Philippe Cognée

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 décembre 2001 - 635 mots

A première vue, les peintures de Philippe Cognée sont d’une écrasante banalité. A les regarder de plus près, elles livrent l’image paradoxale d’un monde inquiétant, au bord d’un écroulement. Où la peinture se fait peau tendue et résistante.

Il a fermé portes et volets, pris soin de placer de grands panneaux de bois devant les fenêtres pour ne pas laisser passer le jour, coupé la lumière puis branché l’appareil de diapositives. Ce jour-là, Philippe Cognée a décidé d’engager une nouvelle série de toiles sur le thème des villes. Voilà déjà quelque temps que le sujet le retient. Comme à son habitude, il se sert de photographies qu’il a prises lui-même, ici et là, au gré de ses pérégrinations. L’été dernier, Cognée a séjourné aux Etats-Unis et a passé quelques jours à New York. Les Twin Towers dressaient encore leur imposante silhouette dans le ciel. Il en a rapporté plein d’images nouvelles, car son art se nourrit de toutes sortes de clichés : barres d’immeubles, intérieurs de supermarchés, photos de famille sur la plage, vues de foules captées à la télévision, paysages saisis d’un train... A l’atelier, Philippe Cognée vérifie que l’image projetée sur la toile vierge lui convient. Dans la semi-obscurité, il en reprend au trait le dessin, en modifie ici et là l’allure pour mieux régler sa composition, puis vient le temps de la peinture. Une nouvelle séquence expérimentale débute. Cognée utilise de la peinture à l’encaustique. Dans un coin de l’atelier, la cire bout sur un réchaud. Il y trempe ses pinceaux, recouvre peu à peu le champ de la toile de figures architecturées pour révéler finalement l’image d’une ville qui fait penser à un jeu de construction. Sur la toile qui a été préalablement contrecollée sur bois, la pâte picturale encore toute chaude fait couche, les couleurs sont mates, les formes sont encore repérables : une rue, un immeuble, une tour... Encore trop. L’artiste regarde son tableau, le juge en inclinant la tête dans tous les sens. D’une main, il en masque une partie, plisse des yeux pour en noyer déjà l’image dans un flou intérieur. Soudain, il s’approche d’un détail, effectue une correction. La scène se répète plusieurs fois. La peinture prend son temps. Enfin, l’image est prête. Nouvelle étape : le repassage. Cognée se saisit de son tableau, le place à l’horizontale sur deux tréteaux et le recouvre en partie d’une feuille de plastique transparente. Il applique dessus un fer à repasser de façon à écraser littéralement la peinture, dispose une autre feuille, puis une autre, jusqu’à ce que toute la surface ait été ainsi reprise. Sous l’effet de la chaleur, les formes éclatent, la peinture doucement fuse et diffuse. Le motif figuré perd sa définition objective. Il lui faut tout contrôler, tout mesurer, afin de ne pas perdre le tableau. Repasser ici pour mieux faire disparaître l’image, appuyer plus fort là pour obtenir tel effet. C’est comme un délitement, comme s’il n’était d’autre dialectique possible que d’aller du construit au détruit, du banal à l’étrange. Car les œuvres de Philippe Cognée sont bien plus qu’une simple image du réel. Elles le transfigurent, voire le transcendent, pour livrer une vision surprenante entre le figurable et le défiguré. Le repassage terminé, l’artiste retire prudemment les feuilles de plastique pour ne pas risquer d’arracher la peau de la peinture. Le sujet n’a pas vraiment disparu, il s’est proprement incarné dans la matière elle-même, tant il est vrai que l’art de Cognée procède d’une essentielle métamorphose.

- LAUSANNE, galerie Alice Pauli, 9, rue de Port Franc, tél. 21 72 87 62, 23 novembre-13 janvier et LES SABLES D’OLONNE, Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, rue de Verdun, tél. 02 51 32 01 16. En France, Philippe Cognée est représenté par la galerie Laage-Salomon, 57, rue du Temple, 75004 Paris, tél. 01 42 78 11 71.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°532 du 1 décembre 2001, avec le titre suivant : Philippe Cognée

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