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Jacques Damase, colporteur d’images

Par Gilles de Bure · L'ŒIL

Le 1 décembre 2000 - 606 mots

Cinq livres. Cinq livres en tout et pour tout pour résumer cinquante ans d’édition... C’est peu, et pourtant tout est là de la diversité, de la multiplicité, de la pluralité de Jacques Damase. Un drôle de mélangeur de typographie et de photographie, d’art et de poésie, de formats et de grammages, d’éclectisme et de curiosité.Cinq livres pour condenser une vie d’artisan passionné et atypique : La saison des amours (1949), poèmes d’Éluard, gravures de Friedlander ; Les miroirs du roi Salomon (1962), les trente derniers pastels d’Atlan ; Rythmes-Couleurs (1966), la somme de la longue complicité qui unit Damase à Sonia Delaunay ; Le Numéro Barbette (1980), consacré à Barbette, extraordinaire acrobate et première drag queen parisienne, par Man Ray et Cocteau ; Atao (L’Œil n°518), enfin, une somme de 1500 images pesant deux kilos, consacrée à la Bretagne qui vit naître l’éditeur.

Éditeur certes, on l’a bien compris. Mais Damase fut aussi, et demeure à 70 ans, un étonnant voyageur, un galeriste, un directeur artistique de presse (House & Garden), un journaliste (Vogue) et tant d’autres choses encore qu’il réunit en une seule définition : « Je suis un colporteur d’images. » Sans doute en souvenir du tout premier ouvrage qu’il publia à 17 ans : un curieux album, intitulé 1848, lié au Salon de l’Imagerie et consacré, images et textes conjugués, aux chansons populaires de cette époque révolutionnaire.
À l’époque, Aragon refusa d’écrire la préface pour ce jeune provincial inconnu. Amusant retour des choses, c’est Aragon qui écrira, 33 ans plus tard, la préface du catalogue de l’exposition que le Centre Pompidou consacrera, en 1980, à l’éditeur Damase. Car Damase a été exposé dans les plus grands musées du monde. Mais cette exposition-ci, pour modeste qu’elle soit, est essentielle. Elle fête les 50 ans d’un travail d’orfèvre, « et surtout 15 ans d’une réelle amitié entre Jean-Noël Flammarion et moi. Jean-Noël qui rédige un très joli texte pour le catalogue de cette exposition présentée dans un nouvel espace, réhabilité par Sylvain Dubuisson et qui s’inaugure avec mes petits livres », sourit malicieusement l’ami Jacques. On y retrouve, dans une mise en scène de Didier Ghislain, et outre les cinq livres en majesté, toute « la bande à Damase » : tous les Max Ernst et Sartre, Robert Delaunay et Marcel Aymé, Wols et André Malraux, Joe Bousquet et Gaston Chaissac, et encore, Gérard Garouste, Jean-Luc Vilmouth, Patrick Raynaud, et toujours, en vrac et en toute liberté, Santini et saint Sébastien, les « toros » et les chapeaux, l’Islande et Hans Baldung dit « Grien », Arno Brecker et les signes hébraïques, les samouraïs et Luis Buñuel, Pouchkine et la boxe... Voici quelques années, dans un article qui lui était consacré, la revue Cimaise publiait, parmi d’autres, ce commentaire : « Chacun de ses ouvrages, il le marque au fer rouge de sa personnalité, de son ambiguïté, de sa marginalité naturelle, de sa sensualité diffuse et dominante, de sa présence physique en somme. Chacun est perturbant, troublant, déchire un morceau de la banalité quotidienne... » Tout est dit, ou presque, en quelques mots. N’y manque que la tendresse. Cette tendresse omniprésente qui caractérise au plus près ce touche-à-tout qui, justement, touche tout ce qu’il fait, et nous touche en chaque occasion au travers de ce qu’Aragon nommait « un répertoire étrange et merveilleux ». Bref, non pas cinq, non pas cinquante, mais des milliers de bonnes raisons d’aller à la rencontre de ce personnage mythique et mystérieux, incertain et fidèle, généreux et amical, follement raffiné et pétri d’humour.

PARIS, Librairie Mouvements, 46, rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris, tél. 01 46 34 40 29, jusqu’au 13 janvier.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°522 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Jacques Damase, colporteur d’images

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