Les faunes de Magnus Enckell

L'ŒIL

Le 1 mars 2000 - 791 mots

Ville européenne de l’an 2000, Helsinki consacre actuellement une rétrospective à Magnus Enckell, peintre du XIXe siècle qui fut le porte-parole du symbolisme en Finlande. Entre mythologie antique et allégorie mystique, ses toiles traitent invariablement le thème du faune sous les traits d’Antinoüs ou de Narcisse.

V ous avez toujours été un sphinx pour moi », finira par avouer le peintre Akseli Gallen-Kallela à Magnus Enckell. Et de reconnaître : « Les premières choses que j’ai vues de vous ont été un puissant stimulant pour moi, pour être moi-même capable de faire aussi de l’art véritable. Souvent j’ai voulu vous le dire, mais je n’y suis jamais parvenu : pour quelle raison ? Cela reste un mystère. Vous devez l’avoir senti sans que cela ait jamais été dit. » Cet extrait de lettre datée de 1903 prouve, malgré le fossé qui séparait les deux artistes, à quel point Magnus Enckell (1870-1925) a été l’âme, mais également le porte-parole, du symbolisme mystique en Finlande, au sein d’un groupe de jeunes artistes énigmatiques, comme Ellen Thesleff et Beda Stjernschantz, formées à Paris en 1891. Les couleurs brillantes disparaissent alors de leurs peintures, la sobriété du dessin et de la composition remplace la richesse des nuances, l’iconographie patriotique est rejetée avec désinvolture. L’influence d’Enckell sur son entourage tient à ce qu’il prit part de manière intense à la vie intellectuelle de son temps, que ce soit en littérature ou en musique. Il connaissait très bien les sources du symbolisme – Ovide, Platon, Goethe, Swedenborg mais également Baudelaire, Mallarmé, Diaghilev, Verlaine ou Rimbaud – et fut, durant son séjour à Paris jusqu’en 1894, intéressé au plus haut point par l’expérience exaltée du Soleil d’or et du Sâr Péladan.

La méditation sensuelle du héros confronté au rêve
Une passion brûlante pour l’Italie explique en grande partie le thème récurrent de son œuvre, le Faune, figure emblématique de la mythologie antique mais également allégorie symboliste par excellence illustrée, entre autres, par les photographes F. Holland Day et Wilhelm Von Gloeden. En 1912, dans L’après-midi d’un Faune, mis en scène d’après le poème de Stéphane Mallarmé, Nijinsky exprima avec succès la méditation sensuelle du héros confronté aux forces contradictoires du souvenir, de la réalité et du rêve. Sous les traits de jeunes garçons nus et innocents, ces éphèbes hybrides étaient le reflet d’un conflit éthique et personnel, l’image du paradis perdu et de l’enfer menaçant, de la pureté et du vice, la métaphore de la délicate question des normes morales et sexuelles. Le choix du sujet révèle l’idéal androgyne de l’époque. Dans ses premiers écrits parisiens, Enckell exprime son affinité avec Antinoüs, le jeune amant de l’empereur Hadrien. Antinoüs alliait l’idéal androgyne sacré proclamé par le Sâr Péladan à l’union mystique de l’amour et de la mort. Les penchants d’Enckell sont présents dans Éveil, moment de vérité, de tension aussi, affronté en silence, qui laisse perplexe le modèle au poing pathétiquement serré, auquel on peut identifier le portrait psychologique du peintre.

Des figures androgynes dans une lumière extatique
L’idée d’un vocabulaire formel d’ordre existentiel axé sur une nouvelle conception de l’homme, idéalement situé hors du temps et dans un espace indéfini, apparaît dans les premières figures androgynes de 1892-1894. Baignés d’une lumière extatique au centre d’une pièce totalement vide, Deux garçons exhibent des formes sculpturales anatomiquement parfaites. Le style, d’une archaïque simplicité, contribue à l’étrangeté ambiante. Le jeune androgyne, sexuellement immature, pose un regard dubitatif sur un homme mûr, montré de dos, assis à même le sol. Dans le même esprit, Le Garçon au repos, 1892, ayant à peine atteint l’âge de la puberté, replié sur lui-même et comme seul au monde, s’interroge sur le sens de la vie. Adolescent avec un crâne, 1893, reste la figure androgyne la plus symboliste d’Enckell. Originellement, la composition comportait deux personnages : le second, allongé sur le ventre, était à gauche de la peinture et regardait, lui aussi, attentivement le crâne, symbole de la vie et de la mort. Par son sujet, proche finalement du mythe de Narcisse, cette œuvre se rattache directement aux anciennes Vanités. L’homme solitaire est irrémédiablement confronté au problème de l’éternité et de la fugacité de la vie, à son destin irréversible et, dans le cas de Magnus Enckell, à son identité péniblement assumée. Ce thème principal se retrouve également dans le tableau Mélancolie. Après 1908, la période symboliste austère et hermétique d’Enckell laisse la place à la couleur. Garçons sur la plage, peint sur la côte de Suursaari, adopte un style relevant du vitalisme, mouvement autant philosophique qu’esthétique, diffusé par les écrits de Friedrich Nietzsche, exaltant avec moins d’obscurité non seulement l’affirmation la plus totale de la vie et de soi, mais également l’acceptation la plus joyeuse de « l’éternel retour ».

- HELSINKI, Tennispalatsi, jusqu’au 19 mars.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°514 du 1 mars 2000, avec le titre suivant : Les faunes de Magnus Enckell

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