Alberto Meda en quête de légèreté

L'ŒIL

Le 1 avril 2001 - 1532 mots

De sa première lampe Jack à la chaise Meda 2 pour Vitra, Alberto Meda enchaîne les succès. Ce mois-ci, on retrouve ses objets sur presque tous les stands du Salon international du Meuble de Milan. Entretien avec l’un des plus talentueux ingénieurs et créateurs italiens de design contemporain.

Quel a été votre parcours après votre maîtrise d’ingénieur à l’école Polytechnique de Milan ?
J’ai rencontré Giuliano Castelli qui m’a proposé de travailler avec lui pour Kartell et j’ai été heureux de participer à l’aventure de cette entreprise. Je dis aventure, car pour moi c’était un monde si différent, avec d’un côté ses articles de laboratoires scientifiques et de l’autre son secteur dédié au mobilier. Les articles pour laboratoire étaient proches de ma formation d’ingénieur, alors que le mobilier était une découverte complète. J’avais la responsabilité d’une partie de l’entreprise et de la production interne, avec beaucoup de liberté d’expression. Ce fut pour moi une grande école.

Suiviez-vous les produits dessinés par d’autres designers ?
Oui, de la production et du développement des projets jusqu’à leur mise en forme définitive, adaptée à la production industrielle en série. Cette expérience, qui a duré sept ans, m’a permis de comprendre que c’est dans la recherche même, nécessaire à la réalisation concrète du projet, que j’ai le plus de talent. Ma vraie joie réside dans l’instant où l’on donne corps à une idée. Les phases de lancement, de gestion et de marketing, qui étaient elles aussi sous ma responsabilité de directeur technique, m’intéressaient moins. J’ai donc pris mon courage à deux mains, je suis allé voir Castelli et j’ai démissionné en 1979. J’ai eu de la chance, la Brevetti Gaggia, une entreprise de machines à café, m’a tout de suite demandé d’étudier une machine cumulative pour fabriquer des glaces. Cela signifiait sortir du monde du plastique, se passionner pour le produit lui-même, être plus libre. En tant qu’« ingénieur de produit », c’est ainsi que je me définissais à l’époque, je devais agir au moment précis et décisif où le projet se transforme en objet de série. A cette époque, je finalisais  et produisais les idées des autres. J’ai travaillé pendant quatre ans pour Alfa Romeo, une entreprise ouverte à l’expérimentation des matériaux et des idées. Le deuxième tournant important est survenu lorsque j’ai pensé que je pouvais devenir mon propre consultant, rendre concrète et réalisable l’une de mes toutes petites idées.

Quelle a été la première idée ?
Ce fut la lampe Jack, une lampe pour lire (j’étais alors consultant de la Luceplan). J’ai pensé à une petite lampe discrète qui ne dérange pas son voisin la nuit. Sarfati a aimé le prototype. C’était important car j’ai été perçu, pour la première fois, non seulement comme un ingénieur de produit, mais aussi comme un progettista, un créateur de projet. A partir de là, il y a eu avalanche de propositions. L’entreprise Alias, dirigée par Bertolini, m’a donné carte blanche. J’ai fait une chaise en matériaux composites, la chaise Lightline, qui, du point de vue de la production, a été un désastre (50 exemplaires). Mais ce prototype expérimental a suscité un très grand intérêt partout. C’était une nouvelle façon de rêver, d’inventer quelque chose.

Dès le début vous aviez une certaine idée de la légèreté ?
En effet, l’idée était d’utiliser des matériaux nouveaux, plastiques, aussi légers que l’eau et privés de caractéristiques structurelles. On peut obtenir avec ces matériaux composites des épaisseurs subtiles, des apparences liquides et une solidité inédite. Je ne voulais pas faire à proprement parler une chaise, mais, à travers cet objet, comprendre le comportement du matériau.

Comment avez-vous fait pour imaginer la forme ?
C’était très complexe, car une chaise reste une sculpture. J’ai donc fait un dessin à l’échelle un, j’ai pris du polystyrène et j’ai essayé de réaliser en maquette ce que j’avais dessiné. Ce prototype a changé radicalement ma façon de penser les objets. Le rapport entre le dessin et la maquette est une lutte, un jeu passionnant. Pendant la mise en œuvre, on récupère une masse d’informations qui modifient l’idée initiale. Il y a complémentarité entre l’idée et la réalisation. Comme un cercle entre la pensée et l’action. La forme est le résultat progressif de ce va-et-vient entre l’idée et la matière. Elle naît presque toute seule, de façon inattendue.

La première chaise a-t-elle été pensée en fonction de son usage ?
Non. Je voulais uniquement exprimer le comportement de la matière. Après, quand j’ai réalisé la chaise en aluminium, j’ai tenu compte de la rationalité de l’objet qui devait combiner toutes les caractéristiques d’un objet de design : fonctionnalité, coût et usage. L’esprit était de réunir deux techniques en principe opposées sans que l’on puisse voir et encore moins savoir qu’il s’agissait de deux techniques différentes. Exhiber la technologie ne m’intéresse pas, le high tech non plus. Ce qui m’intéresse, c’est de concevoir un objet moderne, le plus simple et neuf possible en exploitant la technologie. J’aime cacher la complexité. Me servir de moins de matière, grâce aux nouvelles technologies qui favorisent impalpabilité et discrétion. De ce point de vue, les matières plastiques sont formidables. Après cette chaise, les producteurs de la lampe Jack m’ont demandé de travailler en exclusivité pour eux. J’ai alors collaboré avec Paolo Rizzato qui, plus que moi, porte une attention particulière aux problèmes esthétiques. Il nous arrive d’échanger nos rôles. La production de lumière m’attire à cause de son immatérialité. Au début, on travaille les aspects thermiques et mécaniques. Ensuite, on répond à des défis formels. A la classique et merveilleuse lampe suspension d’Achille Castiglioni, la Frisbi, il a fallu trouver des alternatives, les adapter à une nouvelle façon de vivre, concrétisée dans un objet facilement utilisable. La couleur est venue après, en cours de réalisation. L’activité du designer n’est pas entièrement programmable. Pour Fortebraccio, une lampe de travail qui devait être plus robuste que la Berenice, nous avons pris en compte les critiques, à la fois sur la forme et sur l’usage. Berenice est légère et un peu fragile, mais on se brûle les doigts, ce qui est une caractéristique des lampes des années 50. Fortebraccio a fini par devenir un bras, un mouvement robotique auquel personne ne s’attendait au départ. Le design n’est pas un travail solitaire, la commande joue un rôle très important. L’industriel est très critique, très proche du détail de chaque projet.

Quand avez-vous commencé à travailler avec Vitra ?
Pour la chaise Meda 1 car Rolf Appfelbaum avait vu la série des fauteuils Armframe pour Alias. Cette chaise a eu beaucoup de succès, même dans sa dernière version en plastique. Par rapport à la première, la Meda 2 a un certain nombre d’éléments supplémentaires mais surtout un prix moitié moins cher. Elle est toute en plastique alors que l’autre est en aluminium et qu’il faut la polir. Le cadre du dossier de Meda 2 est entièrement en nylon et la résille tendue accroît le confort d’assise. C’est un défi harmonieux d’ergonomie et d’esthétique.

Vous ne vous intéressez pas qu’aux sièges. Quels sont vos nouveaux projets ?
J’ai dessiné un frigo écologique en polystyrène, en tenant compte de ce qu’il deviendrait une fois mis au rebut. Les frigos actuels sont réalisés avec de nombreux matériaux différents, y compris la « serpentine », cette spirale qui est très difficile à séparer pour le recyclage. L’idée est d’avoir un objet entièrement recyclable. J’ai fait un prototype, mais le projet n’a pas encore abouti. Pour Mandarina Duck, j’ai fait des valises. Pour les Finlandais, j’ai créé des carafes qui purifient l’eau, des couteaux, un kit didactique pour l’énergie solaire. J’ai beaucoup de projets en cours, dont une bicyclette de ville. J’essaie de sortir du monde du meuble.

Que pensez-vous des designers contemporains ?
Il n’y a que ceux qui ont une idée qui va au-delà de la forme qui m’intéressent.

Beaucoup refont des objets archétypaux et anonymes, à la mode aujourd’hui.
Je n’aime pas ça. En revanche, j’ai vu certains projets du groupe hollandais Droog Design. Ils ont souvent des idées étonnantes, parfois inspirées par la technique. Marcel Vanders a fait une petite chaise, une grille avec de la résine qui se solidifie et prend la forme de la posture de la personne, comme une empreinte. C’est une approche intéressante, sans doute sûrement beaucoup trop cher, mais il y a une recherche, quelque chose qui fait réfléchir, une ingéniosité qui m’attire. Il arrive que des objets assez éloignés du design traditionnel soient justement les plus chargés de design. Ce que fait Issey Miyake, par exemple, est magnifique, j’en reste stupéfait. Rien que l’idée de donner à quelqu’un une feuille de métal modulable et recyclable pour s’habiller est extraordinaire !

Pourquoi Milan demeure-t-elle encore la capitale du design en Europe ?
Il existe là-bas un tissu d’artisanat de petite industrie. L’artisan milanais évolue vite, s’adapte avec une vitalité qui n’existe nulle part ailleurs. Il a un savoir-faire issu du sous-traitement des pièces conçues pour la grande industrie.

Y-a-t-il une crise de la création du design italien ?
Il n’y a peut-être plus de designers aussi charismatiques que Castiglioni, mais des jeunes émergent doucement. Il nous manque une génération intermédiaire. Il y a de grandes personnalités et des « personnages », mais le design est devenu une activité plus répandue, plus productive.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°525 du 1 avril 2001, avec le titre suivant : Alberto Meda en quête de légèreté

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