Frac

Guilleminot ou les pliures de l’être

L'ŒIL

Le 1 mars 2001 - 354 mots

En 1994, Marie-Ange Guilleminot, dissimulée dans un espace clos, offrait ses mains aux passants de la gare centrale des autobus de Tel-Aviv peu après un attentat à la bombe. Les mains de l’artiste, coupées du reste du corps, s’offraient au toucher, au baiser comme un appel anonyme
à l’échange et au réconfort. Cette performance était déjà révélatrice de sa démarche artistique, éphémère, empreinte de sensibilité, de vulnérabilité et d’émotions. Trois ans plus tard, elle expose à la Biennale de Venise, Le Salon de Transformation, projet évolutif composé d’un tapis circulaire posé au sol. Cet espace d’échanges, peuplé d’objets transformables, invitait le public à une œuvre collective et créative. Aujourd’hui, l’artiste, poursuivant ce concept, propose la fabrication d’origamis, c’est-à-dire de petits oiseaux Tsuru en papier. Il s’agit là d’un hommage à une jeune Japonaise, victime de la bombe atomique qui réalisait ces pliages à partir du mode d’emploi de ses médicaments. Marie-Ange Guilleminot a spécialement réalisé un livre aux pages détachables pour cette action interactive. Un mode d’emploi est présenté par ordinateur, soulignant le caractère réversible du Tsuru qui peut, par dépliage, retourner à l’état primaire de matériau-papier : « Le Tsuru génère ainsi sa propre vie ». Ces petits papiers pliés, symboles nationaux d’espoir et de longévité
au Japon, seront assemblés en guirlandes, comme autant de métaphores des êtres célébrés, et remis au Musée du Monument pour la Paix à Hiroshima lors de la cérémonie de commémoration du 6 août. Véritable rencontre culturelle dans le temps et l’espace, ce processus est basé sur le contact entre les personnes, sur ce qu’elles fabriquent ensemble. Cette implication personnelle et collective rapproche les participants de la jeune victime japonaise. La présence du public se manifeste non seulement dans sa dimension physique, mais également au niveau de ses déplacements dans l’espace ainsi que dans ses gestes et rituels. L’œuvre de Marie-Ange Guilleminot concrétise ainsi le discours prémonitoire de Kazimir Malevitch : « Nos ateliers ne peignent plus de tableaux, ils bâtissent les formes de la vie ; ce ne seront plus les tableaux mais les projets qui deviendront des créatures vivantes ».

MARSEILLE, Frac, Astronef, 13 janvier-3 mars.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°524 du 1 mars 2001, avec le titre suivant : Guilleminot ou les pliures de l’être

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