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Grcic, de l’émotion avant toute chose

L'ŒIL

Le 1 juillet 2001 - 552 mots

L’air d’un jeune homme rangé que contredisent les pattes sur les joues, la bouche sensuelle avec un menton à la Kirk Douglas et les cheveux plutôt longs, Konstantin Grcic (prononcez à la serbe : Grikchich) est la nouvelle star du design international.

Adoubé par le malicieux maître Achille Castiglioni (L’Œil n°490) qui déclara un jour qu’il était le meilleur, aidé par Jasper Morrison (L’Œil n°518) qui se trouvait des affinités avec lui, Grcic a surgi en Allemagne dans les années 90. Son sérieux, son tact et un certain entêtement firent depuis merveille. Directrice de galerie, sa mère lui donne un goût certain pour les arts. Grcic sait qu’il veut être ébéniste. Il suit l’excellent enseignement de John Makepeace à Parnham en Angleterre, y assouvit sa passion du bois puis tombe en extase devant les machines qui fabriquent mieux, plus, et plus vite. Avec sa mentalité d’artisan et son respect maniaque du savoir-faire, il part compléter sa formation à Londres, au Royal College of Art, où son directeur d’étude n’est autre que Jasper Morrison, à peine plus âgé que lui. Leur approche est similaire : faire du design conçu uniquement pour l’industrie, être au service de l’utile et glorifier le quotidien. Après les délires, les affirmations esthétiques, politiques et libératrices des années 80, ils recherchent le rapport « qualité-prix » devenu d’actualité après la crise du pétrole. Afin de relancer la collection design méconnue du Frac-Nord-Pas-de-Calais, Catherine Geel, conseillère pour le design, a eu la bonne idée de réunir dans une exposition ces trois chantres de l’objet quotidien, trois générations, trois nationalités à travers leur péché mignon commun : la collectionnite aiguë d’objets souvent anonymes, toujours des archétypes. Castiglioni est boulimique d’outils (ses marteaux sont présentés dans l’exposition), Morrison d’images d’objets, Grcic a un faible pour les cintres. Ce dernier est le roi du décalage, du glissement d’un objet sur un autre. Il s’efface moins que Morrison qui fait souvent des épures d’épures, il simplifie mais en ajoutant un minuscule petit rien qui change tout et qui insuffle de l’âme, une mémoire, une nouvelle vie à l’objet. « La logique de la production me fascine. L’idée de multiplication m’attire. J’aime la sensation de voir un objet se répéter en série, j’aime aller à l’usine et voir ces grandes machines cracher une pièce après l’autre ». Dons d’observation, de délicatesse et pour le coup, nouvelle façon d’enrichir insensiblement mais consciemment la gestuelle quotidienne. Grcic s’intéresse au corps, à ses habitudes, à son confort qui pour lui rime avec liberté.Il met toujours un soupçon de contradiction dans l’évidence. Il y ajoute humour, humanité et même parfois trouble comme dans sa série de verres empilables créée pour les Finlandais Iittala (les verres ont toujours l’air d’être pleins), son cintre-brosse édité par Cappellini, son seau en plastique translucide et acidulé pour Authentics. Ou encore son dernier fauteuil Chaos, édité chez le Munichois Classicon, curieux trône où les jambes peuvent se permettre toutes les fantaisies selon les situations et sa lampe baladeuse en forme de porte-voix chez Flos. Lorsque Grcic met son grain de sel, l’ordre devient l’amorce du désordre. « La forme la plus passionnante de l’utilité est de réussir à établir une relation émotionnelle entre l’homme et l’objet ».

- DUNKERQUE, Frac Nord-Pas-de-Calais, 930, av. de Rosendaël, tél. 03 28 63 63 13, 23 juin-20 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°528 du 1 juillet 2001, avec le titre suivant : Grcic, de l’émotion avant toute chose

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