Louis Süe, qui souhaitait coordonner avec le décorateur André Mare les recherches d’un petit groupe de camarades choisis pour leurs connaissances professionnelles et leur capacité à travailler dans un esprit alliant nouveauté et tradition, d’être membre de la Compagnie des Arts français naissante. Proportions, raisons, discipline devaient être les maîtres mots de cette société qui allait fonder un style moderne, ce style Art Déco de la reconstruction que consacrera l’Exposition de 1925. En 1921, pour la salle de bain de May de Faucigny-Lucinge, il exécuta un panneau stuqué représentant, simplement peint au trait noir, le motif à peine simplifié des palmiers d’un tableau qu’il avait peint à Marrakech. Et c’est ce même motif qu’il reprit, mais dans toute sa complexité originelle cette fois, pour un paravent à la feuille d’argent commandé en 1923 par son ami le couturier Jean Patou pour le salon de son hôtel particulier, dont la Compagnie assurait l’aménagement.
La villa que Jane Renouart demanda à Louis Süe d’édifier pour elle sur les hauteurs de Saint-Cloud, donna l’année suivante à Boutet de Monvel la possibilité d’exprimer plus pleinement son talent. Dans un esprit évoquant les célèbres panneaux livrés au XVIIIe siècle par Prud’hon pour l’hôtel de Lannoy, il imagina de peindre sur les portes de la salle à manger octogonale lambrissée d’acajou, quatre figures allégoriques qui symbolisaient la poésie sous ses formes pastorale, héroïque, satirique et lyrique. Vêtue de costume à l’antique comme on les aimait au temps de Louis XIV, chacune d’elles, stylisée au point que ses ombres ne se réduisaient plus qu’à un jeu de hachures, découpait sa silhouette hiératique sur le fond moiré de la boiserie, dans des harmonies chaudes de brique et de pourpre. Pour la chambre à coucher de la célèbre directrice du Théâtre Daunou, la voûte et le tympan de l’alcôve dédiés au Triomphe de l’amour, présentaient, sous un ciel lumineux d’où Cupidon rayonnait, les figures en frise de trois couples dont les corps enchevêtrés s’enchaînaient avec la logique d’un raisonnement mathématique. Très différente était la conception des grands panneaux que Boutet de Monvel peignit en 1925 pour la salle à manger de Mme Jacques Edeline, à Biarritz. Ils étaient occupés par des figures que l’on pouvait croire nées du ciseau d’un sculpteur. Leurs corps lisses et monumentaux semblaient figés car, dans ces compositions, l’arabesque était bannie de l’entrelacs savant et vigoureusement brossé de branches de cactus et d’un fond de ciel gris.

Les décorations américaines
Ayant trouvé dans la conception d’ornements matière à satisfaire « ce goût minutieux qu’il apportait dans l’arrangement de toute chose », Boutet de Monvel décida finalement de se rendre à New York en 1926, à l’occasion d’une exposition fleuve par laquelle il entendait bien montrer aux Américains toute l’étendue de son talent. Mais si aucun d’eux ne pouvait plus désormais se passer de son portrait par le peintre, beaucoup ne montrèrent, devant les répliques de panneaux et les maquettes exposées, qu’un relatif enthousiasme. Au début de 1928, il reçut pourtant la commande, pour le hall de la State Bank de Chicago, d’un vaste panneau figurant Le progrès et l’abondance. Devant une aciérie et un paysage new-yorkais de buildings perpétuellement en construction, l’abondance nourrit les enfants de l’Amérique. Le sujet d’une telle allégorie donnait toute liberté à Boutet de Monvel d’introduire dans sa composition les éléments d’une modernité industrielle et urbaine dont la beauté abstraite ne cessait justement de le fasciner depuis son arrivée au pays du dollar. Aussi entreprit-il, pour cette vaste décoration, de peindre ses premières études d’usines et de rues de Manhattan dont la perception autant que la transcription rendaient, sans le savoir, son travail si proche de celui du précisionniste Charles Sheeler. Beaucoup plus classique fut l’élégante décoration, pleine d’un humour teinté de bienveillante impertinence, que Boutet de Monvel acheva à la fin de la même année pour la salle de bain de la nouvelle villa de Mrs Charles S. Payson. Sous la voûte de figuiers de barbarie articulés en un maillage régulier, la Beauté, victorieuse d’un Temps entravé et gisant sur ses ailes repliées, foule au pied ce dernier, non sans tenir d’une main la faux confisquée et de l’autre son miroir. En 1929, l’Amour tient toujours une place centrale dans les deux représentations du tennis d’hier et d’aujourd’hui commandées par Mrs James Brady pour son court du New Jersey. Il s’apprête à frapper un cœur d’une raquette pour 1900 ou implore une jeune sportive, pour 1930, sur un fond de palmier, traité à la règle et au compas. Enfin la vie de Diane devait être le sujet de quatre grands panneaux refusés par Mrs Harrison Williams pour sa villa de Bayville.

Cadet Rousselle en son hôtel néo-Directoire
Les nouvelles obligations familiales que lui imposaient son récent mariage et la naissance de sa fille, conduisirent Boutet de Monvel à se porter acquéreur, en 1924, d’un petit immeuble du faubourg Saint-Germain en haut duquel était son atelier. Chargeant son ami Louis Süe de l’agrandir pour le métamorphoser en un confortable hôtel particulier néo-Directoire, l’artiste trouva en cette luxueuse demeure matière à satisfaire pleinement son goût pour la symétrie dans l’équilibre des masses, pour les harmonies sobres et pour les lignes pures. « On ne devrait jamais oublier que la peinture est une partie de la décoration », écrivait Jacques Boulenger dans un article consacré aux panneaux décoratifs de Boutet de Monvel, avant d’ajouter à son propos «  qu’il voudrait tout composer autour de lui comme il fait son tableau et qu’il voudrait prolonger celui-ci, pour ainsi dire : qu’il n’est nullement indifférent... au décor dont on l’entourera, qu’il aimerait déterminer la nuance ou même la forme des panneaux où l’on accrochera sa toile, arranger lui-même la pièce où elle prendra place, et au besoin, bâtir toute la maison autour ! » C’est précisément ce qu’il fit, en couvrant les murs de toile à tableau vierge, en dessinant certains meubles comme cette spectaculaire table octogonale en panneaux de glace pour la salle à manger, ou bien encore en composant certains décors : portes de placards ornées des indispensables accessoires de la féminité et surmontés de sentences comme toujours pleines d’esprit pour le dressing de sa femme, ou allégories symptomatiques réunissant la palette, la règle et le compas d’un côté, des fruits exotiques, une guitare et un globe terrestre de l’autre, pour la bibliothèque. L’aménagement de sa demeure parisienne à peine achevé, c’est près de Nemours que le peintre acheta, à la fin de 1929, un moulin à l’abandon dont il conduisit la méticuleuse rénovation, avant de se faire construire à Palm Beach, au début de 1936, une petite folie de bois sur un plan octogonal inspiré de celui des deux pavillons conçus par Louis Süe pour l’Exposition de 1925. Ayant exigé à l’architecte Maurice Fatio de n’employer que des formes géométriquement pures, quatre quadrilatères vinrent s’adjoindre à cet espace central pour abriter les appartements privés et ménager des terrasses. Mais le peintre profita si peu de sa Folie Monvel que les dessus de portes qu’il avait brossés pour elle ne purent jamais trouver leur place. La guerre, qu’il voulut passer en France, l’en priva. Et la paix revenue, ses activités, qui le retenaient désormais loin de Palm Beach, le contraignirent à se séparer de sa maison de bois. C’était au début de 1949, quelques mois à peine avant qu’il ne pérît dans le crash des Açores. Il avait justement entrepris de travailler à décorer la petite église de Treuzy, près de Nemours, un acte de foi que sa disparition prématurée ne lui laissa pas le temps d’achever...

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°513 du 1 février 2000, avec le titre suivant : Boutet de Monvel décorateur

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