Frédérique Lucien

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 mars 2001 - 550 mots

De presqu’îles de couleurs monochromes en mouvements de lignes, l’œuvre de Frédérique Lucien s’inspire de la nature sauvage des côtes bretonnes.A voir ce mois-ci en plein cœur du Limousin.

Les Puces de Clignancourt qui s’étendent de l’autre côté du périphérique, sur la commune de Saint-Ouen, découvrent un paysage urbain qui n’a plus rien à voir avec Paris. Au-delà du dédale des quartiers de Biron, Dauphine, Paul Bert et Serpette, Frédérique Lucien a trouvé son bonheur : une ancienne menuiserie qu’elle a transformée en un atelier vaste et lumineux. Là, à deux pas d’un monde encombré et coloré, tout est calme et sérénité. Pour un peu, on se croirait loin, très loin, hors de toute agitation citadine. D’autant que les œuvres accrochées sur les murs ne font que conforter cette impression : simples mouvements de lignes qui se courent les unes après les autres, presqu’îles de couleurs monochromes qui jouent de découpes et de vides, curieuses taches d’encre noire qui renvoient le regard à quelque chose d’informel et d’organique.
Voici quelques années, Frédérique Lucien est tombée amoureuse des Abers, un coin de la côte bretonne au nord de Brest où elle se rend volontiers hors saison, quand le paysage, passée la déferlante des touristes, est enfin rendu à lui-même et à sa solitude. Une façon de prendre de la distance et de se ressourcer dans le cadre d’une nature sauvage, une nature des premiers temps, comme l’aurait dit Renan. Suivant le flux et le reflux de la marée, elle s’applique alors à relever systématiquement le tracé de ces étonnantes figures ondulées que les vagues dessinent sur le sable et qui se développent à perte de vue le long de la grève. Sortes de fils d’Ariane sans origine ni extrémité que la nature engendre et qui sanctionnent le mouvement fondamental de l’univers. Peignant La Barque, Monet en son temps ne disait-il pas avoir « repris encore des choses impossibles à faire, de l’eau avec de l’herbe qui ondule dans le fond » et Les Nymphéas ne sont-ils pas la tentative d’un pari fou, celui de vouloir fixer la permanence d’un écoulement.
Frédérique Lucien a toujours été très attentive aux choses de la nature. Elle y puise le prétexte à son travail dans cette façon particulière qu’elle a de s’intéresser à leur fonctionnement. Elle leur inspire toutes sortes de situations empreintes d’énergie, de tension et de mouvement, parce que seul compte pour elle ce qui relève d’un principe vital. S’il fut un temps où le travail de Frédérique Lucien s’opérait dans un rapport davantage intimiste, son installation à Saint-Ouen et sa fréquentation de la mer lui ont permis de gagner un nouvel espace. Celui-ci résulte de ces dessins de lignes, de leur déclinaison formelle et de leur multiplication juxtaposée, mais aussi d’une mise en scène du travail visant à entraîner le regard à l’épreuve d’un infini. A replacer aussi le dessin en son lieu originel, à savoir celui des dédales de la pensée qui se développe à grand renfort de méandres et d’entrelacs. De sa table de travail, Frédérique Lucien est donc passée tout naturellement au mur, à l’idée d’une vision panoramique pour tenter d’instruire la notion d’une étendue océanique. Une étendue que stratifient ses dessins d’encre et que ses peintures configurent en archipel.

- VASSIVIERE, Centre d’Art et Artothèque, 3 février-1er avril.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°524 du 1 mars 2001, avec le titre suivant : Frédérique Lucien

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