entretien

Yves Peyré dialogues dans le siècle

L'ŒIL

Le 1 juin 2002 - 819 mots

Yves Peyré, écrivain et directeur de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet qui rassemble dans ses locaux, place du Panthéon, de prodigieux fonds d’archives consacrés à la littérature française du Symbolisme à nos jours, publie aujourd’hui un ouvrage intitulé Peinture et poésie, le dialogue par le livre (1874-2000). Le livre s’attache à dessiner un bilan inédit du phénomène de la rencontre entre artistes et écrivains à travers la création de livres. Une exposition dont il est le commissaire accompagne cette démarche jusqu’à la fin du mois de juin à la Chapelle de la Sorbonne.

Dans votre livre, vous évoquez la rencontre dans un même espace, celui de la page, de deux modes d’expression, la peinture et la poésie, comme le surgissement d’une forme nouvelle. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à cette forme particulière ?
C’est une histoire très ancienne, puisqu’elle date de trente ans, née lorsque, adolescent, j’ai découvert que les deux domaines qui me fascinaient le plus au monde, la peinture et la poésie, avaient pu se trouver, parfois, dans une contemporanéité parfaite. Cette découverte m’a accompagné tout au long de ma vie et je n’ai jamais cessé de revenir sur ce fait intriguant, cet attrait mutuel de la poésie, symbole de l’expression verbale dans sa plus grande intensité, et de la peinture, métaphore du geste plastique en général, en un moment de hasard nécessaire. Et puis, à la fin des années 90, des amis m’ont convaincu de mettre un terme à ma longue réflexion. J’ai donc organisé une exposition qui a eu lieu au Trinity College de Cambridge, puis à Lyon, et dans le même temps, un éditeur, Antoine Gallimard, m’a proposé de publier ce qui apparaissait comme un bilan sur un sujet qui n’avait jamais été traité comme tel.

Une réflexion à tel point inédite qu’il vous a fallu trouver un nom pour ce genre de livres...
Oui, car ce qui m’intéressait, c’est la rencontre de deux individus incarnant des pans de l’expression soit poétique, soit plastique, deux hommes œuvrant dans des domaines opposés du tout au tout mais égaux. « Livre de peintre » ne me convenait pas puisque, dans ce cas, c’est le peintre qui prédomine et le texte n’est pas grand-chose. « Livre illustré » n’allait pas mieux, l’illustration est inféodée au texte, alors que ni les mots, ni l’image ne doivent être abaissés. « Livre d’artiste » recouvre une réalité bien différente. « Livre de dialogue » m’a paru bien cerner l’importance de l’échange. Et partant de là, je me suis concentré sur la langue française.

Un des constats dont vous partez est « La peinture attend la poésie, elle l’atteint... » Est-ce là ce qui a guidé votre démarche ?
C’est un fait singulier, mais depuis l’époque de Baudelaire, les peintres ont beaucoup attendu des écrivains. Cette attente a trouvé son écho dans une sorte de fraternité d’armes avec les poètes, un attrait réciproque assez complexe, qui est certainement l’un des faits majeurs de la modernité.

Mais qui peut prendre des formes non seulement très différentes, mais aussi déterminantes pour l’évolution des arts plastiques...
La notion même d’espace partagé peut être traitée très différemment. Un vis-à-vis, le face-à-face comme Mallarmé et Manet, ou carrément l’interpénétration comme Debord et Jorn, où l’on ne sait qui offre l’expression la plus révolutionnaire des deux. Tzara et Arp établissent un dialogue d’une extraordinaire intensité dans 25 poèmes. Pour ce qui est de l’influence du « livre de dialogue » dans les arts plastiques, il faut bien faire le constat que Picasso a placé ses premières gravures du cubisme analytique dans le Saint-Matorel de Max Jacob, et du cubisme synthétique dans La Prise de Jérusalem du même poète. Ce n’est sûrement pas un hasard. On pourrait dire la même chose de Léger. Ces livres sont souvent des manifestes. Ils ont servi de tremplin à de nouvelles formes.
En ce début de XXIe siècle, la poésie semble un genre bien confidentiel. Ne craignez-vous pas que le « livre de dialogue » appartienne à un passé révolu ?
Non, pas du tout. La poésie a toujours été l’objet d’une attitude ambiguë en France, à la fois ignorée et considérée comme un domaine sacré. Après tout, depuis L’Iliade et L’Odyssée, elle a fondé l’Occident... La voir disparaître serait le signe que l’Occident est mort.

Alors les livres de peintres et de poètes ont encore de beaux jours devant eux ?
Sûrement, le renouvellement de la forme n’étant pas un obstacle au genre. Quant à la rencontre des artistes... Ce qui m’inquiéterait, ce n’est pas leur éloignement géographique, la disparition des centres de création. Non, c’est plutôt le resserrement temporel que nous vivons, une société où le temps est tellement encombré. Elle nous est très étrangère désormais, la merveilleuse disponibilité de Breton...

- Yves Peyré, Peinture et poésie, Le dialogue par le livre, 1874-2000, éd. Gallimard, 272 p., 59,95 e. L’exposition se tient à la Chapelle de la Sorbonne jusqu’au 29 juin.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°537 du 1 juin 2002, avec le titre suivant : Yves Peyré dialogues dans le siècle

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