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Un printemps très primitif

L'ŒIL

Le 1 mai 2000 - 829 mots

Les Arts premiers ont le vent en poupe. En avril le Louvre leur a ouvert ses portes (L’Œil n°515) tandis que se déroulait, en parallèle, chez Sotheby’s France, une exposition sur le même thème. L’art aborigène y figurait pour la première fois à Paris. Deux dispersions d’exception vont suivre, l’une d’art africain et océanien le 19 mai à New York comportant des œuvres de la collection de Grunne, l’autre d’art aborigène à Melbourne le 26 juin.
Le Belge Baudoin de Grunne découvre par hasard l’art africain en visitant en 1962 une exposition de peinture contemporaine à Courtrai. À côté des tableaux, le galeriste a placé de l’art tribal. Un choc pour le collectionneur qui dès lors se met en quête. Chaque samedi, il parcourt la Place du Sablon, au cœur de Bruxelles, visite une poignée de marchands en qui il a confiance, s’informe, regarde, achète ce qui le touche, sans but spéculatif. L’époque, il est vrai s’y prête. Des œuvres de haut niveau commencent à apparaître sur le marché européen, n’intéressant pas grand monde ; mieux elles font sourire certains. Naît ainsi un ensemble de toute beauté qui traverse aujourd’hui l’Atlantique pour une vente qui fera date. Au menu, deux pièces majeures : un somptueux masque Baoulé de Côte d’ivoire et une grande statue Songe du Congo (tous deux entre 100 000 et 150 000 $). Alentour, des sculpture Tabwa du Congo et une réunion de gongs Mitsogho du Gabon. De ces objets choisis avec un goût très raffiné, aucun ne laisse indifférent. Le label de Grunne est une référence et plusieurs musées, tels la Fondation Dapper à Paris, ne s’y sont pas trompés. « Depuis les années 60, le marché s’est complètement transformé, explique le marchand Bernard de Grunne, fils de Baudoin. Au début, les collections se sont constituées aux États-Unis sous l’impulsion de Nelson Rockefeller. Il y avait à l’époque cinq ou six très grandes galeries à New York. Puis dans les années 70, l’Europe a pris le relais, Français, Belges, Suisses en tête, suivis par les Allemands. Sont venus ensuite les Italiens et, depuis peu, les Espagnols montrent le bout de leur nez. Tout ce monde là est aujourd’hui très actif. » Alors pourquoi vendre à New York ? Pour Bernard de Grunne, c’est un choix obligé. S’adresser à un major puissant permet une couverture internationale et est beaucoup plus sûr. « Nous serions volontiers venus à la galerie Charpentier, dit-il, si Sotheby’s n’était pas interdit de vente à Paris. » Une raison de plus pour penser que la fin du monopole va profondément modifier la donne en France. En attendant, dans la spécialité, Drouot fait encore bonne figure. Chez Me de Ricqlès, le 28 mai, on vend un important masque Punu rapporté en France avant la guerre. Prix attendu 400 000 à 600 000 F.
Spécialité ultra-confidentielle en Europe, l’art aborigène a déjà obtenu droit de cité en Australie et, dans une moindre mesure, aux États-Unis. Dans les années 50, pour le compte de collectionneurs ou d’institutionnels tels The Australian Aboriginal Art Trust, ethnologues et chercheurs partent sur la trace de ces témoignages d’une très étrange et très ancienne civilisation (les peintures rupestres y remontent à plus de 40 000 ans, en comparaison des 17 000 ans de la grotte de Lascaux). Héritiers de ces représentations, les artistes d’aujourd’hui effectuent leur travail de création selon une symbolique d’une rare complexité qui prend sa source dans le Dreamingtime (le temps du rêve). Celui-ci est associé au culte des ancêtres et fait référence à un lieu précis. Il n’a guère changé au cours des siècles et garde, sauf exception, beaucoup d’authenticité. Ces hommes et ces femmes sont restés dans un univers radicalement différent du nôtre, c’est pourquoi, qu’il s’agisse de peintures sur écorce du début du siècle ou d’acryliques sur toile toutes récentes, la date de leur exécution est secondaire. Seules comptent l’origine de la pièce, ses conditions de réalisation et naturellement sa valeur esthétique. Car, bien sûr, là comme ailleurs existent d’affligeantes médiocrités à l’usage de touristes naïfs. Dans les années 70, au moment où apparaissent les supports permanents, personne ne s’est encore vraiment penché sur l’art aborigène, assure le galeriste Stéphane Jacob (179, bd Pereire, 75017 Paris, tél. 01 46 22 23 20), un des rares spécialistes français de la question. On pouvait alors faire du troc avec les communautés et acquérir des chefs-d’œuvre contre quelques dizaines de francs ou une caisse de bière. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les prix ont décollé et grimpent inexorablement depuis 1990. Pourtant, le créneau offre encore beaucoup d’opportunités : tout n’est pas hors de prix assure le marchand. Côté ventes aux enchères, Sotheby’s tient le marché et effectue un travail documentaire de premier ordre. À Melbourne ou à Sydney se déroulent deux dispersions annuelles. Au menu de la prochaine, une peinture de Warangkula Tjupurrula Water Dreaming, un chef-d’œuvre qui devrait retenir l’attention des grandes institutions internationales et un prix important entre 175 000 et 290 000 $.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°516 du 1 mai 2000, avec le titre suivant : Un printemps très primitif

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