Mode

Lagerfeld le néoclassique

Par Guy Boyer · L'ŒIL

Le 1 mars 2000 - 870 mots

PARIS

Du 11 au 19 mars, dans ses nouveaux locaux de l’avenue Matignon à Paris, Christie’s présente la collection XVIIIe de Karl Lagerfeld avant les ventes de Monaco et New York en avril et mai. Portrait d’un amateur éclairé qui préfère la mâle assurance du néoclassicisme à la précieuse élégance du bois doré.

Avec le passage à l’an 2000, Karl Lagerfeld a délaissé son célèbre catogan pour une mèche blanche très warholienne. Saute d’humeur ou changement d’image ? Cette question de goût est essentielle car avec ce grand couturier, qui sait manier le verbe et le style avec autant de doigté que l’éventail, il faut s’attendre à tout. Lagerfeld change et sait changer avec appoint. Et il en est de son allure comme de ses collections. Un temps fasciné par le groupe de designers italiens Memphis, il sut se séparer en 1991 de leurs créations ludiques et colorées lors d’une grande vente à Monaco. Pour l’Art Déco, il fait partie du Gotha des collectionneurs, achetant chez Yves Gastou ou Cheska Vallois qui précise d’ailleurs qu’il est « un homme de culture, un érudit qui achète avec un goût indiscutable ». Malgré la grande vente Lagerfeld de 1975 qui marqua définitivement la cote fulgurante des objets Art Déco, le couturier poursuit sa collection riche en meubles de Frank et de Legrain. Pour Bill G. B. Pallot, Karl Lagerfeld ressemble à « un  fou du XVIIIe qui se sert véritablement de ses sièges, s’éclaire à la bougie et dresse la table comme à l’époque ». D’ailleurs, dans l’ancien hôtel particulier des Pozzo di Borgo et dans sa résidence de Bretagne, Karl Lagerfeld a amassé des trésors dignes du Musée Cognacq-Jay ou du Musée Nissim de Camondo, des objets rares choisis soigneusement à Paris, avec son ami décorateur Patrick Hourcade, dans les galeries Aaron et Kugel, chez Maurice Ségoura ou Jean Gismondi. Aujourd’hui, en deux vacations, Christie’s disperse une partie des meubles estampillés Boulle, Tilliard ou Riesener et des tableaux signés Coypel, Boucher ou Fragonard. 400 pièces de mobilier et plus de 150 toiles estimées à plus de 200 millions de francs.

Un coup de foudre pour un tableau de Menzel
« À l’âge de sept ans, aime à rappeler Karl Lagerfeld, j’ai eu un véritable coup de foudre devant la reproduction d’un tableau de Menzel représentant le Grand Frédéric entouré d’amis, dont Voltaire, et les recevant à Sans Souci. J’ai immédiatement décidé que cette scène élégante et raffinée représentait la vie telle qu’elle méritait d’être vécue. » Deux ans plus tard, ses parents lui achètent une copie du tableau chez un antiquaire de Hambourg pour la somme, alors astronomique, de 3 000 marks. C’est à partir de ce choc esthétique que se décide la passion de Lagerfeld collectionneur du Siècle des Lumières. Beaucoup plus tard, il travaille sur le traité d’architecture de Jacques-François Blondel détaillant la progression des salons dans les intérieurs du XVIIIe, la modénature des ornements architecturaux, les décors et les dorures. Évoquant ses sources d’inspiration, Karl Lagerfeld cite volontiers « le décor d’une tabatière de Van Blarenberghe représentant sur toutes ses faces l’hôtel du duc de Choiseul, décoré par Oppenord rue de Richelieu à Paris et remis au goût du jour dans les années 1760 par Blondel ». Grâce à ces représentations, Lagerfeld a reconstitué le salon bleu du duc de Choiseul avec son lit d’apparat. De même, avec un détail du Portrait de Monsieur de Boulogne de Louis-Michel Van Loo, il a choisi le tissu vert recouvrant certains de ses fauteuils. Sans pour autant négliger l’époque Louis XV et l’élégance du Rocaille, c’est la rigueur du XVIIIe siècle français qu’il apprécie par dessus tout, la mâle assurance du néoclassicisme plus encore que les formes chantournées du bois doré. Parmi les chefs-d’œuvre qu’il a rassemblés, Karl Lagerfeld aime s’attarder sur cette paire d’appliques de Caffiéri commandée pour le château de Ménars par le duc de Marigny. Signés dans l’une des rondelles des flambeaux, ils sont à eux seuls de monumentales architectures en miniature avec leur lourde colonne cannelée, leur urne brûle-parfum et leurs branches à décor de feuillage. Côté mobilier, un bureau à cylindre attribué à l’atelier de David Roentgen voisine, entre autres, avec un secrétaire à abattant d’époque Louis XVI, ayant appartenu à Meyer Amschel de Rothschild, et des chaises de Georges Jacob. Enfin, L’Allégorie de la source, un groupe en bronze patiné de Falconet commandé par Catherine II de Russie, répond aux tableaux néoclassiques de Demachy et de Châtelet, dont Le Dégagement de la colonnade du Louvre et La Pyramide du château de Maupertuis rappellent le goût pour la ruine et le « sauvage ». Mais ces quelques morceaux ne sont que les bribes d’un goût immodéré pour le Siècle des Lumières, ce moment de « perfection qui a permis d’atteindre un confort, une élégance et un art de vivre insurpassés jusqu’à nos jours ».

L’exposition

Après Berlin au cours de l’été 1999 et Venise à la Fondation Guggenheim en automne, quelque 400 dessins, accompagnés de sculptures antiques ibériques, égyptiennes et romaines et de sculptures de Degas, Giacometti, Picasso et Germaine Richier sont présentés à Madrid. « Linea, Sombra y Luz », Museo Thyssen-Bornemisza, Paseo del Prado, Madrid, tél. 00 34 91 420 39 44, jusqu’au 14 mai.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°514 du 1 mars 2000, avec le titre suivant : Lagerfeld le néoclassique

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