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Les doigts de fée de Miguel Cisterna

L'ŒIL

Le 1 décembre 2000 - 335 mots

Il y a chez Miguel Cisterna de quoi déranger les esprits forts : non content de travailler dans le superflu, il semble prendre un malin plaisir à s’attaquer aux réalités les plus prosaïques : une chaise ou un fauteuil, par exemple. Quelle contradiction dans les termes, en effet, qu’une chaise si délicatement nervurée, rebrodée d’une aile d’organza, hachurée de raphia, objet affecté par une splendeur intimidante, qu’on n’ose s’y asseoir. On le peut pourtant. Lampes, coffrets et reliures : Miguel Cisterna, en bon scénographe, a l’art de la broderie déplacée, appliquée à l’imprévu. Autant pour le respect aveugle dans lequel, nous modernes, tenons le fonctionnel, et toutes les formes d’économie domestique. Le goût et les codes de la reliure sont par excellence ceux du monumental : il s’agit de sauver le livre de son sort de papier fragile et périssable, de couler une chape de maroquin (ou de bois, de bakélite ou de métal) sur un contenu ainsi préservé. Mosaïqué, réticulaire, le décor frappe d’un sceau définitif cette couverture de protection. À la considérer cursivement, la tradition de la reliure de broderie se répartit autour de deux pôles : laïc et religieux, et d’une même célébration du pouvoir. Bien conscient du passé, Cisterna renverse l’ordre des choses : au goût du mouvement, il oppose la fragilité, ou la pauvreté, du matériau : liens de raphia, grains de strass, perles de verre ou de bois, exaltant un bestiaire minuscule ou une lointaine rocaille. Sous la tresse ou les entrelacs du raphia persiste la fulguration de la lumière. Loin de chercher à fixer les choses, à refermer l’écrin, tout le travail de Cisterna tend à rendre fluide, mouvant, le « plat de couverture », à jouer de la tension entre la perfection du dessin et la légèreté d’une simple couture, à rendre à sa fragilité, et à l’éclat de l’instant, ce qui aurait pu n’être que définitif. Les reliures de broderies de Miguel Cisterna ont été exécutées par Arnaud Seydoux.

PARIS, galerie Stéphane Deschamps, 5 décembre-5 janvier.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°522 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Les doigts de fée de Miguel Cisterna

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