La grille sur les collines

Écartant la plupart des clichés qui font de San Francisco une ville à taille humaine faite pour les piétons avec une architecture tributaire de la vieille Europe, ce livre montre qu’elle est peut-être la plus américaine et la plus délirante des villes de ce pays. L’acharnement des architectes envers le relief accidenté de cette baie est exemplaire. La grille, système d’organisation extrêmement rigide et caractéristique de l’urbanisme américain, est rentrée en conflit avec pas moins de 42 collines, une lutte sans merci où chacune des deux parties a remporté des batailles décisives. Outil de colonisation par excellence, la grille a tenté d’uniformiser ce terrain bosselé, ravivant la vieille rivalité nature-culture jusqu’à l’absurdité. Parfois, la grille s’est déformée jusqu’à l’explosion, sous la pression du sol (voies sans issues ou prolongées par des escaliers tant l’inclinaison est forte, discontinuité du plan), à d’autres moments elle a terrassé la colline en la transperçant de tunnels ou en l’aplanissant. Riche de photographies d’archives, de plans éloquents et de coupes axonométriques, cet ouvrage assez scientifique mais passionnant, relate cette domestication radicale de la terre par la géométrie. Si les passages plus spécifiques à certains quartiers peuvent lasser le lecteur qui ne les connaît pas, l’histoire épique de cet entêtement, depuis la fondation de la ville en 1847, alors peuplée de 150 habitants, jusqu’au début du XXe siècle, explique avec plaisir ce non-sens urbain qu’est San Francisco.